Выбрать главу

Obtenir l’ouverture immédiate d’un dossier après la première libération est déjà un petit exploit. Il s’agit maintenant de faire évoluer le contenu du dossier. Nous essayons de nombreux stratagèmes pour tenter de déstabiliser le chef terroriste et changer le contenu du dossier, mais la situation internationale nous empêchera d’avancer concrètement. La mort de Ben Laden en mai 2011 et une longue série d’affrontements avec le Mali et la Mauritanie accaparent AQMI pendant une grande partie de l’été. Le contact est bien entendu maintenu, mais impossible de retrouver une occasion de revoir l’émir qui participe lui-même aux combats. Le temps passe et les esprits se crispent à Paris.

Depuis quelques semaines, mes amis touaregs m’informent qu’une nouvelle entrevue sera bientôt possible. À la fin du mois d’octobre, j’apprends que l’émir est de nouveau disponible pour une rencontre. AQMI a subi des pertes importantes en hommes et en matériel. Une situation intéressante, car le chef terroriste devra sans doute chercher à compenser ses pertes par de l’argent frais pour préparer d’autres offensives. Nous avons de bonnes raisons de penser que la négociation des quatre derniers otages en une seule fois est désormais possible et nous en référons aux deux PDG de Vinci et Areva, Xavier Huillard et Luc Oursel qui, depuis peu, a succédé à Anne Lauvergeon.

Je leur annonce qu’une nouvelle entrevue est organisée officiellement pour la libération de Marc Féret et que nous parlerons des quatre otages si nos arguments portent. Alors nous négocierons leur libération directement sur place. Une grille de mots codés est établie pour nous permettre d’effectuer une nouvelle livraison aérienne, le cas échéant. Le moral est au beau fixe et les deux PDG me donnent presque carte blanche. Nous sommes dans les tout premiers jours de novembre et le départ est estimé pour deux semaines plus tard, le temps de convenir des détails avec le chef d’AQMI.

Cependant, le 9 novembre, à moins d’une semaine du départ pour Bamako, je fais l’objet d’une attaque en règle dans Paris Match. Patrick Forestier signe un article dans lequel il fait l’apologie d’une filière pilotée par un directeur d’Air France et détruit littéralement notre action auprès des autorités et des terroristes. Une succession d’articles s’ensuivra reprenant le papier initial. Nous comprenons que l’on cherche à m’empêcher de poursuivre la négociation et surtout à me maintenir en France. De nouveau reçu par les deux présidents, je leur annonce que je ne suis pas gêné par ces publications et que je maintiens la mission prévue dans quelques jours.

Comprenant que des choses se préparaient dans notre dos, j’ai décidé d’adapter le profil de mon déplacement à la situation du moment. Je partirai de Bamako habillé en Touareg et je circulerai dans un pick-up de Touareg sans aucun logo de la société Satom. En revanche, nous utiliserons le même itinéraire afin de gagner du temps. Une fois de plus, nous nous arrêtons à Hombori pour le ravitaillement de nuit avant de poursuivre en direction de Gao que nous atteignons en milieu de matinée.

Ahmada et moi sommes dans deux pick-up différents et traversons la ville par deux itinéraires distincts afin de passer encore plus inaperçus. La ville est enfin derrière nous et nous nous dirigeons vers le point de ralliement avec Ahmada.

Soudain, quelques kilomètres après Gao, un barrage ! J’aperçois deux hommes en tee-shirt, jaillissant d’un bosquet, en train d’armer leurs kalachnikovs. Pour moi, ce sont des coupeurs de route. J’ordonne à Adaman de leur foncer dessus. Il appuie sur l’accélérateur. Les deux individus me mettent en joue, ils criblent de balles mon 4×4… chargé de six cents litres de carburant ! Ils évitent de justesse le pick-up et rafalent à son passage en vidant leurs chargeurs à bout portant. L’un des projectiles traverse le pare-brise. L’habitacle est soudain couvert de sang. Je crois que mon conducteur est blessé… Non, c’est moi, à l’épaule. Je ne peux plus bouger le bras droit. Le sang coule, l’omoplate est réduite en miettes, mais l’artère n’a pas été touchée.

