Nous avons cru, à tort, que l’élection présidentielle de 2012 allait débloquer la situation et avons particulièrement poussé pour obtenir ce feu vert. Les otages avaient été déplacés pour être libérés si nous réussissions enfin à nous prononcer. Le dispositif d’escorte et de récupération était prêt, une nouvelle fois. Des raisons qui n’en sont pas nous empêcheront, encore une fois, de libérer Marc Féret et les trois derniers otages.
« En l’absence de soutien de l’État, l’opération pour laquelle vous avez été positionné à Niamey, le 28 avril 2012, est annulée », m’indique Areva, le 3 mai 2012. Je rentre totalement dépité et écœuré, alors que les otages restent dans le désert. Les raisons invoquées seront toutes aussi farfelues que fallacieuses. L’état-major particulier de l’Élysée osera même informer Areva que les otages ne sont pas en danger et que les écoutes de la DGSE ne disent pas le contraire… Et pour cause : Abou Zeid ne s’exprime pas, donc les écoutes ne servent à rien !
Enfin, contre toute attente et alors que tout le monde jure ses grands dieux que je suis hors jeu depuis 2011, voilà que le ministère de la Défense ouvre une fenêtre magique pour la libération des quatre otages. « Vas-y vite, tu as dix jours », me dit-on un jour de décembre 2012 sans avoir préparé le moindre déplacement. Il faut avouer que c’est un peu fort ! Ceux qui nous ont bloqués jusque-là veulent soudainement nous aider et cela à trois semaines du début des hostilités entre l’armée française et AQMI ! C’est vraiment me prendre pour un lapin de six semaines… Je crois avoir répondu que je ne serai pas le nouveau commandant Galopin[24] du Mali, ce qui a d’ailleurs brutalement mis un terme à toute discussion.
2013 se profile déjà, une année encore moins encourageante avec le déclenchement de l’opération Serval dans le Nord-Mali. Les tergiversations continuent pour récupérer les otages à partir de Tombouctou où Abou Zeid est installé momentanément. Il a même récupéré à cette occasion l’ensemble de la flotte de camions de Sogea-Satom, abandonnés sur les bases de Niafunké et Goundam, qui n’avaient pas été évacués malgré nos avertissements… Camions, véhicules et engins, il y en avait trente-cinq en tout. Abou Zeid a voulu nous les revendre pour la modique somme de deux millions d’euros. Le comble !
Cependant cette année marque une prise de conscience chez moi. Je comprends enfin que le « club de novembre » est plus fort que moi. Il nous empêchera constamment d’obtenir le feu vert présidentiel qui nous manque. Alors je réfléchis à une autre stratégie. Si ce club nous met des bâtons dans les roues, c’est peut-être pour le faire lui-même ? Dans ce cas-là, laissons-le faire et nous verrons bien. Les deux directeurs sûreté n’y croient pas. Ils savent que les prétentions du club sont virtuelles et peut-être en savent-ils encore plus… Quoi qu’il en soit, il faut tenter le coup. Au préalable, il faut rendre disponible les éléments de négociation que je fournirai donc à la cellule de crise des Affaires étrangères, ainsi qu’au nouveau patron de la DGSE, Bernard Bajolet, que je rencontre très rapidement avant le mois de juillet. Le directeur est furieux à l’issue de mon récit qui ne correspond en rien aux informations portées à sa connaissance et promet de « s’occuper des parasites » avant de me recontacter.
Le 4 juillet 2013, les familles des otages seront reçues à l’Élysée par le président de la République, entouré de tous les conseillers et hauts fonctionnaires concernés par le dossier des otages. Ordre nous a été donné de nous mettre en retrait et de rester en réserve de la République, afin de laisser une filière différente faire ses preuves sur le sujet. Nous nous étions assurés auprès des deux présidents de groupe que cela ne remettrait pas en cause les engagements pris. Les sociétés en étaient d’accord. Les conditions acceptées par AQMI et les entreprises étaient désormais connues des autorités compétentes. Il ne restait plus qu’à organiser la récupération. Simple formalité réalisée par le service Action en compagnie du guide désigné, c’est-à-dire le Nigérien Mohamed Akotey, président du conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale d’Areva au Niger.
