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L’EMIA est une école exigeante. J’y passe deux années studieuses, moins ludiques qu’à la corniche. La formation, à la fois académique et militaire, vise à permettre aux élèves officiers d’atteindre trois objectifs pédagogiques : discerner la complexité — déployer une véritable intelligence de situation —, décider dans l’incertitude — faire preuve d’une force de caractère permettant d’accepter des risques calculés —, agir dans l’adversité — fédérer les énergies, susciter l’action collective et décider en conscience. L’enseignement militaire doit permettre aux élèves officiers de réaliser une mission en articulant le plus efficacement possible trois groupes de combat sur le terrain, face à un ennemi. Les cours théorique, eux, portent sur la défense, la sécurité, la géopolitique et les relations internationales.

L’école terminée, je dois à nouveau effectuer une année d’application. Je reprends naturellement contact avec la DRH du SA. Un courrier simple et efficace : « Bonjour, que faut-il choisir ? » Une réponse claire et diligente : « Prenez plutôt l’infanterie. » Je serai donc fantassin, je vote pour le 11. Je pars pour l’École d’application de l’infanterie (EAI) à Montpellier. Puis, après un an, nouveau courrier à la DRH du service Action : « Je serai bientôt affecté en unité, que dois-je faire ? Quel régiment dois-je choisir ? » J’ai bien fait de poser la question. « Quand vous sortez de l’EAI, me répond-on, choisissez un régiment parachutiste d’appelés où le SA pourra vous récupérer facilement. Dans un régiment professionnel, il faudra attendre au moins trois ans. » Ces conseils ont pour moi le caractère sacré d’une bulle pontificale. Je les applique religieusement. Au risque de surprendre…

La scène est restée célèbre à l’école. Elle a estomaqué mes camarades et déboussolé mes professeurs. La scolarité arrive à sa fin, nous sommes tous réunis dans le grand amphithéâtre pour officialiser nos vœux. Concrètement : choisir notre prochain régiment. Les meilleurs élèves se déterminant en premier, l’éventail des choix se réduit au fur et à mesure. Je fais partie du top 20 du classement, je suis certain de ne pas faire partie des déçus. Je suis apte troupe de marine (TDM) et aussi aviation légère de l’armée de terre (ALAT) et donc qualifié pour devenir pilote d’hélicoptère. C’est une voie prestigieuse dont beaucoup rêvent. Faut-il vraiment y renoncer pour une hypothétique carrière, un jour, peut-être, au service Action ? L’amphi est plein à craquer, tous les yeux sont braqués sur moi.

Je me lève et me plante face à l’assemblée. Je me concentre pour parler d’une voix nette. Dans mon annonce je ne veux laisser aucun soupçon d’hésitation : « Mon général, je souhaite intégrer le 6e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMA). » Brouhaha dans les rangs. Il n’y a qu’une place réservée aux TDM dans l’ALAT et je suis le premier TDM apte au pilotage. Pour tous, il n’y a aucun doute que je vais me raviser et choisir l’aviation légère ! Pourquoi vouloir voler au vent alors qu’on peut faire tourner un rotor ? Leurs sourcils froncés trahissent l’incompréhension. Aux yeux de certains, ma décision me catapulte immédiatement de la catégorie « bon élève » à celle d’« ahuri ». Cette séance n’est encore que ce qu’on appelle l’« amphi blanc », qui prépare mon choix définitif du lendemain au même endroit. Durant toute la soirée, les rumeurs vont bon train sur les orientations et changements de cap de tel ou tel… Le second TDM apte pilote croit certainement que je joue avec ses nerfs et que je lui laisse espérer l’accès aux machines volantes le temps d’une nuit seulement. Mais cette première déflagration est suivie d’une seconde : « Mon général, je choisis le 6e RPIMA à Mont-de-Marsan. » Persiste et signe… Stupeur et tremblements dans l’amphi. Le second TDM est aux anges, moi aussi…

