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— Tu connais  ?

Les clichés étaient excellents.

— Tu comprends pourquoi elle avait fait ça  ? Elle s’apprêtait à nous dénoncer.

À quoi bon leur expliquer qu’il y avait un bon mois de cela. Fanny, les lèvres pincées, le regard dur, m’examinait de la tête aux pieds.

— Renvoie-la à sa cuisine et qu’elle n’en sorte plus.

Philippe a haussé les épaules.

— Nous n’avons rien à craindre. Elle n’osera jamais nous nuire.

— Regarde-la donc, elle nous déteste  ! Ce qu’il lui faut, c’est sa petite vie tranquille et douillette. Elle est pourrie d’argent mais elle ne veut pas le partager.

Étonnant de se voir reprocher son avarice après tout l’argent que j’avais dépensé depuis qu’ils étaient là.

— Que comptiez-vous faire exactement  ?

C’était Philippe qui m’interrogeait.

— Vous savez très bien que vous ne pouvez rien faire.

Il insista  :

— Rien. Nous resterons ici tant que ça nous plaira. Au moins jusqu’à la naissance du bébé, en mai. Ensuite nous partirons. Il nous faudra beaucoup d’argent.

J’ai quitté la pièce. Brusquement je venais de découvrir une faille dans leur aveugle confiance.

CHAPITRE IX

Le lendemain à l’aube j’ai quitté la villa, avec seulement mon carnet de chèques. Je me suis réfugiée dans le centre-ville en attendant l’ouverture de la banque. Ensuite j’ai retenu une chambre dans un hôtel et j’ai fait quelques achats indispensables. J’éprouvais une véritable ivresse à parcourir les rues, à pénétrer dans les magasins. À une heure où Fanny et Philippe dormaient encore sans se douter. Ils ne s’apercevraient de mon absence que vers les dix heures.

Je me suis rendue place Saint-Cyprien. Les bains-douches étaient ouverts. Ils étaient déserts et dans sa cage vitrée la femme de garde m’a regardée approcher avec suspicion.

— M. Rigal n’a pas repris son travail  ? C’était une femme sèche d’une cinquantaine d’années, le regard dur, la peau grise.

— Le père Chaudière  ? L’en a pour des mois. Pourquoi  ?

— Je voulais lui poser quelques questions. Je suis journaliste.

Elle a hoché la tête sans paraître impressionnée.

— J’ai suivi son affaire de près et, comme il n’y a rien de nouveau, je voudrais la relancer.

— Moi, je sais rien. Je le remplace, c’est tout.

— Pouvez-vous me donner son adresse  ?

— Faut aller voir à la mairie.

J’ai sorti un billet de cinq nouveaux francs. J’estimai que c’était suffisant pour ne pas éveiller sa méfiance. Elle a quelque peu plissé les lèvres.

— Je ne suis pas de la ville et ça va me faire perdre du temps. Peut-être pouvez-vous quelque chose pour moi.

— Peut-être, dit-elle avec ironie.

Excédée j’ai replié mon billet et l’ai enfoui dans la poche de mon manteau.

— Tant pis  !

— Attendez  !

Elle rentra dans sa cage, fouilla dans un tiroir pour en sortir un crayon et un bloc-notes. Elle griffonna l’adresse, découpa la feuille.

— Voilà.

L’homme habitait à cinq cents mètres de l’établissement, dans une rue étroite qui donnait sur la Garonne, la rue du Crucifix. C’était au deuxième étage d’une vieille maison d’une laideur repoussante. Un jour devant moi Philippe avait parlé de cette adresse mais je ne l’avais pas alors retenue.

J’ai longuement hésité avant de me décider. L’escalier ressemblait à un gouffre et la minuterie fonctionnait mal.

— Entrez  ! cria une voix d’homme quand j’eus toqué à la porte.

Le jour sale des fenêtres s’est traîné jusqu’à moi quand j’ai ouvert la porte. L’homme se tenait près d’une des croisées. C’est exactement le mot qui convient pour désigner ce genre d’ouverture aux tout petits carreaux.

— Qu’est-ce que c’est  ?

— Monsieur Rigal  ?

— Ouais  !

Il portait des lunettes noires et l’œil gauche était protégé par un pansement.

— Je suis journaliste.

— Venez là, je vous vois mal.

Le vieux désignait une chaise et s’installait en face, dans un fauteuil à la peluche crasseuse. L’odeur dominante de l’appartement était celle du vin. Plusieurs bouteilles vides attendaient sur l’évier.

— Journaliste, hein  ?

— Oui. Je voudrais vous poser quelques questions.

Le père Chaudière bourrait lentement une grosse pipe au tuyau très court.

— Pour quel journal  ?

— Je ne sais pas encore à qui je vendrai mon article. Je suis indépendante.

J’attendis qu’il ait embrasé son tabac. Commençant par lui poser des questions sur sa santé, j’ai tenté de l’amener à me donner les précisions que j’espérais. Mais il s’éternisait sur les soins qu’il avait reçus, sur ce qu’on aurait dû lui faire, sur le caractère des sœurs et des infirmières.

— Et vos agresseurs  ?

— Les petits fumiers  !… Là aussi, même chose. La police, tous des incapables  ! Je suis certain de mieux réussir qu’eux, si je pouvais.

J’accrochai là-dessus.

— Peut-être, en effet. Si vous vous souvenez parfaitement du signalement de cette fille et de ce garçon.

Le père Chaudière grommela  :

— Surtout la fille.

Sa bouche molle eut une grimace lubrique. Sa barbe de plusieurs jours avait une teinte jaunâtre.

— Vous n’avez aucun renseignement sur eux  ?

— La fille était venue quelquefois aux bains-douches, mais certainement pour repérer l’endroit. Fallait qu’elle sache qu’à huit heures et demie y a pu personne.

Après quelques semaines sa hargne paraissait plutôt tiède. Il se fichait bien des deux jeunes gens. J’orientai mes questions dans une autre direction.

— Vous allez toucher une pension  ?

— Les salauds  !… Ils ergotent… J’aurais pas dû laisser rentrer la petite garce après l’heure. Sûr, ils me donneront une pension, mais pas forte.

Je faisais semblant de prendre des notes. J’ai relevé la tête pour le regarder en face.

— Même si vos agresseurs sont pris, cela ne vous apportera aucun avantage particulier.

Il hocha la tête, convaincu de l’exactitude de cette affirmation.

— Et je suis certaine qu’ils n’en sont pas à leur premier coup et qu’ils doivent avoir amassé un joli petit magot.

— Les salauds  !…

— Pendant que vous ne savez pas si vous allez pouvoir sauver votre œil, ils profitent largement de ce qu’ils ont volé.

J’étais allée un peu loin.

— Qu’en savez-vous  ?

— C’est ma spécialité d’enquêter sur les jeunes dévoyés.

Il a eu un geste tranchant de la main.

— Pas ça  ! Comment savez-vous pour mon œil  ?

Une seconde de panique.

— Les journaux en ont parlé.

— Les journaux de Paris  ?

— Bien sûr.

Cela lui fit plaisir.

— Je vais mener mon enquête avec soin, ai-je continué. Si je parviens à apprendre du nouveau, je reviendrai vous voir.

Il tirait doucement sur sa pipe.

— Pourquoi moi et pas la police  ?

C’était le moment critique. Le vieux crétin était capable de s’indigner.

— C’est comme il vous plaira, mais à votre place je sais bien ce que je ferais.

La porte s’ouvrit dans mon dos et un souffle rauque emplit la pièce.

— De la visite  ! fit une voix de femme.