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Nous avons un peu d’avance sur le planning. Il nous reste à identifier un point de largage pour la rançon. Nous avions convenu d’une zone, sur la frontière entre le Mali et le Niger. Le jour décline lentement et nos pick-up filent tout droit vers le Niger. Moins d’une heure plus tard, nous y sommes. Il n’y a rien, seulement du sable à perte de vue. Devant nous, un amas relativement plat de sable dur et de rochers, de plus de trois cents mètres de diamètre, entouré de dunes. Ce sera parfait. Nous récupérons les coordonnées GPS de l’endroit choisi, que j’enverrai demain soir à Laugerette pour un largage après demain matin. Ce soir, il est trop tard pour déclencher le décollage de l’avion. Nous sommes satisfaits de cette première phase qui se déroule pour le mieux. Nous décidons de quitter les lieux pour ne revenir que demain en fin d’après-midi et simuler une panne, au cas où un improbable véhicule passerait par là.

À Paris, il est déjà 18 heures, les fonctionnaires s’apprêtent à quitter leurs bureaux. Toute interception faite ce soir ne sera identifiée que demain et interprétée plusieurs heures plus tard. En cas de fuites, ce sera déjà trop tard pour mes adversaires. Je décide de connecter mon téléphone satellite. À partir du moment où je me serai entretenu avec Jean-François Laugerette, l’opération commencera du côté parisien. Son téléphone sonne, il décroche. Les phrases que j’ai préalablement préparées sont courtes et utilisent les mots codés convenus… Il y en a deux pages complètes. Pour des mots utiles et aussi pour les chiffres permettant de transmettre les coordonnées et les horaires — « médecin » pour « escorte » ; ou encore « représentant Air France » pour « Abou Zeid », etc.

Je peux ressentir le stress de Jean-François dans ses silences. Il craint de mal entendre les mots de code et me fait répéter. De sa compréhension des coordonnées dépend le succès de l’opération. « Ok compris, me dit-il, à plus tard. » Jean-François doit maintenant décrypter mon message et le remettre physiquement au pilote qui est chargé de conduire le chargement à bon port. Il faudra déposer un plan de vol le plus anodin possible dans la soirée et survoler la zone de largage que je viens de communiquer, à une heure qu’il doit encore me préciser.

Moins de trois heures plus tard, Jean-François me rappelle. Je décrypte à mon tour : « Demain matin, 7 h 12, venant de l’est… »

Nous sommes sur place avec notre faux véhicule en panne et attendons patiemment. Les Touaregs feront un petit feu pour préparer un repas léger, ainsi que du thé. La lune et les étoiles illuminent la voûte céleste. Le spectacle est magnifique et nous nous relayons pour dormir en attendant l’heure fatidique.

Nous avons déployé plusieurs turbans de couleur brique sur le sol, au centre de la zone de largage, pour former une croix visible du ciel. Un petit feu est entretenu à côté, afin de donner la direction du vent. 7 h 00. Toujours aucun bruit et Ahmada me demande si je suis certain de mon décryptage. Je n’ai pas fini de répondre que, déjà, Adaman se lève et désigne le soleil levant.

À l’horizon, en plein milieu de l’astre rougeoyant, se détache la forme floue de l’avion qui fonce sur notre position. 7 h 12 exactement à la verticale. Les Touaregs n’en reviennent pas. Un avion blanc étincelant, sans aucune livrée, se présente à basse altitude dans l’axe du soleil levant. C’est magique ! Un premier passage assez haut pour observer, puis un second plus bas, pour m’authentifier. Tout est OK.

Je peux voir la porte latérale ouverte et les deux paquets qui en sortent tirant derrière eux les élévateurs des parachutes. Les deux coupoles se déploient. Deux gros paquets descendent du ciel. Nous courons les récupérer avant que le vent ne les entraîne au fin fond du désert. Les voiles sont maintenant dégonflées et l’avion refait un dernier passage à basse altitude en battant des ailes pour nous saluer avant de poursuivre sa route.

Je détruis immédiatement les parachutes en les brûlant sur place. À l’intérieur, deux gros sacs de sport noirs qui pèsent chacun un âne mort et m’arrivent presque à la hanche. Ils contiennent la somme demandée en billets de 50, 100, 200 et 500 euros, car Abou Zeid a exigé des petites coupures. Je les charge dans mon pick-up et nous reprenons aussitôt la route vers le point de rendez-vous avec AQMI. Nous devons absolument nous placer le plus vite possible sous la « protection » de l’émir afin d’éviter les potentielles manœuvres de Mokhtar Belmokhtar.

