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— Sauret, avez-vous dit  ? C’est le nom de votre étudiant  ?

— Oui. Je regrette de ne pas m’en être souvenue hier.

— Il est chez vous  ?

— Dans sa chambre. Voulez-vous que je l’appelle  ?

— Tout à l’heure.

Il continuait d’examiner le living avec une sorte de satisfaction.

— C’est un véritable nid douillet chez vous.

Mon sourire fut un peu forcé. Je n’attendais pas de compliments sur mon installation, mais qu’il parle de la mort de ma belle-mère.

— Comment pouvez-vous supporter la présence d’une personne étrangère  ? Est-ce pour améliorer vos revenus  ? Peur de la solitude  ?

— Suis-je obligée de répondre  ?

— Non.

Il regardait un cendrier plein de mégots. Le départ d’Hélène m’avait prise au dépourvu et j’avais oublié de faire le grand ménage.

— Puis-je fumer  ?

— Bien sûr. Je ne m’en prive guère moi-même.

— Je vois.

Un prétexte pour amener le cendrier jusqu’à lui et déchiffrer l’inscription des bouts de cigarette. Il y avait énormément de gauloises et quelques cigarettes américaines, celles que je fume.

— Sympathique, ce garçon  ?

— Voulez-vous le voir  ?

Il soupira. Je l’avais emporté. Chaque fois qu’il me parlait de Philippe, je lui proposais de le faire surgir devant lui en chair et en os.

Il finit par accepter.

— Si vous voulez.

Philippe portait un pantalon de toile et un simple polo. Ses pieds étaient nus dans des pantoufles usées. Il serra la main de l’inspecteur, s’assit à sa droite.

— Vous êtes allé chez Mlle Givelle hier au soir  ? Vers quelle heure  ?

— Cinq heures environ.

Campans vérifia sur son carnet. Il avait dû se rendre chez la vieille demoiselle. Philippe avait tué ma belle-mère avant sa visite, sans doute.

— Elle vous a annoncé que Mme Leblanc n’était pas là  ?

— Exactement. Je suis revenu en longeant le bassin d’embouchure puis je suis rentré. Quelques minutes plus tard je suis ressorti. J’avais rendez-vous avec quelqu’un.

— Qui  ?

— Une fille.

— Son nom  ?

— Fanny Escalague.

Campans notait ces différents renseignements.

— Quelle adresse  ?

— Quai de Tounis, numéro 44.

Philippe se jetait carrément à l’eau. La moindre hésitation pouvait paraître suspecte.

— Étudiante aux Beaux-Arts, hein  ?

— Oui.

Campans paraissait à court de questions. Une simple noyade justifiait-elle tout ce déploiement d’astuces policières  ? J’en doutais. Le regard de l’inspecteur insistait parfois sur mes jambes croisées. Peut-être n’était-il venu que pour moi au fait  ? Ce n’était pas impossible.

— L’autopsie a été commencée ce matin.

J’ai pris une tête de circonstance.

— Soyez rassurée. Le docteur Javert n’est pas un…

Il s’arrêta à temps avant de dire une énormité. Philippe souriait.

— Vous aurez certainement demain matin l’autorisation d’inhumer.

Dans le fond, j’étais satisfaite. Cela me permettrait de procéder rapidement aux obsèques et de n’envoyer les faire-part qu’ensuite. Un avis dans les journaux suffirait pour amener quelques connaissances à l’église. Les parents lointains ne viendraient pas m’importuner.

— J’ai pu reconstituer une partie du trajet suivi par votre belle-mère. Voyons… Une commerçante du boulevard des Suisses l’a reconnue.

Certainement l’épicière.

— Il était quatre heures environ quand elle est passée devant le magasin. Tout semble confirmer qu’elle est restée plus d’une heure dans l’eau avant d’être repêchée.

Il releva la tête.

— Savez-vous comment on l’a trouvée  ?

Je secouais la tête.

— Vous n’avez pas lu le journal  ? Bien sûr… C’est un couple de chiffonniers qui pêche les épaves le long de la Garonne qui ont aperçu le corps pris dans les herbes du bord.

J’avais la bizarre impression d’être l’assassin de Mme Leblanc. J’étudiais mentalement chaque mot qui s’échappait des lèvres un peu molles de l’inspecteur. Mon regard est tombé sur le bar et j’ai eu une inspiration.

— Un apéritif, inspecteur  ?

Son regard terne s’est allumé. J’ai compris que j’avais misé juste, trouvé le défaut de la cuirasse. Je me suis activée pour distribuer les verres, sortir les bouteilles.

— Un Cinzano  ? Blanc, rouge, dry  ?

— Dry.

Généreusement servi il huma son verre. J’ajoutai une bonne ration de vodka. Philippe, lui, se contenta d’une larme de ce vermouth. Campans licha rapidement son verre et accepta une deuxième tournée. Ses yeux brillaient, me sembla-t-il.

— J’espère qu’il n’y aura pas de complications à l’autopsie, fit-il entre deux gorgées… Ce serait étonnant. Si vous le permettez je vous apporterai moi-même le permis d’inhumer.

En même temps il louchait sur mes jambes et mes hanches. Philippe paraissait s’amuser et nous observait, profondément enfoncé dans son fauteuil. Il fallut une troisième tournée et une bonne demi-heure pour décider l’inspecteur à en finir. Il se dirigea vers la porte parlant de choses et d’autres, ayant certainement oublié qu’il y avait un deuil dans la maison.

Midi sonnait quand il s’éloigna dans la rue. Philippe riait sans bruit.

— La réaction  ? fis-je.

— Non. Un bon poivrot, cet inspecteur  !

— Ne le prenez pas pour un imbécile.

Il donna un coup de menton.

— Je m’en garderais. On mange  ?

Je n’avais rien de prêt et il me manquait quantité de choses. Philippe déclara qu’il allait faire les courses et j’y consentis. On devait savoir dans le quartier l’accident survenu à ma belle-mère, et je ne tenais pas à subir les condoléances plus ou moins sincères des voisins et commerçants.

D’ailleurs les visites commencèrent au début de l’après-midi. Il me fallut expliquer dix, vingt fois, ce qui s’était passé. À la fin, profitant d’une accalmie, j’ai hâtivement rédigé un écriteau que j’ai accroché à la grille  : «  On ne reçoit pas  ».

Philippe avait filé. Brusquement, je me retrouvai seule avec le poids de ces événements fantastiques, qui faisaient craquer le cadre agréable de ma vie. Mais il était trop tard pour reculer. Chaque minute qui passait m’entraînait encore plus loin dans une sorte de cauchemar moelleux.

Pour ne plus penser à rien j’ai entrepris de ranger les pièces. J’ai travaillé avec un tel acharnement que je n’ai pas vu passer les heures. Philippe revint à la tombée de la nuit. Il siffla en signe d’admiration en découvrant l’ordre qui régnait.

— Amenez les patins de feutre  ! dit-il à l’entrée. On n’ose plus marcher.

J’étais curieuse de savoir d’où il venait. Certainement du quai de Tournis.

— Chaudière sort demain de l’hôpital. Les médecins veulent attendre quelque temps avant de s’occuper de son œil gauche. Mais son droit est complètement guéri.

Il ne paraissait pas autrement ému.

— Vous êtes bien renseigné.

— Je vous l’ai dit. J’ai des amis là-bas. Maintenant que le vieux sera chez lui les flics vont le harceler.

J’eus l’idée qu’il en savait davantage.

— Connaissez-vous le domicile de cet homme  ?

— Une vieille baraque de la rue du Crucifix, sur la rive gauche.