Выбрать главу

Nous décidons que les directeurs sûreté seront dans l’avion qui me rejoindra à Bamako afin de déclencher la récupération des otages. Ils attendront dans la capitale malienne que je leur donne le top départ pour retrouver les ex-otages et moi sur la base de Niafunke où une piste en latérite est disponible. Il ne restera que la partie communication à gérer avec le président malien Amadou Toumani Touré, surnommé ATT, et l’ambassade de France. Dans une semaine, les trois otages seront libérés et nous pourrons passer aux otages suivants.

Le jour du départ pour Bamako est arrivé. Demain matin, avec Ahmada et Adaman, je préparerai les véhicules qui ont été achetés et équipés à cet effet. Le soir, nous réceptionnerons l’avion et les directeurs sûreté et nous démarrerons notre périple pour la récupération des trois futurs-ex-otages.

Le moment venu, nous nous apprêtons à nous rendre à l’aéroport. Un Touareg me rejoint. Il semble très embêté. « Jean-Marc, il y a un problème… Le président ATT a interdit à notre avion de se poser à Bamako. Nous ne comprenons rien. Un Français est venu spécialement de Paris et l’a rencontré en fin d’après-midi. À l’issue de l’entretien, ATT a interdit l’atterrissage de l’avion de Vinci. De plus, il a orienté le Français vers Ahmada : il lui a dit de travailler avec lui sur les otages et lui a donné son numéro de téléphone. Ahmada a refusé. »

L’annonce de cette situation imprévue me fait l’effet d’une bombe. Que se passe-t-il ? Qui est ce mystérieux Français ? Qu’a-t-il confié au président malien ? Pourquoi ATT empêche-t-il l’avion de Vinci de se poser ?

Je rejoins Ahmada qui me confirme ces informations sans connaître l’identité de la personne. Mais il me livre son numéro de téléphone que je communique à Jean-François Laugerette, en plein désarroi depuis qu’il a appris que l’avion ne décollerait pas de Paris. Quelques minutes plus tard, le numéro est identifié. Il appartiendrait à un certain Guy Delbrel, directeur Afrique d’Air France…

Cette personne m’étant inconnue, je décide de chercher sa photo sur Internet. J’imprime son portrait, ainsi que ceux de deux autres personnes anonymes, pris au hasard. Lorsque je montre les photos à Ahmada, il reconnaît immédiatement Guy Delbrel. À ce stade, je suis un peu désarçonné. Quelle peut-être la relation entre ce Parisien et notre négociation ? Je m’en ouvre auprès de Laugerette qui ne comprend pas non plus. C’est une vraie catastrophe.

Il ne nous reste plus qu’à annuler l’opération, avertir Abou Zeid que nous avons un contretemps et que nous passons au plan de secours. Il nous faudra presque un mois pour aboutir au plan B. Mais avant cela, il est nécessaire de me rendre à Paris pour comprendre ce qui s’est passé et préparer la seconde opération.

Anne Lauvergeon est dépitée. Celle qui semble si indestructible d’ordinaire accuse le coup. Elle a son idée sur l’origine de la fuite mais reste de marbre. Avec Xavier Huillard, ils pensent déjà au plan de secours et, cette fois, personne ne sera au courant… Une solution complexe car je dois entrer dans un dispositif que je sais désormais totalement miné, sans avoir clairement identifié les poseurs de mines… C’est délicat. La DGSE ne bronche pas, elle invite seulement les présidents des entreprises à jouer ma nouvelle carte le plus vite possible et en prenant toutes les mesures de discrétion possibles et imaginables. De mon côté, j’active quelques antennes parisiennes et maliennes afin de tenter de débroussailler le champ de ronces qui se développe dans mon dos. Le temps presse. Abou Zeid ne doit pas avoir le moindre doute sur la suite de l’opération. Nous le prévenons que, par mesure de sécurité, nous « emprunterons un autre chemin » qui nous prendra deux à trois semaines. Nous demandons à Abou Zeid de ne pas en parler autour de lui.

