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À présent, filer sans perdre de temps. Ne surtout pas prendre le risque qu’Abou Zeid change d’avis. Dans le désert, les djihadistes peuvent encore facilement nous tomber dessus, surtout l’opportuniste Mokhtar Belmokhtar qui ne recule devant rien. Par principe, je modifie notre itinéraire de retour à la dernière seconde. Au lieu de descendre directement sur Niamey, la capitale du Niger, par le chemin le plus court, je décide de filer par le nord. Les alliés de Belmokhtar ne s’attendent pas à ce que je passe par l’Algérie. Il est vrai que c’est risqué, mais beaucoup moins que de retomber dans un traquenard comme la fois précédente. Une opération de libération menée par un ex-colonel du SA qui tourne mal… cela ne choquerait personne. Inutile de tenter le diable.

Le convoi de nos trois pick-up surarmés et surpuissants effectue un raid de plusieurs heures le long de la frontière côté algérien, pour rejoindre le Niger. Les trois vaisseaux du désert filent à tombeau ouvert dans les grandes étendues désertiques, en laissant derrière eux un épais nuage de poussière. Priorité à la vitesse car je veux éviter les douaniers algériens qui sont, eux aussi, très bien équipés. Le raid durera deux jours complets. La nuit — luxe suprême ! — , j’installe pour les otages libérés des petits matelas gonflables avec une couverture — un modeste confort oublié pendant leur captivité.

Nous parvenons enfin à l’endroit où le même avion qui m’a largué la rançon doit nous récupérer.

Nous sommes descendus le long de la frontière, du côté nigérien, jusqu’à une piste de fortune en latérite abandonnée mais répertoriée.

Mes guides touaregs nous abandonnent ici. Nous sommes désormais tous les quatre à pieds, seuls au milieu du désert. Je passe un appel à Jean-François Laugerette avec mon téléphone satellite. Le discours est toujours codé, mais je reconnais son enthousiasme dans ses réponses. Jean-François est à Niamey. Il sait désormais que les otages sont avec moi, sains et saufs et qu’il doit m’envoyer l’avion de Vinci au point convenu. Je sens son euphorie dans sa respiration. Moins de trois heures plus tard, l’avion se pose et nous embarquons, direction Niamey, au Niger.

À notre arrivée, les gens de Satom récupèrent les otages et les emmènent dans une « maison sûre », c’est-à-dire une villa sécurisée. Personne, pour ainsi dire, n’est au courant que les otages sont ici. Je saute dans le premier avion pour Paris, où je rends compte de l’opération aux dirigeants d’Areva et de Vinci.

Quelques heures plus tard, la libération des trois otages est officialisée sur RFI. On m’informe par ailleurs que le petit homme qui s’entretenait, fin janvier, avec ATT, avant que ce dernier ne prenne la décision d’interdire l’atterrissage de notre avion, se trouve au même moment à nouveau dans le bureau de son ami président — apprenant par la radio, avec stupéfaction, la libération des otages qui auraient pu être relâchés un mois auparavant à Bamako avec un bénéfice, au moins politique, pour ATT.

Au final, les otages sont libérés et livrés au Niger pour le plus grand bonheur du président Mahamadou Issoufou. On me rapportera qu’ATT n’a pas supporté l’affront infligé devant son ami français et s’en est pris à son environnement proche. Des Maliens nous confieront plusieurs années plus tard qu’il aurait empêché, au dernier moment, l’atterrissage de notre avion, car il n’aurait pas apprécié d’apprendre qu’il ne recevrait rien en remerciement. Cela m’a surpris. Les affaires politiciennes ne sont pas mon problème et ce n’était sûrement pas à moi de « remercier » ATT.

À Paris, le cinéma commence. Les otages sont accueillis comme il se doit par le ministre des Affaires étrangères, puis reçus à l’Élysée. Les familles se retrouvent, les larmes coulent, et tout est prétexte à tirer un bénéfice de cette situation. Pour ma part, il n’en est rien. Je reste à l’écart de tout ce cirque en accord avec les présidents des entreprises afin de ne pas gêner la suite des négociations… Sur le moment, je ne comprends pas trop. Je ne suis pas dans une opération clandestine, je ne me cache pas derrière une identité fictive pour réaliser la suite de la négociation. Donc pourquoi me « protéger » des caméras ? J’apprendrai par hasard que d’« autres » se sont arrogés le droit de se présenter comme les « faiseurs », alors que mon nom n’est jamais ne serait-ce que cité dans les médias… Cela ne me dérange qu’à moitié, cependant je commence à me poser des questions.

Quelques semaines plus tard, après d’autres missions de négociation avec Abou Zeid, je suis invité à rencontrer dans une brasserie parisienne le fameux individu responsable du contretemps de l’opération. Tassé sur sa banquette, il discute avec le haut fonctionnaire français qui a organisé le rendez-vous, à sa demande. J’ai un peu de mal à le saluer, car je sais ce qu’il a fait. Le Françafricain ne se laisse pas impressionner et s’englue dans un monologue tout à sa gloire, assorti d’insultes et de menaces : « Moi, je connais tout le monde… Moi, je suis un faiseur de ministres et de présidents en Afrique… Moi, je suis la clé de voûte de la diplomatie française en Afrique… Moi, je sais rentrer en contact avec les djihadistes d’AQMI, Belmokhtar est très facilement joignable… Moi, moi, moi… Et vous, vous êtes un dangereux mercenaire, vous avez fait des coups tordus que je connais très bien… Vous avez aussi mis un contrat sur ma tête… Je sais tout sur vous ! »

Le petit homme se prend pour Al Capone. Il en a peut-être le discours, mais pas l’envergure. Je le prends pour un fou. Le haut fonctionnaire qui me connaît parfaitement semble dépité. Je crois qu’il s’est demandé si j’allais garder mon calme. Une perte de temps. Cet entretien ne rime à rien et je n’aime pas me faire insulter sans réagir, alors je décide de mettre un terme à cette plaisanterie. Je prends congé en lui répondant simplement : « Monsieur, si tout ce que vous avez affirmé sur moi était vrai, vous ne seriez pas là pour en parler aujourd’hui. Vous m’excuserez, j’ai une négociation à terminer. »

En réalité, ce monsieur avait une idée bien précise en tête, mais il n’a jamais eu le temps de m’en faire part. Il voulait m’impressionner pour me proposer, au final, un marché. C’est vraiment mal me connaître…

Le haut fonctionnaire qui a organisé la rencontre me confiera à demi-mot quelques jours plus tard : « Tu sais, Jean-Marc, à ta place je travaillerais avec eux… » Ma réponse sera cinglante : « C’est qui, eux… ? Ai-je eu besoin d’eux pour réaliser la première libération ? Qu’apportent-ils que je n’ai pas ? » En réalité, il avait raison de me mettre en garde : il me faudra trois ans pour comprendre exactement qui ils étaient. Eux avaient la capacité de nuisance que je n’ai pas. Eux auraient voulu que je continue de prendre les risques afin qu’ils puissent apparaître en pleine lumière et faire illusion.