Выбрать главу

Cela ne m’avait jamais tentée et je le lui dis sèchement.

— Dommage  ! Fanny et moi aimons bien ça. Nous allons en acheter une avec l’argent que nous avons.

Il regarda autour de lui et je frémis à l’idée qu’un monstrueux appareil viendrait rompre la chaude harmonie de mon installation.

— On pourrait le mettre là.

Malignité ou absence complète de goût  ? Il me désignait le coin le plus exquis de mon living, celui où j’ai accumulé de petits meubles précieux et légers, de fines statuettes de jade et de délicats foukousas japonais.

— Non. Jamais je…

— C’est le meilleur coin. Nous aurions le recul suffisant.

Pour éviter un éclat j’ai filé jusqu’à la cuisine, mais j’étais folle de rage. Cinq minutes plus tard le combiné radio diffusa un air de jazz, mais avec moins de puissance. Je regrettai d’avoir pris tant de soin à l’achat de cet appareil que j’avais fait fabriquer dans le style de la partie la plus moderne de mon living.

Ce qui faisait la force de ces deux êtres jeunes, c’était leur manque d’intuition, leur impossibilité de comprendre certaines choses. Ils auraient pu détruire des merveilles sans le moindre remords, mais aussi sans la plus petite joie sadique.

Mme Leblanc apparut comme je préparais le repas.

— Avez-vous besoin de moi  ?

Son regard se posa sur mes papiers, mais je n’y pris pas garde.

— Non, merci. Je vous demande seulement de mettre votre chambre en ordre puisque Hélène n’est plus là.

Elle disparut. Pendant une heure j’ai travaillé seule, sans être dérangée. Quand je suis allée mettre le couvert, ils étaient tous les deux silencieux, assis à côté du poste de radio, écoutant des chansons.

— Avez-vous le journal  ? m’a demandé Philippe.

— Oui, ai-je répondu avec un élan joyeux. Je vais vous le chercher.

Je l’avais placé au-dessus d’un des paniers de provisions, mais il me fut impossible de le trouver. J’ai alors pensé que Mme Leblanc avait très bien pu venir le prendre.

Elle s’en défendit vigoureusement et, après un quart d’heure de recherches, Philippe le trouva dans le corridor non loin de la salle de bains.

CHAPITRE V

Tout de suite après le repas, Mme Leblanc se réfugia dans sa chambre. Fanny éclata de rire.

— Elle a peur de faire la vaisselle.

J’ai débarrassé la table sans que l’un ou l’autre fasse mine de m’aider. À mon tour je suis restée dans la cuisine, et quand ils ne m’ont pas vue revenir ils se sont inquiétés à cause du café. C’est Fanny qui est venue, une cigarette à la main. Je faisais couler de l’eau chaude sur les assiettes.

— On boit le jus  ? fit-elle avec assurance.

— Faites-le, dans ce cas. Je ne veux pas en prendre aujourd’hui.

Maladroitement, elle a mis en route le moulin électrique, a cherché la cafetière.

— Vous n’avez que ça  ?

J’utilise une vieille cafetière en grosse faïence qui fait d’excellent café.

— Il faudra acheter un engin plus moderne.

Philippe est venu nous rejoindre. Il paraissait soucieux et fumait nerveusement.

— Je ne m’explique pas cette disparition du journal. Avez-vous mis Mme Leblanc au courant  ?

Sans me retourner, j’ai haussé les épaules.

— Au courant de quoi  ?

— De ce que nous avons fait samedi soir.

— Elle ignore tout.

Une odeur de café commençait à envahir la cuisine.

— Vous avez lu l’article  ?

— Bien sûr. Ils sont sur votre piste.

Je remarquai que la casserole d’eau chaude tremblait entre les mains de Fanny.

— Doucement  ! Chaudière prétend qu’il la reconnaîtrait n’importe où. J’ai l’impression que le vieux se vante un peu pour se donner la vedette.

— N’empêche qu’il conservera sa vue.

Fanny a emporté la cafetière et les tasses. Il l’a suivie et j’ai attendu quelques minutes avant de prendre mon appareil de photographie. C’était un Royflex très perfectionné. Le jour était très sombre et le brouillard se formait. Pour réussir une photographie intérieure il m’aurait fallu utiliser le flash.

Le plus silencieusement possible, je me suis rapprochée du living. Il ouvre sur le hall par une double porte. Philippe et Fanny buvaient leur café à côté du combiné-radio, sous l’éclairage puissant du lampadaire. J’ai tenté le tout pour le tout et j’ai pris deux clichés. Ils étaient de profil et à moins de huit mètres.

L’appareil caché dans ma chambre, je suis revenue dans la cuisine pour finir ma vaisselle. Ensuite j’ai mis de l’ordre dans le living. Philippe a regardé Fanny avec un sourire moqueur.

— Tu ne tiens pas tes engagements. Tu devais aider Edith.

Fanny s’est étirée. Elle portait toujours sa robe de chambre sous laquelle elle devait être nue.

— Je me sens fatiguée. Demain… Mais toi, tu devais faire les commissions…

— Edith ayant refusé, je me considère comme libéré de mes obligations. Du moins pour aujourd’hui. Mais je sortirai vers le soir pour me renseigner sur un poste de télévision.

S’il espérait m’arracher une protestation, il dut être bien déçu. Je suis restée muette mais je bouillais intérieurement.

— Je vais avec toi  ?

— Inutile qu’on nous voie ensemble, mon chou  ! a-t-il rétorqué doucement.

Fanny a pris une expression boudeuse.

— Il faut que j’aille faire un tour à ma chambre, voir si tout est en ordre là-bas.

— Revoir aussi tes copains  ! a-t-elle rétorqué, acerbe.

— Mais non  !

Cette petite crise de jalousie me laissait assez rêveuse. Il y avait peut-être là le moyen de détruire leur entente. Mais je devais découvrir que si Philippe était capable de tromper passagèrement Fanny, il l’aimait véritablement.

Le ménage terminé, je me suis enfermée dans mon atelier mais je n’avais pas le cœur à l’ouvrage. J’ai vaguement crayonné avant de me rendre compte que je n’avais ni l’envie de peindre ni celle de modeler. J’aurais voulu à la fois m’éloigner du couple et pouvoir surveiller leurs faits et gestes, surprendre leurs intentions.

J’ai fini par revenir dans le living. Fanny était couchée sur les genoux de Philippe qui lui caressait la poitrine. La robe de chambre était largement ouverte sur les seins ronds et fermes de la fille.

Leur impudeur finissait par m’influencer. Un climat de sensualité trouble m’environnait perfidement. Je l’assimilais à ce brouillard dont les remous limoneux envahissaient la ville.

J’ai quitté le living, certaine qu’ils allaient s’aimer sur ma moquette. Cette petite douleur qui me grignotait le corps ressemblait à de la jalousie mais je m’en défendais. Non envie de posséder l’un ou l’autre, mais convoitise de leur union. Depuis un an je vivais seule.

Des zones d’ombre s’installaient dans la maison alors qu’il n’était que trois heures de l’après-midi. Un fond musical impalpable faisait doucement vibrer l’air. Je ne pouvais rester en place.

Je me souviens d’être allée coller mon oreille à la porte de Mme Leblanc. Tout était silencieux chez elle. J’ai appuyé sur la poignée. Ma belle-mère avait fermé à clé. Tous s’isolaient et m’abandonnaient. Je pouvais sortir au valant de la Dauphine, mais je ne voulais pas m’éloigner.

D’ailleurs, je ne reconnaissais plus ma villa. Sous son toit, en apparence si tranquille, il se passait tant de choses passionnantes et étranges  !