Mes relations avec Areva et Vinci, aujourd’hui, ne sont plus aussi bonnes qu’elles devraient l’être, au vu des risques pris et du dénouement heureux de l’histoire. Ces deux grands groupes travaillent dans des zones à risques, exposés à des situations d’insurrection ou de terrorisme. Leurs employés font sans cesse face à ces risques de plus en plus présents et concrets. Nous sommes très peu nombreux à savoir réellement comment fonctionne un terroriste intégriste. Nous sommes très peu nombreux à pouvoir offrir une sécurité crédible à ces grands chantiers. Parler en utilisant des termes un peu techniques et convaincre des décideurs qui ne savent rien du fonctionnement d’un djihadiste est une chose. Sécuriser en est une autre. Or, on me dit que je ne travaillerai plus jamais pour ces deux géants que j’ai osé défier.
Désormais, les dirigeants d’Areva et Vinci sont en colère de ne pas m’avoir écouté. En colère d’avoir été trompés, en colère d’avoir pris la mauvaise décision.
Un de leurs proches m’avouera plus tard : « Ils se sont fait blouser et ils ont la haine… Cette haine, c’est toi qui la payes, car tu es le plus petit et le plus faible. De plus, honorer leurs engagements c’est admettre leur erreur, ce qu’ils ne veulent justement pas ! » Contrairement au malheureux commandant Galopin, je ne suis pas mort dans cette négociation et mes amis touaregs réclament avec ma société ce qui avait été convenu. La négociation amiable a duré près de trois années et n’a pas fonctionné.
Xavier Huillard a tout d’abord offert la moitié de ce qui était prévu en oubliant les Touaregs et Areva a laissé croire pendant plusieurs mois qu’il était disposé à régler la facture en nous promenant d’avocats en services d’État pour finalement nous reprocher de ne pas être satisfaits et de nous plaindre. Nous ne souhaitions pas déposer plainte. Nous désirions seulement que les engagements soient tenus et que les choses rentrent dans l’ordre. Areva, Vinci ou Sogea-Satom nous doivent de l’argent et une reconnaissance — cela ne représente pas grand-chose pour eux mais ils s’enfoncent dans une logique insensée pour protéger des gens qui, au final, ne les défendront pas.
Sans notre action, la libération des otages n’aurait jamais été possible. Il s’agit d’une injustice totale, d’un manquement abject à la parole donnée. Nous avons été mandatés pour réaliser un travail complexe que nous avons finalement exécuté dans l’inconfort, l’adversité et malgré de nombreuses chausse-trappes. Cette situation me pèse, car j’entretiens une relation de confiance avec les Touaregs, ces seigneurs du désert, depuis très longtemps. Les engagements seront tenus et notre honneur sera rétabli. C’est le dernier objectif que je me suis fixé dans cette triste affaire. Il ne peut en être autrement.
6
Le « club de novembre »
De 2010 à 2013, je suis au cœur des négociations pour la libération des otages français au Mali. Fort de mes contacts chez les Touaregs, mes premières opérations aboutissent dès février 2011 à la libération de trois d’entre eux, comme je l’ai raconté.
Négociations parallèles, jeux d’influence, luttes entre réseaux franco-français ou entre les ministères, des éléments extérieurs parasitent en revanche le deuxième « dossier ». Je suis surtout victime, à partir de novembre 2011, d’une vigoureuse campagne de dénigrement. À Paris, le « club de novembre » s’active pour m’écarter des négociations. Pendant de longs mois, les adversaires de ma filière de négociation, celle des sociétés Vinci et Areva, vont dépenser une énergie folle à tenter de tromper les décideurs chargés de délivrer le précieux feu vert de libération. Ils joueront sur l’incompétence technique de leurs interlocuteurs parisiens pour leur présenter de vraies-fausses preuves de capacités de négociation, affirmant en même temps qu’« Abou Zeid ne veut plus parler avec Gadoullet », que « les autorités maliennes se méfient de Gadoullet… », etc.
Comme il était impossible de me corrompre pour me forcer à travailler sous leur bannière, il était devenu nécessaire de m’éliminer du dossier, d’asphyxier mon activité professionnelle. Tout y passe. On se croirait dans un mauvais polar. On est pourtant bien dans la réalité. Au final, on arrive à faire admettre à deux présidents de la République successifs que ma filière, celle des sociétés, n’est plus efficace.
En tant qu’observateur désabusé de cette tragédie média-comique qui se déroule sous nos yeux, je laisse passer un peu de temps avant de reprendre contact avec les deux entreprises pour finaliser nos engagements. Le discours des deux patrons a totalement changé : « Nous ne connaissons que la version de l’État. Tes Touaregs et toi n’y figurez pas. Par conséquent on ne vous doit rien… » Fermez le ban !
Que se passe-t-il derrière ce refus catégorique d’honorer officiellement une prestation qui a été réalisée au-delà de toute considération et dans des circonstances jamais connues jusqu’alors… ? Pourquoi Luc Oursel et Xavier Huillard refusent-ils de nous recevoir ? Ont-ils à ce point peur d’entendre une version qui ne leur conviendrait plus ? Ou ont-ils reçu des ordres ? Le « club de novembre » est-il à ce point puissant qu’il peut mettre à genoux des géants de l’industrie mondiale ? Pendant presque trois années, les deux groupes me feront poireauter en me proposant des solutions de médiation qu’ils finiront toujours par refuser.
Je ne milite dans aucun parti, je n’appartiens à aucune secte ou confrérie, ni à aucune association d’anciens combattants ou de réservistes. Bref, je suis totalement seul et isolé. « Un officier, ça ferme sa gueule et ça exécute les ordres. Jean-Marc n’ira pas plus loin », leur aurait-on dit. Sauf que l’officier que je suis appartient quand même à l’ordre de la Légion d’honneur et que dans ce monde, la parole donnée a un sens.
Au début, pourtant, tout est très simple. Ma mission consiste à négocier avec le « bas », c’est-à-dire Abou Zeid, pour obtenir les termes de la négociation. La mission d’Anne Lauvergeon — puis de Luc Oursel, son successeur — et de Xavier Huillard, les PDG d’Areva et de Vinci, consiste à travailler vers le « haut », en direction de l’Élysée, pour obtenir le feu vert. Je décroche les termes de la négociation, ils débloquent le feu vert présidentiel, voilà le plan. Anne Lauvergeon joue merveilleusement son rôle. Cette femme extraordinaire — une vraie teigne — harcèle le président Nicolas Sarkozy à l’époque. Lors de la première phase de libération des otages, son énergie est déterminante. Je ramène enfin les conditions de la libération, elle obtient le go présidentiel sans s’inquiéter des états d’âme de l’entourage de Nicolas Sarkozy ou même de Benoît Puga, son chef d’état-major qui n’est, à ce moment-là, pas concerné par la décision. Je saute dans mon pick-up pour aller extraire les trois captifs de leur prison dans le désert. Premier « dossier » bouclé.
Patatras au printemps 2011, lorsque « Atomic Anne » est remplacée par Luc Oursel, le numéro deux d’Areva, à la tête du géant français du nucléaire. Le nouveau PDG — décédé depuis, paix à son âme — n’est pas fait du même acier, il n’a pas la même trempe. « Il faut, il faut, il faut… », répète-t-il, mais il est beaucoup moins insistant auprès du président de la République. C’est d’autant plus catastrophique que, de son côté, Xavier Huillard, le PDG de Vinci… ne voit pas le président Sarkozy ! À l’arrivée, je poursuis mon travail en direction d’Abou Zeid, mais le travail vers l’Élysée ne fonctionne plus, pire, il est mené contre moi.