Выбрать главу

Le raid dans lequel Abou Zeid et une quarantaine de ses hommes ont péri dans le massif des Ifoghas a-t-il mis en péril la vie des otages ? Je me souviens qu’une rumeur selon laquelle les autorités françaises s’apprêtaient à demander des éléments d’ADN aux familles a affolé les proches, suspendus à Internet. L’information, formellement démentie par le Quai d’Orsay quelques heures plus tard, aura cependant eu le temps de mettre leurs nerfs un peu plus à vif. « J’ai eu peur que ce soit une stratégie de communication, une façon de nous préparer à une terrible nouvelle… », souffle l’ami d’un otage, exténué « par la tension et les montées d’adrénaline à répétition ».

Aujourd’hui, je sais les heures terribles par lesquelles sont passés les otages, les souffrances endurées par leurs familles et leurs proches. Je connais les cicatrices encore ouvertes, dont certaines ne se refermeront peut-être jamais. Je suis d’autant plus triste, et en colère, qu’une partie de ce calvaire leur était évitable. Car la vérité, c’est que les quatre derniers otages auraient pu — auraient dû — être libérés plus tôt. Beaucoup plus tôt. C’est l’histoire que je veux vous raconter pour finir.

5

Le monde merveilleux des négociations d’otages

Paris, Genève, 2015. Si les choses avaient suivi leur cours normalement, je n’aurais jamais été amené à raconter ma vie. Je n’aurais jamais été conduit à dévoiler les coulisses de la libération des otages détenus dans le Sahel. Jamais ! Car, très franchement, l’exercice qui consiste à médiatiser ma carrière est douloureux pour moi. Parler en pleine lumière, ce n’est pas dans la culture de mon service. J’ai l’impression de le trahir et de me trahir en même temps. Toute ma vie, le silence a été ma règle d’or. Ma loi d’airain. Mais il se trouve que mon succès dans le premier « dossier » des otages a aiguisé les appétits…

En novembre 2011, huit mois après la libération des trois premiers otages, un petit groupe de personnes à Paris — je les ai surnommées « le club de novembre » — s’est organisé depuis le printemps pour m’empêcher d’aboutir à la libération des quatre derniers captifs détenus par Abou Zeid. J’ai baptisé ainsi cette équipe, un peu à la façon d’un chercheur qui découvre un nouveau virus et qui lui donne un nom avant de l’étudier et définir son champ d’action. Identifier la liste de ses membres n’a pas été difficile, mais distinguer les « inconscients » qui ont été manipulés ou « invités » à obéir, des « conscients » qui ont opérés en toute connaissance de cause, me prendra finalement presque trois années. On me met plusieurs fois en garde contre les risques que je cours et faits courir à mon entourage. Certains proches, trop bien renseignés sur leurs agissements, seront purement et simplement avertis de « se tenir loin de moi et de cette affaire ».

J’ai fait l’objet d’une odieuse cabale médiatique, des articles m’ont décrit comme un imposteur. Pourtant je ne suis pas sorti du bois, j’ai encaissé les coups sans broncher. Je ne dis pas que cela a été facile — rester de marbre quand ma réputation était bafouée, renoncer à me défendre —, mais je m’en suis tenu au seul objectif à atteindre : terminer les négociations avec les ravisseurs pour sortir tous les otages du désert. Cela a pris beaucoup plus de temps que prévu, mais j’y suis parvenu.

Pourquoi tout déballer maintenant alors ? Je ne raconte pas mon histoire par narcissisme. La raison, c’est que je reste exaspéré par la façon dont certaines choses se sont déroulées. J’ai rencontré six fois Abou Zeid en tête à tête et pris d’énormes risques, j’ai même été grièvement blessé.

Ma récompense ? Une terrible opération de dénigrement médiatique. Des inconnus se sont jurés de ruiner ma réputation et mon activité professionnelle. Trois ans de négociations et à l’arrivée ? J’ai failli mourir, j’ai été insulté, traîné dans la boue, trahi par tous ceux qui avaient promis de me soutenir jusqu’au bout. Au final, mis à part Jean-Michel Chéreau, le directeur sûreté d’Areva, et Jean-François Laugerette, son homologue chez Vinci, qui sont restés sincères jusqu’au bout, tous les autres protagonistes de l’affaire m’ont abandonné. Ma personnalité a été salie, les motifs qui m’avaient poussé à agir ont été mis en cause. Alors qu’il n’y a plus d’otages français au Sahel, le moment est venu pour moi de dire ma vérité et mon dégoût. Non, l’histoire ne sera pas réécrite, contrairement à ce que m’avait affirmé le précédent directeur de la DGSE.

J’ai surtout choisi de briser le silence parce que je suis écœuré par l’entrisme de réseaux privés capables d’entraver une négociation pour récupérer le marché. Les pourparlers pour la libération des trois premiers otages se sont parfaitement déroulés : vite et dans le secret… ou presque. Je suis resté dans l’ombre, je ne suis jamais apparu officiellement. Le deuxième « dossier » aurait dû — aurait pu — se conclure exactement de la même façon. Mais le monde des négociations d’otages est sordide et mon arrivée a gêné des entreprises, dérangé des intérêts. J’ai perturbé cette économie du malheur qui était visiblement bien en place. Le « club de novembre » a donc tiré une salve d’articles de presse mensongers que j’ai pris de plein fouet après la libération des trois premiers otages. Les fausses informations rapportées sur moi ont bien évidemment eu un impact néfaste sur la suite des opérations car, à force de calomnies, les décideurs français ont apporté du crédit pendant un certain temps à cette cabale médiatique.

Plus grave : cette campagne orchestrée m’a mis en danger. Les journaux qui me décrivaient comme un imposteur, une tête brûlée, un mercenaire auraient pu pousser Abou Zeid à ne plus me faire confiance. C’était d’ailleurs l’objectif…

Retour en 2011. Je suis personnellement parvenu à faire libérer trois otages et j’ai négocié la libération des quatre derniers. Abou Zeid et son successeur Yahia m’ont rencontré et ils ont confiance en mes amis touaregs. Mais les articles parus dans la presse les auront peut-être perturbés. Lorsque je reverrai Abou Zeid, je sais qu’il me demandera des explications. Si celles-ci ne le convainquent pas… il pourrait régler le problème que je représenterai alors pour lui de façon radicale et définitive. Expliquer par voie de presse à des terroristes qu’ils ont été abusés par un colonel de la DGSE qui se serait fait passer pour un ingénieur de Satom est criminel à deux titres : pour le colonel, mais aussi pour les otages qui pourraient faire l’objet de mesures de rétorsion immédiates de la part des djihadistes qui n’aiment pas être humiliés. Heureusement, pour ces journalistes inconséquents, j’avais décliné mon identité et dévoilé mon passé à l’émir qui n’a donc pas été surpris.

Afin de mieux comprendre la situation, il faut faire un bref retour en arrière. L’entrevue ratée de la place de la République est déjà loin. Je me suis rendu encore plusieurs fois auprès d’Abou Zeid pour discuter de la libération des quatre derniers otages. Dès le mois d’avril 2011, nous obtenons l’ouverture du dossier Marc Féret. Bien entendu ce n’est pas satisfaisant et les sociétés me pressent d’obtenir une négociation pour les quatre otages restants. On peut toujours argumenter sur toutes les options, mais le temps est un paramètre important pour les sociétés qui veulent se sortir de cet enfer le plus vite possible. Le temps n’est pas important pour Abou Zeid… Il peut et il sait attendre.