Mais nous ne savons pas, à ce moment précis, si la fuite provient du côté français, malien ou d’AQMI via Belmokhtar, ou tout cela à la fois. Dès lors, nous serons obligés de dévoiler le protocole de secours au fil de son déroulement et à mesure que les besoins se présentent. Je prépare un lexique de mots chiffrés afin de crypter les conversations téléphoniques et satellites que j’aurai avec Jean-François Laugerette. Même lui ne connaît pas l’intégralité du parcours. Il sera mon seul interlocuteur afin de réduire les risques d’interception d’informations. Ne s’agissant pas d’une négociation entre États, la DGSE n’est pas partie prenante dans le montage de l’opération. Elle propose néanmoins son aide dans des secteurs qui nous font défaut. Je n’ai demandé qu’une seule chose à mon ancien employeur : surveiller mes arrières et mon environnement, car je sais maintenant que l’air est vicié autour de nous. La DGSE s’engage finalement à prévenir les entreprises de toute anomalie détectée par elle dans mon environnement. Je pars rassuré, d’une certaine façon.

Afin de brouiller les pistes, je me rends au Niger sur la base de Sogea-Satom, à Niamey, où ma société assure la supervision sûreté d’un chantier routier. Rien ne laisse présager que nous préparons une nouvelle opération. Au même moment, Ahmada et Adaman se sont rendus dans le Nord-Mali pour avertir Abou Zeid de notre arrivée. La date et l’heure de notre futur rendez-vous seront déterminées lors de notre prochain appel après la récupération des éléments de négociation.

Le point clé de cette récupération réside dans le fait que je pars sans rançon. Je ne dois rien laisser de compromettant dans mon véhicule compte tenu des incertitudes qui pèsent autour de nous. J’ai décidé de demander à Vinci de me larguer la rançon par avion. Je les préviendrai la veille au soir afin de limiter la capacité d’interprétation des communications et le temps de réaction… Car mes adversaires dorment la nuit et consultent leurs synthèses d’information au petit matin, enfin plutôt vers 10 heures. Lorsqu’ils se rendront compte qu’il se trame quelque chose, ce sera trop tard et presque déjà fini. Avec un peu de chance, ils n’y verront que du feu.

Mi-février. Nous voici enfin prêts pour le déclenchement de la mission. Nous sommes vraiment proches du but et je réalise que rien n’a changé. Je reste toujours un agent secret… bien malgré moi.

Les kilomètres défilent sous les roues des nos pick-up équipés comme des engins de guerre qui filent dans le sable et les cailloux. Les Touaregs qui constituent notre escorte sont tous des combattants aguerris. Les visages enturbannés et les esprits rivés sur le but à atteindre.

L’opération est lancée mais, resté à Paris, Jean-François Laugerette l’ignore encore. Il se doute de l’imminence de mon appel mais ne sait rien de plus. Il dort avec sa feuille de mots codés sur sa table de chevet. Son téléphone toujours en charge, il connaît les numéros importants pour le suivi logistique. Ce soir, nous serons dans le Nord-Mali, à mi-chemin entre la frontière nigérienne et Tin-Essako pour y rencontrer un contact. Abou Zeid sera informé de notre présence dans la région par estafette et non par téléphone. Rien ne doit filtrer. Je brûle d’impatience de prévenir Laugerette que l’opération a commencé mais le risque est trop grand… J’attendrai le dernier moment.

Nous arrivons au point de rendez-vous intermédiaire. Ahmada descend du véhicule et grimpe sur une petite dune de sable. Son grand gabarit ne l’empêche pas de courir jusqu’à son sommet. Le sable chaud et fin comme de la farine dévale sous ses pas, mais il se retrouve en un rien de temps debout sur la dune. Il scrute les environs car quelqu’un doit se trouver non loin de ce point. Soudain, il aperçoit un autre pick-up. Moment d’incertitude. Échange de signaux. C’est bien lui. Ahmada partira seul à sa rencontre et reviendra quelques minutes plus tard, soulagé. « Tout est en ordre, on peut continuer. »