À la surprise générale, la récupération des otages qui aurait dû intervenir très rapidement ne se fait pas… Ça coince ! Le chef d’AQMI ne veut négocier qu’avec la filière qui a été acceptée et validée par son organisation depuis le mois de décembre 2010 et qui a entretenu le fil de négociation jusqu’à ce jour… Ce coup de Trafalgar inattendu est un juste retour de bâton face à toutes les manipulations souterraines qui auront ébranlé notre filière et ma réputation pendant ces trois années.
Mohamed Akotey réalise plusieurs allers et retours infructueux auprès des émissaires d’AQMI. Rien n’y fait. De juillet à septembre, la fébrilité du « club de novembre » est à son comble. Des missions de contact seront envoyées clandestinement auprès de ma filière pour leur proposer de me lâcher, les retourner et leur demander de travailler à leur profit en appuyant Akotey. Des émissaires des ambassades françaises de Bamako et Ouagadougou osent même leur déclarer : « Nous sommes la France. Jean-Marc, c’est aussi la France. Jean-Marc et nous, c’est pareil… »
Rien n’y fait. Les combattants d’AQMI restent fidèles à leur engagement et attendent les ordres de Xavier Huillard, le seul habilité à nous donner l’ordre de sortir de la réserve demandée par le président de la République. C’est le coup de grâce. Cet ordre ne viendra jamais. Je dois finalement prendre la décision, seul, de surseoir à cette réserve et de donner l’ordre à ma filière de contacter AQMI pour les informer que nous ne viendrons plus jamais et qu’ils doivent livrer les otages à Mohamed Akotey qui est porteur du feu vert qui nous a toujours été refusé.
Les quatre derniers otages sont ainsi libérés peu de temps après, fin octobre 2013. Nous n’apparaitrons dans aucune déclaration et les autorités françaises réécriront l’histoire. Soudain, celui qui est allé les récupérer deviendra aussi celui qui aura pris contact, celui qui aura parlementé, celui qui aura obtenu les termes de négociation et le précieux feu vert de libération dont on nous privait depuis de très nombreux mois…
Si des personnes malintentionnées n’avaient pas saboté mon travail de négociateur, j’aurais pu libérer les derniers captifs deux ans plus tôt ! La situation d’Abou Zeid était tellement précaire que nous avions « une autoroute » devant nous… Certains otages ne souhaitent pas remuer le passé, mais plusieurs veulent découvrir l’histoire secrète derrière la ligne officielle. Ils ont besoin de connaître la vérité pour continuer à avancer, pour tourner la page définitivement.
L’intention de ce livre, c’est de dénoncer le business des otages. Je ne veux pas me faire passer pour un ange ou un chevalier blanc. J’ai fait beaucoup de choses dans ma carrière — certaines dont je suis plus ou moins fier, par exemple concernant la situation où se trouve aujourd’hui Jean-Pierre Bemba —, mais j’ai toujours agi pour mon pays, pour la France, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation. Chaque fois que j’ai pris la route à la rencontre d’Abou Zeid pour tenter d’obtenir la libération de ceux qu’il avait capturés, mon cœur était pur.
Au-delà de cette image d’Épinal, j’avais la certitude que l’opération était réalisable. Alors je pris soin d’inscrire mon action dans un cadre contractuel avec les deux grands groupes français. La parole et les mandats des deux présidents me suffisaient. En réalité, si je n’en étais pas revenu vivant, on se serait contenté d’une belle cérémonie en oubliant les engagements pris.
24
En 1974, le commandant Pierre Xavier Galopin est envoyé comme émissaire par l’État français pour obtenir la libération de l’ethnologue Françoise Claustre, détenue par des rebelles tchadiens. Le 4 avril 1975, il est assassiné après avoir été torturé.