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Au fil des marches, des jeux, des défis et des fêtes, les bizuts acquièrent l’esprit de promotion, ils s’intègrent aux anciens. Le bahutage se termine le deuxième jour du mois de décembre, l’anniversaire de la bataille d’Austerlitz. Le 2 décembre 1805, la Grande Armée venait à bout des forces austro-russes à Austerlitz, en République tchèque aujourd’hui. Cette bataille, comme la campagne qui l’avait précédée, est considérée comme le chef-d’œuvre tactique de Napoléon. Son grand œuvre de général. Elle est encore enseignée dans de nombreuses écoles militaires. Chaque année, à la corniche Henri-IV, le 2 décembre est donc la date officielle du baptême de la promotion, comme dans toutes les corniches de France.

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Do you speak English ?

La corniche peut durer trois ans, deux lorsque la scolarité se déroule très bien. À la fin de la deuxième année, je passe le concours de Saint-Cyr, l’échéance vers laquelle toute la promotion est tendue, celle qui pourra, ou non, concrétiser nos rêves d’aventure et de gloire. Et patatras… non admis ! La faute, notamment, à un terrible 2 sur 20 en anglais. C’est peu… et donc éliminatoire. Do you speak English ? Not really, à l’époque.

Mon moral en prend un coup et je ne me vois pas rempiler pour une année supplémentaire, le nez plongé dans les bouquins. Je prends la décision de ne pas cuber, c’est-à-dire de ne pas effectuer la troisième année qui permet de passer le concours une seconde fois. Le contrat qui me lie à l’armée stipule bien, néanmoins, que cette troisième année est due au ministère de la Défense. Évaluer les paramètres, toujours. Rebondir, s’adapter. Mon plan B passe par l’École nationale des sous-officiers d’active, à Saint-Maixent-l’École (Deux-Sèvres).

L’ENSOA est une école de commandement qui forme des chefs. « Le futur sous-officier cultivera savoir-faire et savoir-être, fermeté du caractère et capacité à maîtriser la force, dans le respect indispensable de la dignité humaine », annonce un peu pompeusement le descriptif du cursus. Il y a une promotion spéciale pour les bacheliers. Un nouveau concours à passer, avec succès cette fois, et j’intègre les effectifs. La formation est courte, un an seulement. Je travaille dur, j’apprends beaucoup. Une année plus tard, mon premier contrat militaire arrive à son terme. Les choses sérieuses ne font pourtant que commencer. Je signe pour sept années supplémentaires avec un objectif clair : entamer une carrière de sous-officier et découvrir le terrain. Un 2 sur 20 éliminatoire dans la langue de Shakespeare n’aura pas raison de mes rêves de gloire, doesn’t it ?

L’école d’application terminée, il faut choisir son unité d’affectation. La première pour bon nombre d’entre nous. J’ai plutôt bien travaillé, je peux donc choisir parmi les premiers le régiment dans lequel je souhaite être affecté. J’opte pour un escadron d’éclairage divisionnaire, à Stetten am kalten Markt, un important cantonnement des forces françaises en Allemagne de 1945 à 1997. La France et l’Allemagne se sont beaucoup fait la guerre dans l’Histoire, mais je pars sans aucun a priori. Le Bundesland du Bade-Wurtemberg, dont la capitale est Stuttgart, est limitrophe de la France et de la Suisse. J’y passe trois années qui filent à toute vitesse, dans un pays magnifique. Dans l’armée de terre, les escadrons d’éclairage sont chargés de reconnaître la marche des grandes unités, de les prévenir de tout danger immédiat et d’assurer la liaison entre leurs éléments. Ils déterminent les positions favorables et le volume de l’ennemi, ainsi que les itinéraires jugés les plus sûrs. En choisissant ce corps, j’ai le sentiment d’évoluer sur mes terrains de prédilection — embusqué, à l’affût, au-delà des lignes — tout en cultivant des qualités qui me seront utiles ensuite — discrétion, camouflage, furtivité, capacité à collecter du renseignement. Les missions d’éclairage, qui me stimulent tant physiquement qu’intellectuellement, me conviennent à la perfection. Je suis dans mon élément.

Je n’en garde pas moins de la constance dans les décisions que j’ai prises. En trois ans, j’ai déjà beaucoup bougé, mais en Allemagne, bien qu’épanoui dans mon escadron, mon désir d’intégrer le 11 ne m’a pas quitté. Il faut maintenant pendre les choses en main. Pour la première fois, je contacte la DGSE. Je suis dans ma chambre, il est tard et je regrette de n’avoir aucun contact particulier. Pas de nom précis d’officier à qui adresser mon courrier. Encore moins quelqu’un pour me recommander.

Le service Action de la DGSE, auquel le 11 appartient, dispose d’avions et de bateaux mais surtout de trois centres d’entraînement : le centre parachutiste d’entraînement spécialisé (CPES) à Cercottes (Loiret), qui a une orientation plutôt « urbaine », le centre parachutiste d’instruction spécialisée (CPIS) à Perpignan (Pyrénées-Orientales), qui est le cœur de la guerre spéciale, et le centre parachutiste d’entraînement aux opérations maritimes (CPEOM) à Quélern (Finistère), qui regroupe les nageurs de combat. Je prends ma plus belle plume pour m’adresser à M. l’officier responsable des personnels du 11. Un timbre et j’envoie le tout à la direction des ressources humaines du SA, à Quélern. La réponse me parvient vite. Inquiétante et encourageante à la fois : « Votre profil nous intéresse, mais nous vous conseillons de présenter l’École militaire interarmes (EMIA). » Je sais lire entre les lignes : « Comme sous-officier vous ne nous intéressez pas beaucoup, mais comme officier nous vous trouverons quelque chose à faire. Réussissez l’École militaire interarmes et rappelez-nous ! »

L’EMIA est l’école de formation des officiers de l’armée de terre, recrutement interne. En clair, il me faut rejoindre mes camarades qui ont réussi Saint-Cyr et qui viennent de passer deux années à Coëtquidan où les deux bataillons de l’ESM Saint-Cyr et de l’EMIA suivent un cursus parallèle. J’ai donc un nouvel objectif : le concours d’entrée à l’EMIA. Je passe les épreuves la boule au ventre. La rage au cœur aussi. Interdiction d’échouer. Je réussis. Cerise sur le képi, j’obtiens même une bonne note… en anglais !

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Saint-Cyr

Saint-Cyr, début des années 1990. Je marche sur les traces de mes camarades de la corniche Leclerc qui ont passé le concours avec succès, quelques années plus tôt. Sans regret, car entre-temps mon parcours m’a aguerri. Les anciens d’Henri-IV viennent juste de quitter l’École spéciale militaire, le Saint-Cyr que tout le monde connaît. Ils partent en application et moi je débarque. La scolarité à l’École militaire interarmes vient de passer à deux ans, suivis d’une année d’application. Je rêve du 11, je m’en rapproche pas à pas, mais pas question d’opérer sans plan B. À l’EMIA, je réussis les tests psychotechniques pour devenir pilote d’hélicoptère. Le raisonnement est simple : si je ne parviens pas à intégrer le service Action de la DGSE, la carrière de pilote d’hélicoptère m’ouvrira néanmoins des perspectives intéressantes.