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Malgré moi, j’ai fait un signe impératif de la main.

— Taisez-vous, ne parlez pas si fort  ! Il est inutile qu’ils nous entendent.

Elle triompha.

— Vous voyez  !

— Vous avez l’imagination trop fertile. Ces deux jeunes gens sont malheureux… Elle est enceinte et ils ont des histoires assez ennuyeuses. Ils ne resteront pas éternellement. Si vous le voulez, je vous ferai servir dans votre chambre et vous les éviterez le temps de leur séjour.

Mais elle secouait la tête avec obstination.

— Edith, je vous connais. Vous n’aimez pas cette pagaïe qu’ils apportent avec eux, ce négligé… Oui, oui. Au début de mon installation ici, j’avais de petites négligences et vous m’avez habilement corrigée. D’eux vous supportez cent fois plus. Je ne suis pas jalouse, mais tout de même… Il y a autre chose.

Soudain elle se dressa.

— Edith, s’il le faut je vous défendrai contre vous-même. Si mon fils m’entend il doit…

— Je vous en prie.

J’étais lasse.

— Ne mêlez pas Jacques à cette histoire. J’ai eu tort de les accueillir mais ne compliquez pas les choses par-dessus le marché. Vous allez rentrer vous coucher. Enfermez-vous à clé si vous le voulez…

— Comme vous  !

Cette interruption me déconcerta. C’était vrai. Pour la première fois de ma vie j’avais tourné la clé de ma chambre. C’était un geste idiot.

— Rentrez dans votre chambre, voulez-vous quelques gouttes de calmant  ?

— Non… Je déteste cette digitaline. Je ne peux m’endormir et je vis dans les transes.

— Venez, je vous accompagne.

Comme j’ouvrais la porte, Philippe apparut dans la zone de lumière. Il était torse nu, simplement vêtu de son pantalon.

— Quelque chose ne va pas  ?

Contre moi, je sentis le corps de ma belle-mère s’appesantir. Elle poussa un petit gémissement et je ne pus la retenir. Elle glissa doucement sur le carrelage du corridor.

— Qu’a-t-elle  ?

— Un malaise. Le cœur… Elle était venue me le dire.

Philippe lui jeta un regard scrutateur, puis me regarda.

— Qu’est-ce qui lui a causé ça  ?

En me baissant vers ma belle-mère j’évitais de lui répondre. Elle avait les yeux ouverts et son visage paraissait épouvanté.

— Nous allons vous conduire à votre chambre.

— Edith, je vous en prie… Pas lui…

Mais Philippe la soulevait sous les bras et la forçait à se mettre debout. Je la soutins d’un côté et nous avons réussi à la conduire jusqu’à son lit. Immédiatement j’ai compté quelques gouttes de digitaline dans un verre d’eau et je l’ai aidée à boire.

Elle finit par s’apaiser. Philippe avait observé tous mes gestes.

— Que lui donnez-vous  ?

— De la digitaline.

Il hocha la tête. Dans le corridor, il agrippa mon bras avec dureté.

— Pourquoi semblait-elle avoir peur  ?

— Elle est très émotive. Un rien la bouleverse, ai-je répondu sur le ton le plus tranquille.

Mais je me suis rendu compte qu’il n’était pas convaincu.

CHAPITRE IV

Avant la fin de la semaine, le vendredi exactement, Hélène m’annonça qu’elle me quittait.

— Il m’est impossible de continuer mon service dans ces conditions, madame.

— Quelles conditions  ?

Ma voix tremblait un peu en lui demandant des éclaircissements.

— Ils me surveillent. Hier, M. Philippe m’a demandé à combien se montait ma ristourne chez les commerçants et aussi…

— Quoi donc  ?

— Il m’a accusée de piller le réfrigérateur. Vous savez bien que c’est faux  ?

J’ai murmuré un «  bien sûr  » sans enthousiasme. Hélène avait toujours été au-dessus de tout soupçon. Elle m’a regardée avec tristesse.

— Vous n’êtes pas convaincue, madame  ? Il vaut mieux que je m’en aille.

Brusquement la colère m’a prise et je me suis dirigée vers leur chambre.

— Entrez  ! m’a dit Philippe.

