Nous disposons d’armes françaises, mais aussi beaucoup d’étrangères. Au CPIS l’idée est d’avoir entre les mains tous les armements utilisés aux quatre coins du monde et susceptibles d’être récupérés sur le terrain dans un cadre clandestin ou dans un milieu insurrectionnel. M16, kalachnikov, SIG-Sauer, FAL (fusil automatique léger), fusil-mitrailleur, fusil de tireur d’élite, lance-roquettes : je me sens à l’aise avec chacun. Il faut savoir les démonter, les nettoyer et les remonter, de jour comme de nuit. La première année, j’effectue des journées complètes au tir, de midi à minuit, mais aussi de longues sessions nocturnes. Tous les tirs sont effectués à balles réelles, et avec l’équipement de combat, y compris le sac à dos. Il faut pouvoir se plaquer au sol, appuyer son équipier, discriminer la cible… À la fin de chaque séance, j’entends le cliquetis du tapis de cartouches sur lequel je marche. Pendant un an, je tire des milliers et des milliers de balles. Bien sûr, il ne s’agit pas de consommer des munitions pour le plaisir, mais d’acquérir des réflexes, de posséder un niveau d’aisance maximum qui permet de ne jamais oublier. Pour devenir une fine gâchette sans avoir recours aux artifices techniques de type pointeur laser, je ne connais qu’une seule méthode : pratiquer. Cependant les périphériques de l’arme sont très répandus maintenant et il n’est plus très original de s’en procurer.
Sur le terrain, ces heures passées à s’entraîner peuvent vous sauver la vie. Elles sont également indispensables pour évoluer en formation, être un équipier sûr pour son environnement et ses partenaires. En mission, un détachement peut en effet être amené à faire feu dans toutes les conditions. Soit lors d’un assaut, soit lors d’un repli, avec des tirs de rupture de contact. Le groupe doit attaquer ou riposter de façon organisée, sous peine de toucher l’un de ses propres membres. Au bout d’un an, je suis très performant l’arme à la main, comme tous les équipiers, et chacun sait se comporter collectivement dans une opération sans risque de blesser le voisin.
La formation de guerre spéciale comporte aussi plusieurs modules commando. Au programme : franchissement d’obstacles — ravin, crevasse, barre rocheuse, cours d’eau — avec des moyens de fortune, sans oublier la mise en place aéroportée. J’ai effectué une formation réglementaire de parachutiste avant d’intégrer le 11, mais un des parachutes que nous utilisons au CPIS est spécifique à notre unité et permet de s’extraire d’un avion à très faible hauteur. Alors que la voile de l’armée française autorise des parachutages à trois cents mètres, celle du 11 permet des sauts à quatre-vingts mètres. À une hauteur si faible, la descente ne dure qu’entre trois et cinq secondes, selon le gabarit des personnes. La première fois, mon parachute s’ouvre et j’ai instantanément l’impression de toucher le sol. Viennent ensuite les modules commando augmentés, en bref toute la formation choc. Le fracas des armes, de l’action pure et dure : reconnaissance, intervention, assaut sur un objectif, destruction de cibles à l’explosif, libération d’otages, extraction de personnels ou de forcenés.
Toute l’originalité est là : nous sommes nos propres instructeurs et nous formons aussi parfois nos alliés. C’est la partie moniteur du brevet MCS. Le CPIS, c’est autant un groupe, une bande, une horde qu’un centre de formation. Ceux qui sont passés par là quelques années plus tôt, qui ont acquis de l’expérience sur le terrain ensuite, forment les petits nouveaux qui débarquent. Et ainsi de suite… Même si le centre porte le nom de « centre parachutiste d’instruction spécialisée », c’est moins une école qu’une unité hautement opérationnelle qui se forme elle-même en permanence. Notre compétence est d’ailleurs reconnue et nous servons de professeurs à des éléments extérieurs très connus. Les gendarmes du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et les commandos de marine viennent faire une partie de leur formation initiale au CPIS.
À côté des armes, la formation de guerre spéciale comprend également un entraînement au combat corps à corps. Les cours sont intitulés « techniques utilitaires ». Il ne s’agit pas d’un art martial ou d’un sport de combat en particulier, plutôt d’un mélange qui emprunte à toutes les disciplines. Cette synthèse nous est utile dans les conditions de combat qui sont les nôtres, lourdement chargés, avec un gilet rempli de matériel, un sac à dos ou un fusil-mitrailleur à l’épaule. Cela n’empêche pas plusieurs équipiers de se spécialiser — boxe française, boxe thaïe, full-contact, judo, karaté — et même de devenir champions de leur catégorie. Les structures sportives du CPIS sont libres et je constate que le stade et le gymnase ne désemplissent pas. Les équipiers savent ce qu’ils doivent faire, ils sont autonomes. Les opérations sont la continuité de la vie à la citadelle. Une unité impliquée et méticuleuse où tout se passe sans heurt.
Ceux qui nous dénigrent — il y en a de moins en moins — nous reprochent généralement notre indépendance d’esprit et notre absence de formalisme. Ceux qui nous raillent ne comprennent pas notre mission et se satisfont d’amalgames rapides. En fait, après avoir retourné la question dans tous les sens, j’ai finalement compris que ceux-là ne connaissent pas le 11 mais nous voient comme des concurrents. Ils ont peut-être un jour eu des démêlés avec un agent du SA et se sont promis de régler leurs comptes, une fois nommés à des postes de responsabilité ; peut-être ont-ils été exclus de la formation ou n’ont-ils même pas franchi le cap de la sélection. Alors, ils jalousent nos moyens, nos formations en nous traitant d’« enfants gâtés », d’« éternels insatisfaits ». L’alchimie du choc et du panache discret a le don d’agacer.
La vérité, c’est que ni mes équipiers ni moi ne nourrissons aucune rivalité avec les autres unités. Pourquoi ? Parce que — c’est peut-être prétentieux de le dire — nous nous sentons très différents. Les autorités militaires elles-mêmes, d’ailleurs, ne comprennent la plupart du temps rien à notre fonctionnement. Dans l’armée française, au final, peu de chefs d’état-major savent exactement ce qu’est le service Action. La France mène des guerres à l’étranger pour la sauvegarde de nos valeurs et principes fondamentaux en utilisant les combattants spécialisés qui sont exposés à des dangers bien plus sournois à l’intérieur même de leurs murs.
Notre tutelle administrative est la DGSE. C’est elle et elle seule qui décide de notre emploi, ou alors le président de la République en personne. De quoi attiser quelques haines coriaces… Ignoré ou adulé, le CPIS a toujours été jalousé. Au point, je l’ai dit, d’avoir été dissous plusieurs fois… avant d’être recréé quelques années plus tard. Preuve que cette unité unique est vitale pour le pays.
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Le Bureau des légendes
Avis aux curieux, le CPIS les rendra très malheureux. C’est l’une des règles d’or au centre : les équipiers doivent avoir les yeux et les oreilles grands ouverts à l’extérieur, mais pas question de fourrer son nez partout à l’intérieur de la citadelle ! Il en va de notre sécurité individuelle et collective. Un espion ne doit pas savoir ce qui se passe sur le bureau du collègue d’à côté, pas plus qu’il n’a théoriquement à connaître son identité réelle — raison pour laquelle nous utilisons des pseudos.