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Enfin je suis arrivée à la villa après une demi-heure de trajet. J’étais épuisée, les nerfs à fleur de peau. Je n’avais pas menti en déclarant que je détestais conduire par temps de brouillard.

Dans le garage j’avais laissé la lumière et je m’enfonçai avec joie dans ce havre clair et sec. C’est en quittant la voiture que j’ai trouvé les lunettes.

Elles étaient intactes sur le plancher de la voiture et je les ai fourrées dans ma poche. Philippe m’attendait dans le living. Il fumait en lisant un magazine. J’ai seulement réalisé alors que nous étions seuls, lui et moi, dans la villa.

J’ai pris le temps d’ôter mon imperméable, de chausser mes mules. Il a fini par me rejoindre dans la cuisine. Inquiet malgré tout.

— Alors  ?

D’un seul coup j’ai sorti les lunettes de ma poche.

— Elles étaient dans la Dauphine. Première preuve.

Son visage a pâli.

— Le commissaire  ?

— Il croit qu’elle n’a pas vu le canal. Il se pose quelques questions sur les motifs qu’elle avait de se trouver dehors par un temps pareil.

Il attendait d’autres précisions.

— Malheureusement, j’ignorais votre nom.

Il a sursauté.

— Il voulait le connaître  ?

— Bien sûr. J’ai expliqué que je vous louais une chambre et j’ai eu bonne mine d’être si peu renseignée sur vous. J’ai simplement dit que vous étiez élève des beaux-arts. Juste  ?

— Oui. Mon nom est Sauret.

— Fanny est partie  ?

— Je l’ai accompagnée et, au passage, j’ai acheté ça.

C’était un carnet de reçus.

— Pour la location de la chambre. J’ai aussi des timbres fiscaux.

— Vous pensez à tout  !

Il s’est assis à califourchon sur une chaise. J’ai regardé la pendule. À peine six heures trente. Nous ne pouvions dîner immédiatement et nous avions plusieurs heures à passer ensemble.

— Que vous ont-ils dit encore  ?

J’avais réservé le meilleur pour la fin.

— Qu’une autopsie allait être pratiquée et qu’on ne me rendrait le corps que d’ici quelques jours.

Une fois encore il a pâli. Je reprenais lentement le dessus. Il n’était pas aussi invulnérable que je l’avais cru.

— Une autopsie  ? Pourquoi  ?

— C’est ainsi dans ce genre d’accident.

Puis j’ai pensé au sac de ma belle-mère et j’ai filé vers sa chambre. Je ne l’ai pas trouvé. Elle l’avait bien quand elle est sortie.

— Avez-vous fait attention à son sac  ?

Philippe m’avait suivie.

— Non. L’avait-elle  ?

— Certainement. J’ai expliqué à l’inspecteur que le seul motif qui ait pu la faire sortir d’ici, c’était le désir de porter un livre à Mlle Givelle. Si le sac est retrouvé le motif ne tiendra plus.

— Vous n’auriez pas dû…

— J’ai improvisé.

En l’absence de Fanny, il plastronnait moins. Il redevenait naturel, perdait des années factices.

— Ils viendront ici  ?

— Certainement.

Chaque fois que je le pouvais, j’enfonçais une épine. À quel sentiment obéissais-je alors  ? Même aujourd’hui je répugne à m’analyser plus complètement.

— Ils voudront certainement vous interroger, savoir si vous n’avez pu l’apercevoir.

Sans transition il reprit du poil de la bête.

— Il faut nous entendre sur ce que nous avons fait cet après-midi. Vous êtes sortie assez tôt. À pied puisque vous n’aimez pas conduire. Vous avez fait des achats dans des grands magasins où il est impossible de vérifier si vous vous y êtes réellement rendue. Retour ici vers les quatre heures. Absence de Mme Leblanc. Moi, je ne suis pas sorti mais je ne me suis pas rendu compte de son départ. C’est alors que vous m’envoyez chez la vieille fille. Puis le coup de téléphone. Vous avez compris  ?

Comment pouvais-je supporter de discuter avec lui, avec un double assassin  ? Qu’est-ce qui me portait à accepter ses ordres, ses suggestions  ? Peut-être ce trouble qui ne cessait de croître à mesure que, seuls, lui et moi, nous nous enfoncions dans les heures de la nuit. Nous allions manger tête à tête, veiller ou alors nous séparer.

Et il y aurait plusieurs journées qui se passeraient de la sorte…

— Vous devriez préparer le repas, dit-il. J’ai la dent. Pas vous  ?

Et parce qu’il parlait d’avoir faim, je me sentais un appétit d’ogresse.

CHAPITRE VII

Après une nuit blanche, ma révolte éclata le lendemain matin. Je me reprochais la mort de ma belle-mère. J’aurais dû accompagner Philippe. Je l’aurais empêché de la tuer.

Je tournai en rond dans la villa. Malgré l’heure avancée, neuf heures trente, le garçon dormait toujours. Je n’osais frapper à sa porte et j’hésitais à sortir. Aussi je fus surprise lorsqu’il pénétra dans le hall, venant de l’extérieur. Le brouillard avait disparu mais le ciel était très bas et le jour sombre.

— D’où venez-vous  ?

— Faut-il vous rendre des comptes  ? dit-il, goguenard. Je suis allé surprendre Fanny au réveil.

Détournant la tête, j’évitai son regard. Il n’avait pu supporter l’absence de cette petite peste et avait quitté son lit à l’aube pour la rejoindre et lui faire l’amour. Cela me mortifiait presque.

— J’ai fait ses courses avant de rentrer. Rien de neuf  ?

— Si.

Calmement il a attendu.

— J’en ai assez. Si un policier vient ce matin j’avoue ce qui s’est réellement passé. Ou alors je me rends au commissariat.

— Vous appelez ça du neuf  ? Il y a huit jours que vous auriez dû le faire, quand Fanny est venue vous trouver.

Et voilà. Je ne pouvais rien contre cet argument de poids.

— Donnez-moi plutôt du café. Je suis sorti à jeun ce matin.

— Fanny ne vous a pas fait déjeuner  ?

Il eut un rire vulgaire plein de sous-entendus. J’ai préparé le café et nous avons déjeuné dans la cuisine. Cette intimité commençait à m’irriter mais je ne faisais rien pour l’éviter.

L’inspecteur Campans vint à onze heures. J’avais l’impression qu’il s’attachait à cette affaire avec ennui, comme s’il n’avait rien d’autre à faire. Je le reçus dans le living. Philippe était dans sa chambre, prêt à répondre au premier appel.

— Vous avez une belle villa, dit-il en entrée en matière. Je comprends que vous ayez pris un pensionnaire…

— M. Sauret loue simplement sa chambre et prend son petit déjeuner. Je ne lui assure pas les repas.

Le ton sur lequel je dis ces paroles me plut. Tout à fait dans le style d’une logeuse qui veut garder ses distances.

— Vous allez vous sentir seule après la mort tragique de votre belle-mère.

Chaque mot paraissait choisi avec soin par cet homme. Je finis par le détailler avec plus de soin. De notre rencontre de la veille je n’avais gardé aucun souvenir de cet inspecteur. Il était de taille moyenne, de carrure normale et vêtu sans beaucoup de soin. La peau de son visage un peu flasque était piquetée par une barbe toujours à l’état naissant certainement. Il avait de petits yeux gris très écartés qui posaient sur les choses et les gens un regard sans grande expression.

J’étais en train de lui expliquer que ma belle-mère menait une vie tranquille et retirée et que je la voyais très peu, quand il m’interrompit  :