Dans ma tête, je me répète les conseils de l’officier responsable des personnels du 11 : « Quand vous sortez de l’EMIA, choisissez un régiment parachutiste d’appelés où le SA pourra vous récupérer facilement. » Le 6e RPIMA est le seul régiment parachutiste d’infanterie de marine composé d’appelés. Pour la DGSE, la manœuvre d’exfiltration — si elle a lieu — sera moins embarrassante politiquement. Tous les autres sont des régiments professionnels, qui n’apprécient guère d’abandonner leurs officiers à un corps concurrent de l’armée… fût-il aussi prestigieux. J’appelle une fois de plus mon correspondant au SA : « J’ai fait ce que vous m’avez conseillé, j’ai choisi le 6e RPIMA à Mont-de-Marsan. » Dans la voix de mon interlocuteur, guère plus d’effusion qu’à chacun de nos échanges : « OK, nous reprendrons contact avec vous. » Le feront-ils vraiment ? À quel horizon ? Trop tard, il a raccroché.

Arrivé comme jeune officier au 6e RPIMA à Mont-de-Marsan, je prends mes quartiers. Je rejoins la 4e compagnie de combat du 6, commandée par un chuteur opérationnel réputé de la division parachutiste, le capitaine Bachelet. C’est un bon père de famille pour ses hommes et un bon chef de guerre pour ses subordonnés. Un peu rebelle, lui aussi, on lui a confié la compagnie Carmin, avec un coyote comme insigne. Ça ne pouvait pas mieux tomber. Il s’agit d’une compagnie de volontaires service long (VSL), des appelés qui signent pour trois ans.

C’est ma première affectation en tant qu’officier et je m’aperçois très vite que mes troupes ont la même mentalité que des professionnels. Je les forme complètement. Je mets sur pied une équipe de bandits car je suis moi-même un bandit. L’ambiance est bonne et j’impose ce qu’il faut d’émulation entre mes groupes de combat pour tirer le meilleur de mes hommes. Les VSL possèdent également cette caractéristique de pouvoir être employés sur des missions à l’étranger et j’espère pouvoir bientôt les déployer sur le terrain, hors des frontières de l’Hexagone.

Je suis heureux, j’ai pris la bonne décision. Le présent est excitant et l’avenir plein de promesses. Entre-temps, mes relations avec le SA se sont espacées, et j’attends.

4

À la recherche des Khmers

Mont-de-Marsan, 1992. Située au sud de la forêt landaise, le plus grand massif forestier d’Europe occidentale, la préfecture des Landes offre un accès facile à des portraits grandioses de mer et de forêts. Les plages de sable fin de la Côte d’Argent et la chaîne des Pyrénées s’étirent à seulement quelques dizaines de kilomètres. Des terrains propices à l’entraînement du corps et à la sérénité de l’esprit.

Rapidement, c’est pourtant beaucoup plus loin qu’il est question de nous envoyer. Le régiment est chargé d’une mission pour le compte de l’Organisation des Nations unies. Destination ? Le Cambodge. Objectif ? Mettre en application les dispositions de retour à la paix, désarmer les Khmers rouges et les réintégrer dans la vie sociale. Pour nous les paras du 6, cela commencera par prendre contact avec les redoutables Khmers rouges réfugiés dans les forêts et les montagnes depuis que Pol Pot, leur leader, a été chassé du pouvoir. Puis il faudra les convaincre de rendre les armes et rentrer dans le rang.

Pour une première, j’ai tiré le gros lot ! Je m’en réjouis évidemment et mes volontaires semblent enthousiastes, mais pas question d’improviser. Je potasse plusieurs jours des livres d’histoire et de relations internationales, j’ingurgite de copieuses revues de presse pour proposer un briefing d’avant-mission qui donne envie à mes hommes de s’investir dans cette mission. Il ne suffit pas d’être chef de section en titre pour être chef. Il faut insuffler la confiance et le respect. Pour cela, il est nécessaire de comprendre la situation, d’avoir une solution crédible à proposer, de savoir l’exposer et surtout de la mettre en œuvre avec son équipe. À partir de ce moment, le « Faites ce que je dis ET ce que je fais » prend tout son sens. Mon petit exposé se veut synthétique, clair et précis.