Autre nouveauté, le général Benoît Puga est officiellement nommé gestionnaire du dossier à l’Élysée. Pourquoi ce nouvel intermédiaire entre le président de la République et les sociétés ? Pourquoi également le général Jean-Michel Chéreau, le directeur sûreté d’Areva, est-il « écarté » et ne doit-il plus recevoir mes comptes rendus ? Nous n’aurons jamais de réponse. Ce qui est certain, c’est qu’on ne change jamais une équipe qui gagne en matière de négociation. Et justement, dans ce cas, on place un obstacle entre les présidents… Pourquoi, dans le même temps, monsieur Puga veut-il absolument connaître tous mes déplacements ? Pourquoi faut-il presque demander l’autorisation de bouger avant d’entreprendre un déplacement vers Abou Zeid ? Je n’ai jamais eu besoin de tout cela avant son arrivée et ne tiendrai donc aucun compte de ces recommandations…
Ce n’est pas la seule difficulté à laquelle je suis confronté après la libération des trois premiers otages. Bernard Bajolet, qui est arrivé à la tête de la DGSE en 2013, applique la philosophie de François Hollande — successeur entre-temps de Nicolas Sarkozy — concernant les terroristes : « La France ne paye pas de rançon, elle ne négocie pas. » Dans la deuxième phase de libération des otages, le « club de novembre » entretient activement l’idée dans les salons élyséens que je ne suis plus en mesure d’assurer la mission.
J’apprends que le ministère de la Défense prend le relais, en s’appuyant sur une société de sécurité privée, dirigée par Pierre-Antoine Lorenzi, qui est un « prestataire » de plusieurs géants du CAC 40. La révélation par le journal Le Monde[25] de son intervention dans la négociation au Sahel, alors que la DGSE « aurait été mise sur la touche par le ministère de la Défense », a fait des vagues. Interrogé sur son action dans la libération des otages, Bernard Bajolet, le patron de la DGSE, s’est fendu de deux qualificatifs rageurs : « Contre-productif » et « parasitaire »[26]. Un parasite est un organisme qui utilise un autre organisme pour se déplacer en s’accrochant sur lui à son insu. Lorenzi se serait donc, selon le patron DGSE, accroché à une négociation en cours pour finalement s’en attribuer la paternité.
Pendant ce temps, la cabale médiatique contre moi porte ses fruits. Benoît Puga, fervent partisan de l’intervention militaire au Mali, finit par être convaincu que je suis un imposteur : « Jean-Marc Gadoullet vous ment, il n’a jamais rencontré le chef d’AQMI », met-il en garde Jean-Michel Chéreau lors d’un rendez-vous ! En outre, des hauts fonctionnaires de la Défense assurent Benoît Puga que les chiffres que j’ai avancés sont faux, qu’en réalité Paris peut récupérer les otages pour une somme bien inférieure, à un prix défiant toute concurrence.
Peu importe : le go présidentiel a été débloqué comme nous l’espérions. Paris envoie Mohamed Akotey, le président du conseil d’administration de la société Imourarène, une filiale d’Areva, libérer les otages. Cet ancien chef rebelle appartient à la communauté touareg des Ifoghas, comme Iyad Ag Ghali, le chef du mouvement islamiste malien Ansar Dine, que j’ai déjà évoqué. Envoyé spécial du président nigérien Mahamadou Issoufou, Mohamed Akotey dispose de solides réseaux. Il rencontre plusieurs fois Abou Zeid ainsi qu’Iyad Ag Ghali, réputé très proche des ravisseurs. Lorsqu’il revient, son compte rendu est néanmoins clair : les otages ne seront pas libérés pour 500 000 euros chacun ! Et le voyage d’Akotey met les choses au clair : c’est toujours Jean-Marc Gadoullet que les djihadistes d’AQMI attendent ! C’est avec lui qu’ils traiteront !