Mes guides touaregs informent Abou Zeid de l’incident. Le chef d’AQMI rigole. « Il fallait nous l’amener, on l’aurait soigné… », dit-il à Adaman qui était encore sous le choc de cette embuscade. Le lendemain, deux Français, Philippe Verdon et Serge Lazarevic sont enlevés à Hombori par AQMI. Les médias livrent différentes versions de leur histoire, mais Abou Zeid, lui, les appelle « les espions »… Nous jouerons un rôle dans la libération de Lazarevic, mais ceci est une tout autre histoire ! Encore que…

Évacué en décembre 2011 par un avion médicalisé affrété par Satom, je quitte l’aéroport de Gao en promettant de revenir rapidement. Effectivement, je reviendrai à Bamako en janvier 2012 pour continuer le travail. À l’hôpital Percy, à Paris, les chirurgiens s’affairent autour de la table d’opération. Par chance, le projectile est passé à quelques millimètres de l’artère subclavière, mais a littéralement fait voler en éclat une partie de l’omoplate. De nombreuses personnalités, plus ou moins sincères, défilent dans ma chambre de convalescent. Tous mes téléphones à portée de main, je continue de piloter la négociation depuis mon lit d’hôpital.

Xavier Huillard me demande de recevoir son ami Jean-Cyril Spinetta, le PDG d’Air France. J’y suis totalement opposé mais, devant son insistance, je cède. Je l’accueille debout, en lui disant ce que je pense de lui en des termes peu élogieux. Les deux directeurs sûreté qui assistaient à la scène, ébahis, m’ont affirmé en sortant que, de mémoire de policiers, personne ne s’était jamais adressé à ce patron de la sorte. Le plus cocasse, c’est que le patron d’Air France lui-même, qui était aussi le président du conseil de surveillance d’Areva, m’avoue devant témoins avoir manqué de discernement en se confiant, au sujet du déroulement de la négociation, à son ami de toujours et conseiller pour l’Afrique. « Guy est un électron libre, et on ne peut pas le maîtriser… », me précise-t-il, très ennuyé.

Huillard et Lauvergeon avaient pris des dispositions drastiques pour que rien ne filtre, et le président du conseil de surveillance d’Areva m’indique qu’il en avait discuté avec son ami « électron libre » ! C’en est trop, vraiment trop. Je sais maintenant que nos ennemis ne sont pas uniquement à l’extérieur et qu’ils s’abreuvent directement à la source de toutes les informations que j’amène aux PDG de Vinci et Areva. Quel gâchis !

Désormais, la confiance est rompue et je demande aux deux sociétés de coucher leurs engagements par écrit, sans quoi je ne poursuivrai pas. Je recevrai ainsi par la suite des mandats officiels que je leur demanderai de temps en temps de mettre à jour, le dernier datant de décembre 2012.

Les années 2012 et 2013 ne seront qu’une succession de démarches clandestines du « club de novembre » visant à contredire toutes les preuves que j’amenais du terrain et instiller le doute dans l’esprit des PDG et des autorités élyséennes habilitées à délivrer le fameux sésame : le feu vert présidentiel de libération.

Ma filière reste toujours connectée à Abou Zeid qui attend patiemment que nous nous décidions à venir discuter du sujet Marc Féret, dont le projet de libération est acquis depuis fort longtemps et qui constitue la porte de discussion pour les autres otages. Tous les contre-arguments possibles nous seront opposés pour justifier de ne pas réaliser la libération. On nous dira un jour : « Trop dangereux en raison de la rébellion » — j’avoue que cela m’a beaucoup amusé, étant moi-même escorté par des Touaregs rebelles… ; « manque de lisibilité » ; « montant trop élevé » plus tard, lorsque nous l’aurons obtenue. Pourtant tous les documents ne prouvent qu’une chose : nous sommes toujours à la barre et Abou Zeid, puis son successeur Yahia, ne demandent qu’à discuter pour en finir.