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— Vous ne laissez rien au hasard.

— Comme vous le voyez.

Dans mon appareil de photographie se trouvait peut-être un bon cliché. Il faudrait que je fasse développer la pellicule. À moins que je ne tente de les photographier dans de meilleures conditions. Rapidement j’imaginai de grouper plusieurs appareils d’éclairage et de les attirer dans cette lumière vive. Ne se douteraient-ils pas de mes intentions  ?

— Fanny pourra donc revenir dans quelques jours. Pour quand prévoyez-vous l’enterrement  ?

Ce cynisme finissait par me laisser indifférente.

— Lundi. Si demain matin j’ai le permis d’inhumer.

— L’inspecteur Campans ne manquera pas le rendez-vous, soyez-en certaine. Vous avez fait une touche sérieuse.

À son tour, il m’enveloppa d’un regard appréciateur. À ce moment tinta la sonnette de la grille.

— Quelqu’un qui n’a pas vu l’écriteau.

J’hésitais.

— Allez-y  !

C’était Hélène. Elle pressait son visage contre le grillage, vaguement éclairée par le réverbère voisin.

— Je viens d’apprendre le malheur, madame. Excusez-moi de venir vous déranger aussi tard.

Je la fis entrer.

— Pauvre Mme Leblanc, c’est terrible  !

Dans le living elle s’assit timidement au bord de son fauteuil. Philippe avait disparu.

— Vous devez avoir beaucoup de peine. Vous vous entendiez si bien.

Avec horreur je découvrais une autre Hélène. Cauteleuse, sournoise. Pendant quatre ans, j’avais cru à sa franchise, à son intelligence éclairée. Son renvoi la mettait en pleine lumière. En trente-six heures, elle avait appris à me détester. Peut-être souhaitait-elle me faire du mal.

— Quelles circonstances tragiques  ! continuait-elle sur un ton uni. Peut-être une contrariété  ?

— Un accident seulement.

— Ah oui  ?

Elle aussi regardait autour d’elle, tendait l’oreille.

— Mes amis ne sont pas là.

— Vous êtes seule  ? Voulez-vous que je reste pour vous tenir compagnie un moment.

Ce sourire qui apparaissait sur mes lèvres nécessitait un effort énorme. Je l’arrachais péniblement de moi et ce ne devait être qu’un rictus.

— Merci. Tout va bien.

— Comment la pauvre dame a pu aller se promener par un temps pareil  ? Il fallait qu’elle soit vraiment préoccupée. Peut-être avait-elle quelque chose d’important à dire à Mlle Givelle  ?

— Ce n’est pas impossible.

Hélène fut décontenancée. Elle s’attendait à des protestations de ma part.

— Votre départ l’avait affligée. Elle avait l’habitude de se laisser vivre. Un peu trop même. Je lui avais demandé de m’aider et cela ne lui convenait pas. C’est pour se plaindre de son sort qu’elle a voulu se rendre chez Mlle Givelle.

Hélène se raidissait. Je lui faisais nettement comprendre qu’il n’y avait aucun mystère dans la mort de Mme Leblanc. En même temps, elle devinait qu’il n’y avait pour elle aucun espoir de reprendre sa place.

— Cette pauvre dame, quand même  ! murmura-t-elle à plusieurs reprises. Elle avait encore de nombreuses années tranquilles devant elle.

— C’est la destinée, fis-je en me levant.

Comme à regret elle quitta son siège.

— L’enterrement…  ?

— Lundi certainement. Vous avez appris, en même temps que sa mort, qu’une autopsie avait été pratiquée  ? Ce devait être sur le journal. Le corps sera ramené demain, je crois, mais il n’y aura aucune visite.

En se dirigeant vers la porte elle murmura  :

— C’est tellement curieux… Peut-être qu’elle a été victime d’un rôdeur qui en voulait à son sac.

— Vous avez de l’imagination.

Jusqu’au bout elle chercha quelle flèche me décocher avant de partir, mais comme je la pressais, elle ne put rien trouver.