J’arrive au lieu de rendez-vous fixé avec les hommes d’AQMI et je délivre ma précieuse cargaison. Cinq djihadistes ouvrent les sacs en déversant le contenu sur une natte. Je reste là, à vingt mètres d’eux, à les regarder compter et recompter la rançon durant une journée entière. Ils ont l’air ravis : le compte est bon ! L’un d’eux saisit son téléphone et appelle Abou Zeid : « Nous avons tout ce qu’il faut. » L’émir en rendra compte à Droukdel, son chef algérien. J’apprendrai plus tard que cette communication a été interceptée par la DGSE et c’est une information décisive : certains qui me veulent du mal ont fait courir le bruit que j’avais pioché dans la rançon… C’est évidemment une pure calomnie, mais il a fallu que la DGSE le confirme aux deux présidents d’Areva et Vinci qui semblaient avoir besoin de certitudes à ce sujet. Je n’ai pas apprécié qu’on doute de moi et, depuis ce jour, tout a changé…

Les cinq djihadistes me conduisent jusqu’à un oued à sec où nous retrouvons Abou Zeid buvant le thé avec ses combattants. Nous échangeons quelques mots et le chef d’AQMI me dit que les otages sont en route. J’attends — rien d’autre à faire. Une première nuit passe, puis une journée entière. Dans la soirée, les hommes d’Abou Zeid m’informent que Françoise arrivera dans la nuit. Et effectivement, vers 4 heures du matin, elle est amenée sur place, mais tenue à l’écart. Je n’apprends qu’elle est là que le lendemain, une fois levé. « Si vous voulez lui parler, me dit un djihadiste, vous pouvez. Les deux autres otages arriveront bientôt. » Je m’avance vers Françoise, qui me fait face avec son ballot de vêtements. C’est une émotion extrêmement forte, que je n’oublierai jamais. Je lui dis : « Bonjour, je suis Jean-Marc, je suis envoyé par Satom et maintenant vous êtes libre. » Elle ne s’effondre pas du tout. Sa première pensée est pour Daniel, son mari : « Est-ce qu’on va le récupérer ? » Je lui garantis que nous ferons tout pour y arriver. Une promesse qui jouera un grand rôle, plus tard, mais je ne le sais pas encore…

Il faut encore attendre que le Togolais Alex Kodjo Ahonado et le Malgache Jean-Claude Rakotoarilalao, qui n’étaient pas dans le même camp que Françoise, nous rejoignent. Je donne quelques explications supplémentaires à Françoise concernant la mission que les sociétés m’ont confiée et je la rassure sur la ferme intention de Satom et Areva de récupérer tout le monde. Par bonheur, elle se trouve en parfaite santé, un peu amaigrie mais surtout terriblement inquiète du sort qui sera réservé à son époux Daniel, obligé de rester là-bas. Je la laisse reprendre ses esprits et lui demande de ne parler à personne et de ne poser aucune question, consigne qu’elle applique à la lettre. Je réussis même à la faire sourire en lui parlant de la nourriture qui n’est pas terrible… et qui ne sera guère meilleure durant les trois jours de traversée des mille cinq cents kilomètres de no man’s land qui nous attendent.

Nous devons patienter toute la journée, parce que Alex et Jean-Claude étaient détenus dans un lieu très éloigné de notre position. La nuit venue, vers 23 heures, les deux otages sont enfin là. Abou Zeid me les amène en personne et son interprète me dit : « Voilà Alex et Jean-Claude, prends-les. » Les hommes sautent dans notre pick-up, que nous avions préparé pour eux. Ils paraissent atterrés. Nous avons très peu de temps pour faire connaissance et je leur livre les mêmes consignes que celles déjà intégrées par Françoise qui se trouve assise à mes côtés, ceinture de sécurité attachée. Mais à ce moment-là, Abou Zeid s’approche. Alors que je suis en train de récupérer les affaires d’Alex et Jean-Claude et de les installer, j’entends le chef d’AQMI demander à parler à Françoise qu’il a pourtant vue dans la journée. Elle descend et il s’éloigne avec elle, suivi de son interprète. Mon sang se glace, j’ai l’impression que tout peut soudainement basculer. Heureusement, Abou Zeid et Françoise reviennent déjà et elle reprend place à l’intérieur du 4×4. Elle me dira que l’émir d’AQMI était très intrigué par le fait qu’elle consente à partir sans son mari. Interloqué, aussi, que j’aie accepté de diviser le couple. Je crois qu’il voulait comprendre notre façon de fonctionner, de raisonner sans doute pour pouvoir mieux nous manipuler ensuite. Je crois aussi, d’une certaine façon, qu’il souhaitait dire adieu à Françoise.