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— Oui.

Sa main m’abandonna et il resta songeur quelques secondes.

— Les clés de la Dauphine, vite  ! Il faut que je la retrouve.

J’ai essayé de résister.

— Je vais y aller, moi.

— Non  ! Les clés  !

Pourquoi ai-je cédé  ? Je suis allée les prendre dans ma chambre. Il me les a arrachées des mains et a foncé vers le garage. Fanny a fait quelques pas dans ma direction.

— Vous ne lui avez pas menti  ?

— Et puis  ?

Je la détestai brusquement. Je l’aurais giflée avec un plaisir profond.

— Méfiez-vous  ! Vous êtes dans le bain comme nous deux. Et Philippe ne permettra pas que vous vous en tiriez. Souhaitez qu’il la retrouve avant qu’elle arrive chez son amie.

Mme Leblanc consentirait-elle à monter dans la voiture  ? C’était une autre affaire. Il aurait mieux valu que j’accompagne le garçon pour la faire fléchir.

— Par où passe-t-elle d’habitude  ?

— Boulevard de Suisse, puis le long du bassin de l’embouchure, mais l’été. En hiver, je l’emmène en voiture.

— Pourquoi  ?

— À cause du brouillard.

Fanny se figea  :

— Et aujourd’hui, malgré le brouillard, elle n’a pas hésité à se rendre chez cette femme  ?

CHAPITRE VI

Philippe est resté absent une heure et demie. Le brouillard et la nuit étaient si denses que l’on ne voyait pas la grille d’entrée. Fanny et moi étions derrière la baie à épier leur retour.

— Combien y a-t-il jusque là-bas  ?

— Quinze cents mètres environ.

Je savais ce qu’elle allait me demander, mais je faisais exprès de répondre laconiquement.

— Combien lui faut-il pour les parcourir  ?

— En été une bonne demi-heure, peut-être plus. En hiver…

Elle comprit que je me moquais d’elle et haussa les épaules.

— Vous faites l’indifférente, mais si elle a parlé, vous ne brillerez pas.

— Vous avez peur, Fanny  ?

Elle n’a pas répondu. Elle était pâle et paraissait mal en point. Elle a fini par s’allonger dans un des fauteuils.

— Ce doit être le bébé.

Ce dernier mot me surprit dans sa bouche. Elle n’avait pas dit «  le gosse  » ni parlé de son état. Elle avait dit «  le bébé  ». C’était donc qu’elle avait accepté de le porter et de le mettre au monde. J’en restai interloquée.

— Je me demande s’il n’y a pas plus longtemps…

Elle mourait d’envie de me demander des précisions. Elle était jeune et inexpérimentée. Pourtant, je restai impassible, ne faisant aucun effort pour lui tendre la perche.

— Vous n’avez jamais eu d’enfant  ?

— Non, jamais.

Elle me regarda curieusement, peut-être avec le sentiment de m’être supérieure.

— Nous l’appellerons Pierre, si c’est un garçon. Sylvie, si c’est une fille.

Ce qui me surprenait, c’était qu’il pût y avoir entre eux autre chose que des échanges corporels. Je les imaginais mal faisant des projets d’avenir, émettant des suppositions sur leur enfant. C’était assez extraordinaire.

— Nous nous marierons. Nous partirons pour l’Amérique du Sud, ensuite.

Avec quel argent  ? avais-je envie de demander. Malgré tout ce qu’ils m’avaient fait, je ne pouvais être aussi méchante. J’avais peur de briser son rêve. J’aurais pu lui demander combien de personnes ils comptaient agresser pour se procurer les sommes suffisantes.

— Nous choisirons le Brésil.

À la suite de quel mystère avaient-ils adopté cet enfant en gestation  ? Je comprenais qu’ils fussent prêts, elle du moins, à lutter jusqu’au bout pour le défendre et lui permettre de vivre. C’est pourquoi ils mettaient tant d’acharnement à ne pas être découverts, pourquoi Philippe était parti à la recherche de ma belle-mère.

Je ne savais que souhaiter. Qu’il la retrouvât  ? Qu’elle fût déjà chez Mlle Givelle, rue Miramar  ?

— Écoutez  !

C’était bien le moteur de la Dauphine. La voiture nous fut cachée par le brouillard. Il fallut encore attendre cinq minutes avant que Philippe pénétrât dans le living. Il portait un imperméable court et traînait après lui une odeur d’humidité.

Il me parut très pâle.

— Alors  ? dit Fanny.

— Je ne l’ai pas trouvée.

Cette fois, je m’inquiétai.

— Même chez Mlle Givelle  ?

— J’y suis allé. Elle ne l’a pas vue de la soirée.

Il y avait plus de deux heures que Mme Leblanc avait quitté la villa. Si elle n’était pas allée chez son amie, où pouvait-elle bien être  ?

— Sous quel prétexte êtes-vous allé chez cette personne  ?

— J’ai simplement expliqué qu’étant sortie pendant quelques heures, vous n’aviez pas trouvé Mme Leblanc ici et que vous m’aviez envoyé.

Mme Leblanc aurait-elle eu l’audace…  ? Philippe dut deviner ma pensée car un léger sourire se forma au coin de sa bouche.

— Le commissariat de police  ? Vous l’en croyez capable  ?

Je ne savais plus. Déjà la fuite et la longue absence de Mme Leblanc étaient inexplicables. La vieille dame était geignarde, paresseuse, mais elle manquait de hardiesse. Elle n’était nullement capricieuse. Trop amoureuse de son confort pour se permettre d’être lunatique. Je la voyais mal expliquant son affaire à un officier de police. Alors qu’elle aurait pris plaisir à relater les mêmes choses à Mlle Givelle.

Philippe s’est approché de mon bar et a sorti la bouteille de scotch, l’a examinée avec suspicion. Puis il s’est décidé et en a versé un doigt dans un verre. Fanny le regardait avec étonnement. J’étais moi-même surprise. Ne m’avait-il pas déjà expliqué qu’il ne buvait jamais d’alcool  ? Brusquement il se retourna et nous vit en train de l’observer.

— Ce brouillard, dit-il, est vraiment glacé.

Pourquoi cherchait-il à se justifier  ? J’étais en train de me poser des questions quand le téléphone sonna. Depuis la mort de mon mari je l’utilise fort peu, et je ne reçois que de rares communications.

— Vous croyez  ?… fit Fanny en se dressant à demi dans son fauteuil.

L’appareil se trouve dans le hall. Ils n’ont pu y arriver avant moi et c’est ma main qui a arraché le combiné de son support.

Une voix d’homme me demanda si j’étais Mme Leblanc.

— Oui. Qui est à l’appareil  ?

— Commissariat de police des Minimes.

Fanny décrochait l’écouteur à cet instant et elle eut un haut-le-corps.

— De quoi s’agit-il  ?

— Il est arrivé un accident à une certaine Laurence Leblanc, domiciliée à votre adresse. Est-ce une parente  ?

— Ma belle-mère. Que s’est-il passé  ?

L’homme observa quelques secondes de silence puis me demanda  :

— Pouvez-vous venir  ? Les pompiers sont en train d’essayer de la ranimer, mais il est à craindre…

— La ranimer  !

— Il y a un quart d’heure qu’on l’a retirée du bassin de l’embouchure. Il vaudrait mieux que vous veniez. Nous vous donnerons toutes précisions utiles… Et nous avons quelques questions à vous poser.

C’est Philippe qui m’a forcée à répondre. Il avait pris l’écouteur des mains de Fanny et me faisait signe d’accepter.

— J’arrive.

Il raccrocha à ma place. J’avais l’impression d’être un bloc de glace.