— Bonsoir, madame.

Ostensiblement je fermai la grille à double tour à peine fut-elle dehors. Elle se retourna, mais déjà je revenais vers la villa.

Philippe avait repris sa place dans le fauteuil.

— Du genre collant  ! Regrettez-vous toujours de l’avoir mise à la porte  ?

Je ne voulais pas lui donner raison. Je suis allée préparer le repas.

— Une vraie dînette d’amoureux  ! a dit Philippe quand j’ai mis le couvert.

Un bref regard à ses yeux me fit baisser les miens. De nouveau j’étais troublée. La grille était fermée à double tour, la porte d’entrée aussi. Nous étions seuls ensemble pour douze heures. Déjà, la nuit dernière, je n’avais pas fermé l’œil.

— Vous pensez à Hélène  ?

— Non. Ne me parlez plus d’elle.

— Déçue, hein  ?

Il refusa le dessert, alluma une cigarette.

— Vous n’avez pas peur  ?

— De vous  ?

— Non, de vous-même. Les nuits sont longues en hiver.

J’empilai les assiettes sales dans l’évier. Il était huit heures. Je me suis enfermée dans la salle de bains. Au bout d’une demi-heure de baignoire, j’ai cru avoir recouvré tout mon calme. J’ai achevé ma toilette devant la glace du lavabo. La villa était silencieuse. J’ai souhaité que Philippe ait rejoint son lit.

Il m’attendait dans le couloir. Je ne portais que ma robe de chambre.

— J’ai voulu vous dire bonsoir.

Comme il s’approchait j’ai reculé contre le mur jusqu’à ce que mes épaules butent. J’avais l’impression d’être renversée sur le sol avec son visage au-dessus de moi.

— Vous êtes idiote  ! Tout cela n’engage à rien.

Il plantait ses doigts dans le tissu de mon peignoir. Puis il l’écarta, posa ses paumes brûlantes sur ma peau nue, m’attira contre lui. Ses lèvres étaient dures et son baiser me parut impudique. Ses mains faisaient glisser mon vêtement de mes épaules, encore plus bas.

— Laissez-moi  ! ai-je murmuré contre sa bouche.

— Pas maintenant.

Nous avons glissé contre le mur, soudés l’un à l’autre. J’essayais de résister mais brusquement la porte de ma chambre s’est ouverte dans mon dos. Le lit n’était plus qu’à un mètre de nous. Je me rendis compte que ma lampe de chevet était allumée. Il avait prévu ma défaite.

Et cette certitude que nous étions seuls et libres me bouleversait bien plus que ses caresses et ses baisers, m’empêchait de penser que j’avais dix ans de plus que lui.

CHAPITRE VIII

La mort de Mme Leblanc, l’enterrement, les remous soulevés par cette affaire éloignèrent Fanny de la villa encore trois jours. Jusqu’au mardi. L’inspecteur Campans m’apporta le permis d’inhumer le dimanche matin, s’attarda jusqu’à midi. Je pris contact avec une entreprise de pompes funèbres, fis transporter le corps de ma belle-mère à l’église Saint-François-de-Paul, la plus proche de mon domicile. Je savais fort bien que cette décision allait m’aliéner l’amitié de mes dernières connaissances.

Durant ces deux nuits, Philippe partagea mon lit. Je ne sais quelle folie présidait à nos amours. Le matin me retrouvait seule et maussade, désavouant cette femme faible qui, chaque fois, acceptait les caresses de ce garçon. Il me fallait plusieurs heures pour retrouver le goût de vivre. Et dès le début de l’après-midi j’appréhendais l’approche de la nuit qui me transformait en femelle veule.

Philippe se doutait-il de mes scrupules  ? Il me possédait avec une sorte d’humour féroce, me pliait à ses caprices, très satisfait certainement d’obtenir totale soumission d’une femme de loin son aînée. Personnellement j’avais le sentiment de m’avilir.