Ils étaient tous les deux au lit. Fanny nichait sa tête dans l’épaule du garçon. Il faisait tellement chaud dans la pièce qu’ils avaient tous les deux la poitrine nue. Aucun ne parut gêné de leur tenue.

— Qu’y a-t-il  ?

J’ai explosé au sujet d’Hélène. Ils m’ont écoutée tranquillement sans m’interrompre. Devant ces visages sans expression j’ai fini par me sentir ridicule.

— Elle s’en va, alors  ? a dit Fanny avec satisfaction. Ne vous en faites pas, Edith, je vous aiderai à faire le ménage.

— Mme Leblanc mettra la main à la pâte, a ajouté Philippe. Cela lui fera du bien.

Ils décidaient. Dans ma propre maison  !

— Ce n’est pas Hélène qui va partir, mais vous, et immédiatement  !

Il a pris un air ennuyé.

— Voyons  ! ne recommencez pas. Si Hélène s’en va, c’est qu’elle n’a pas la conscience tranquille. Je n’ai jamais vu une femme de ménage se refusant aux petits profits. Êtes-vous vraiment certaine de son honnêteté  ?

— Je vous somme de vous habiller et de quitter cette maison dans l’heure qui suit.

Philippe s’est assis sur son lit. Le drap lui couvrait juste le bas-ventre. Son torse était maigre, mais musclé et brun.

— Je ne vous comprends pas, Edith. Il y a cinq jours que Fanny est ici, quatre que je l’ai rejointe, et vous décidez brusquement de nous faire partir  ? Quelle mouche vous pique  ? Je vais aller parler à Hélène. J’ai l’impression que vous avez peur d’elle et que vous n’osez pas la mettre carrément à la porte.

C’était d’eux que j’avais peur, eux que je n’osais pas renvoyer malgré mes cris et mes menaces. Mais était-ce réellement de la peur  ? Plutôt une avide curiosité pour l’avenir qui nous attendait tous les trois si nous restions ensemble.

— Vous allez économiser l’argent que vous lui donnez. Nous mettrons tous la main à l’ouvrage, dit Philippe. Ce sera même très amusant. Je peux très bien faire les courses. Vous Edith vous vous occuperiez de la cuisine et Fanny, aidée de votre belle-mère, de la maison.

— Je vais au poste de police le plus proche leur demander de venir vous expulser.

Philippe a pris son paquet de cigarettes sur la table proche et en a allumé une.

— Expulser simplement  ? C’est qu’ils vont nous poser des tas de questions. Nous serons bien obligés de leur indiquer que vous étiez au courant de tout.

— Personne ne vous croira. Je suis honorablement connue dans le quartier et…

Il a eu un petit sourire en coin.

— Le croyez-vous  ? Vous avez eu deux amants depuis la mort de votre mari. Les mauvaises langues… Et puis vous fréquentez les milieux bohèmes.

Brusquement me revinrent en mémoire toutes les propositions que j’avais repoussées depuis mon veuvage. Des dames patronnesses m’avaient demandé de me joindre à elles. De même, j’avais refusé de participer à des bridges, à des thés, à des réunions féminines. J’eus l’impression d’avoir accumulé les gaffes en quatre années. Mes voisins me saluaient mais je n’entretenais aucune relation avec eux. Philippe me faisait découvrir le personnage que je représentais pour cette partie de la ville. On devait dire de moi que j’étais fière, coquette, mystérieuse. Tout cela parce que j’avais craint d’aliéner ma liberté, de vieillir maussadement en compagnie de gens médiocres.

— Comprenez-vous  ? me demanda Philippe.

J’étais paralysée. Il n’existait au monde aucune personne pour prendre ma défense. Hélène fuyait la première, Mme Leblanc se réfugiait dans sa peur et rien ne l’en ferait sortir. Je me voyais mal aller au commissariat, expliquer que deux jeunes gens s’étaient installés chez moi et refusaient d’en sortir. On me conseillerait certainement de me débrouiller seule. Les dénoncer  ? Il y avait une semaine que le père Chaudière avait été attaqué et volé. Je deviendrais immédiatement suspecte. Même si on me laissait en liberté, ma vie deviendrait rapidement intenable.