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Les combattants spécialisés, les commandos spéciaux du 11 sont donc des agents clandestins formés aux techniques terroristes pour mieux les reconnaître, les infiltrer et les combattre. On trouve dans nos rangs des militaires de toutes catégories et de toutes armes et armées. Parfois même des civils peuvent parvenir à s’y engager directement et suivre l’intégralité d’un cursus initial. Le fléau actuel nécessite que l’on renforce ses rangs. Il ne peut y avoir de considérations économiques en la matière. Il s’agit de l’arme personnelle et secrète du président et de la survie d’une Nation, de sa culture et de ses principes fondamentaux. La France réduirait l’éventail des opérations militaires et paramilitaires qu’elle est capable de déployer aujourd’hui si la culture si spécifique du SA, son savoir-faire presque artisanal, se diluait dans une grande unité classique, fût-elle une unité des forces spéciales.

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Alias Rainier

La formation initiale au CPIS, obligatoire pour tout le monde, dure une année. À mon époque, à la fin des années 1990, elle est intitulée « formation de guerre spéciale » — tout un programme ! S’adaptant en permanence aux orientations opérationnelles du moment, elle peut connaître des variantes et même changer de nom. Elle intègre une série de tests physiques, dont des missions d’entraînement en montagne, dans le désert et la jungle. Elle est complétée les années suivantes par plusieurs formations spécialisées du type protection présidentielle, insurrection/contre-insurrection, guérilla/contre-guérilla, navigation terrestre, etc. À chacune correspondent des niveaux différents qui sont souvent ceux d’équipier, chef d’équipe et chef de détachement. Ce qu’il faut comprendre c’est que le grade ne joue pas un rôle prépondérant dans cette famille. Le plus compétent reçoit toujours le commandement du détachement… Ainsi il n’est pas impossible d’être un officier et de se trouver pour une occasion sous les ordres d’un caporal-chef. C’est pour cela que nous parlons plus volontiers d’« équipiers », les grades étant des contraintes plus administratives et structurelles qu’opérationnelles.

Au bout d’une année et demie de cursus initial, l’équipier de guerre spéciale recevra son brevet de moniteur combat spécialisé (MCS). Ce premier échelon, déjà très restrictif, ne sanctionne que les meilleurs, les plus intelligents, les plus résistants, les mieux adaptés à nos métiers. Ce brevet de couleur bronze est chichement attribué tant la sélection est impitoyable jusqu’aux derniers jours du cursus initial. Ensuite, l’équipier peut avec les années se découvrir des facultés particulières et des dons pour se spécialiser dans différentes filières. Au fil du temps les équipiers MCS gravissent des niveaux de compétence et surtout de responsabilité qui se traduisent par des brevets de couleur argent et or.

Première chose à faire, l’une des plus symboliques, en franchissant les portes de la citadelle de Perpignan : choisir un pseudonyme. Je regarde attentivement la liste que j’ai sous les yeux. Elle comporte une dizaine de propositions. Je choisis Rainier, sans raison particulière, ni fascination secrète pour la famille royale monégasque, simplement parce que la sonorité me plaît. J’ai l’impression de prendre mon envol. Je me débarrasse de mon prénom comme une chenille laisse sa chrysalide pour se transformer en papillon. Au 11, terminé Jean-Marc, ou même « lieutenant », tout le monde m’appelle Rainier. Mes camarades sont logés à la même enseigne : chez nous, pas de « sergent » ni de « colonel », seulement des Paul, Dany, Célestin — exclusivement des noms d’emprunt. L’un de mes camarades porte même son choix sur Obélix ! L’objectif est d’éviter de connaître le vrai prénom des gens qui nous entourent, ceux avec lesquels nous travaillons.

Je n’utilise mon pseudo qu’au centre d’entraînement, à Perpignan. En mission, c’est une tout autre histoire : vrais-faux papiers, vrais-faux passeports, je m’abrite derrière ma légende, l’histoire brodée de toutes pièces par chaque équipier pour lui permettre d’agir clandestinement. Je ne suis plus Jean-Marc, je ne suis pas non plus Rainier. J’ai un nouveau prénom, un nouveau nom de famille, une nouvelle vie avec un autre métier, un autre domicile, des hobbies, un compte bancaire, des proches ou non… Bref, exactement comme le ferait n’importe quel chef de cellule terroriste animé de mauvaises intentions. J’y reviendrai.

Au CPIS, le père de mon camarade venu discrètement m’évaluer au 6e RPIMA devient en quelque sorte mon parrain. Je me jette corps et âme dans la formation de guerre spéciale. Je suis heureux, j’ai le sentiment euphorisant de concrétiser et de vivre un rêve d’enfant. Bien que nouveau venu, je suis intarissable sur la « philosophie » du 11. Le CPIS réussit l’exploit de combiner les approches choc et Jedburgh. Le choc, c’est l’assaut armé, le corps à corps violent, le contact militaire dans ce qu’il a de plus dur, de plus brutal. La philosophie Jedburgh, elle, est à l’opposé : elle repose sur l’art de l’esquive, de la furtivité, mais aussi, quand l’occasion se présente, de l’embuscade et du coup fourré, de l’organisation de réseaux à fin de renseignement, de soutien logistique ou d’action, le tout se déroulant toujours dans la clandestinité…

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les commandos Jedburgh décollaient d’Angleterre. Ils étaient largués derrière les lignes allemandes avec presque rien sinon ces deux objectifs : nuire à l’ennemi de quelque façon que ce soit ; organiser et former les maquis. Beaucoup plus que du choc, j’ai toujours eu le culte des Jedburgh. Des éléments totalement autonomes, isolés, sans appui ni soutien, chargés avec trois bouts de ficelle d’affaiblir l’adversaire et de structurer la Résistance. Agir dans la clandestinité, ne compter que sur soi-même et réaliser des miracles avec le seul contenu de son sac à dos, me voilà dans mon élément. Mais au CPIS les deux aspects vont de pair. Cette ambivalence est au cœur même de notre formation et nous oscillons toujours entre l’un et l’autre. D’un côté le rouleau compresseur, le choc qui, une fois lancé, est une arme de destruction massive. De l’autre la discrétion absolue, la souplesse des Jedburgh qui refusent le contact, neutralisent l’ennemi, détruisent leur cible ou le font faire puis se replient furtivement. Sur le terrain, posséder cette double philosophie dans son jeu est un atout majeur. Les équipiers du CPIS la possèdent tous.