Du coup, les négociations capotent, et Yahya s’impatiente. Pourquoi alors est-ce que je fais passer le message à mes réseaux de traiter avec la filière Akotey ? Parce que j’ai fait la promesse à Françoise Larribe que nous libérerions son mari. Parce que les quatre derniers otages ont déjà passé deux années de trop dans le désert malien. Même si j’accepte de les faire délivrer par ceux qui m’ont mis des bâtons dans les roues, ceux qui ont sali ma réputation, l’objectif sera atteint. Une promesse est une promesse. Mais visiblement pas pour tout le monde…
Je charge donc mes réseaux touaregs d’avertir Yahya et ses lieutenants — qui ont succédé à Abou Zeid en février 2013 — que je me retire du dossier. Je les informe que si Mohamed Akotey leur propose un chiffre qui leur convient, ils sont libres de faire affaire avec lui. Trois semaines plus tard, en octobre 2013, Mohamed Akotey extirpe du désert les quatre derniers otages et les ramène à Niamey, la capitale du Niger. François Hollande et Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, foncent sur place. Les cérémonies protocolaires, l’avion, puis Daniel Larribe, Thierry Dol, Marc Féret et Daniel Legrand foulent à nouveau le sol français. Ils sont accueillis en grande pompe à l’aéroport de Villacoublay, après trois années de détention. Mohamed Akotey, l’homme de l’ombre timide, devient la coqueluche de la presse tricolore.
Personne n’a jamais parlé de nous. Ni en février 2011, ni en novembre 2013, si ce n’est au travers de quelques articles de presse infamants deux ans plus tôt… Qu’importe. Tous les otages sont rentrés en France. J’ai tenu parole. Ma mission est remplie.
Une rançon a-t-elle été versée pour ce dernier dossier ? Plusieurs médias ont évoqué la somme de 20 millions d’euros. En tout cas, ce n’est pas ce que j’avais obtenu. Les éléments de ma négociation ont été donnés aux autorités et ont permis d’aboutir à la libération de tous les otages. Que la rançon provienne de l’État ou des multinationales ne me regarde pas. Cela dit il serait tout à fait incohérent que cela provienne de l’État pour la bonne et simple raison qu’Areva étant assuré contre le kidnap and ransom, elle pouvait très simplement s’acquitter de cette charge…
La rançon… La question obsède ceux qui fantasment sur les négociations d’otages. Concernant ceux d’Arlit, les montants qui ont circulé sont une pure invention des réseaux qui ont empêché la libération et qui voulaient influencer les esprits des décideurs avec des montants faramineux dans le but d’escroquer les sociétés et les assureurs. Plusieurs médias ont avancé le chiffre astronomique de 90 millions d’euros, une somme complètement farfelue venue des médias africains et particulièrement burkinabés.
Mokhtar Belmokhtar est, semble-t-il, bien introduit à Ouagadougou… Sans doute a-t-il trouvé un correspondant de presse conciliant pour distiller cette information utile aux réseaux spécialisés dans le business des otages. Belmokhtar est plus un homme d’affaires qu’un djihadiste. Son champ d’action dépasse de très loin les limites ensablées du Nord-Mali. Mon interlocuteur de la brasserie de la place de la République s’était vanté de pouvoir le contacter très facilement, ce qui en dit long sur la capacité de l’individu à se connecter au monde moderne des affaires. Le Borgne, surnommé également Mister Marlboro, était en conflit permanent avec Abou Zeid. Il a constamment cherché à entraver notre démarche. Je me souviens avoir vu sa colonne de véhicules détaler à mon arrivée dans le camp de l’émir. Belmokhtar faisait tout pour éviter de me croiser.
Comme je l’ai évoqué précédemment, Abou Zeid avait mis sur la table une proposition de départ à 20 millions d’euros pour les deux premiers otages africains. Finalement, je suis parvenu à faire ajouter Françoise Larribe au premier groupe libéré — la rançon grimpant alors à 27 millions d’euros —, puis à faire baisser largement la somme exigée, jusqu’à moins de la moitié de la proposition de l’émir. Vicki Huddleston, l’ex-ambassadrice américaine au Mali, a affirmé qu’une rançon de 15 millions d’euros avait été payée sur les premières libérations. Ce montant est faux, mais on ne peut pas lui reprocher de méconnaître ce détail, car je ne me souviens pas l’avoir vue à mes côtés lorsque je faisais face à l’émir d’AQMI, au moment du retour des otages.