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— Oui : la grande lessive. Les balles tirées sur le Président ont tué beaucoup de monde !

* * *

Le pénitencier de Kalamity Beach s’étale dans une plaine sablonneuse du genre aride, à quelques kilomètres du Pacifique.

Alentour, c’est une espèce de savane broussailleuse agrémentée de boqueteaux aux arbres chétifs. Les bâtiments ne sont plus modernes et pas encore vieux. Fonctionnels et grisâtres, tu vois ?

Les hauts murs sont prolongés par une triple barrière de barbelés et quatre miradors marquent les angles de l’établissement. Je me dis qu’il ne doit pas être facile de s’évader de cette pension de famille car, outre ses défenses, le fait qu’elle soit environnée d’espaces vastes et dénudés complique singulièrement une « belle » éventuelle. Une seule route y conduit et tout arrivant est repéré de très loin.

Sonner à la lourde d’un pénitencier est presque aussi intimidant que de carillonner à celle d’un monastère.

Un vaste guichet s’ouvre et un visage découpé en neuf morceaux par les barreaux du judas m’apparaît. La vérité m’oblige à dire qu’aucun de ces neuf morceaux n’inspire la sympathie.

On me demande ce que je veux. Je plaque ma carte sur l’un des carrés vides et débite par-derrière ma petite histoire.

La bouche inscrite dans le carré du milieu me conseille de patienter.

Pour tromper la tante, comme disait mon oncle, je m’accoude à la portière de Nancy. Nous voilà à trente-deux centimètres l’un de l’autre. J’estime que c’est encore trop, c’est pourquoi je passe ma tête à l’intérieur de la limousine. Sa forte bouche est déjà humide. Que doit-il en être de sa chattounette ! Affaire à suivre.

— On peut goûter ? murmuré-je.

Elle a un sourire qui, précisément l’oblige à écarter ses lèvres. L’ouverture est trop belle, d’où pelle aspirante, philippine de menteuses, crissement d’ivoire, cocktail d’amygdales.

— Après vous s’il en reste ! gouaille l’énorme sodomite vautré à l’arrière.

Mathias, soucieux de mon confort moral, fait taire le terre-à-terre. Notre baiser se prolonge infiniment, jusqu’à ce qu’une voix grasse comme un bac à friture lance derrière moi :

— Hé ! Vous !

Le « vous », qui est « moi » en l’occurrence, s’arrache, tout filamenteux, et fait front à deux gaziers en uniforme. L’un des deux m’apprend la bonne nouvelle : le directeur du pénitencier, M. Archibald Graigh, consent à me recevoir.

* * *

Pas très marrant, ce dirluche. Faut dire que sa fonction, non plus que l’endroit où il l’exerce, n’incitent à la gaudriole. En voilà un, quand il va retrouver la grande Betty, pour son jour de congé, il doit lui faire mettre les pinceaux en bottes de radis avec les arriérés qu’il trimbale !

Il est assez épais, les cheveux rudes et gris, le menton carré, la paupière en peau de croco, le regard vigilant et fonctionne en bras de chemise derrière un burlingue paperasseux.

Il ne se lève pas pour m’accueillir, se contentant d’un hochement de tête. Il me désigne néanmoins le siège placé en face de lui. Moi je lui remontre ma carte et lui déballe une très mignonne histoire, qui, bien illustrée par un dessinateur de talent constituerait un joli album de Noël pour la jeunesse. Une réforme pénitenciaire est à l’étude, en France, et je préside la commission chargée de visiter les établissements américains afin que nous nous en inspirions éventuellement.

A ces mots il rit comme un bulldog aboie après le facteur des recommandés et me déclare que sa taule est le prototype même de ce qu’il ne faut pas faire ! Une cage à cancrelats où l’on crève de chaud l’été et de froid l’hiver. Elle est loin de tout. Les gardiens sont plus mal logés que les prisonniers et il redoute davantage une mutinerie des premiers que des seconds. Les détenus sont à six par cellule de deux. Le sanitaire est naze, au point que les coupures d’eau sont fréquentes, etc. Le tableau qu’il nous dresse flanquerait la fièvre acheteuse[16] à une vache.

Je le laisse se vider en prenant des notes dont je n’ai rien à cirer. Ça lui fait du bien à cet homme de déverser sa bile dans le giron pare-balles d’un étranger. L’administration doit l’envoyer aux pelosses et se torcher le fion avec ses rapports, alors il n’en peut plus, Archibald. Il me tient, il me garde ! Un homme lancé à cinq mille tours, si tu as la patience de l’écouter, c’est pas difficile ensuite de lui tirer les vers du pif. Tu joues un air de flûte et, tels les najas marocains qui sortent de leur couffin en se dandinant, le v’là qui répond « Présent ! ».

Il jacte à la mitraillette, le dirluche. Évidemment, il ne subsiste personne ici y ayant vécu au début des années 60. Par contre, à Kalamity Beach City, on peut rencontrer le vieux Hogland, un ancien gardien-chef de la boîte, qui faisait régner la terreur parmi les fortes tronches. A lui seul, il a maîtrisé une émeute dans la cour de la promenade, rien qu’avec sa matraque et sa tête d’Irlandais. Si je veux des histoires, c’est lui que je dois rencontrer. Il habite chez sa fille, sur le port. Elle tient un restaurant : Au Bourlingueur.

Alors là, oui, je prends note avec plaisir.

* * *

Les huîtres ressemblent à des belons. Elles sont énormes et sans saveur. Renseignement pris, la loi américaine oblige les restaurateurs à les laver avant de les servir. Je n’ignorais pas que les Ricains étaient des cons, mais je m’aperçois que ce sont également des béotiens et dès lors, je trouve logique leur défaite au Viêt-nam, pays qui, lui, sait admirablement manger quand il a de quoi.

Après les huîtres, on se cogne des steaks larges comme des pizzas mais cinq fois plus épais, avec des back potatoes pour garniture. Le picrate californien se laisse boire et la serveuse qui s’occupe de nous se laisse peloter par le Gros, ce qui rend ce restau convivial.

Une grosse dame de cinquante carats avec la poitrine comme un péristyle de théâtre, un peu de barbe grise et des cheveux de couleur abricot s’occupe de tout un chacun : clients et serveurs, avec une autorité joviale. Je te parie, chérie, ma belle grosse bite contre celle de ton époux, qu’il s’agit de la fille du père Hogland.

Dès que nous avons terminé notre gelée de foutre à la framboise[17] je hèle la dame for the bill et j’en profite pour lui demander des nouvelles de son cher papa. Elle me répond, sans grande joie, qu’il doit être quelque part « par là » tout en montrant le port.

On s’apprête à lever le siège quand Nancy, que j’ai conviée à partager nos agapes, demande à emporter les restes pour son chien, ce qui est l’usage dans les pays civilisés comme les Etats-Unis d’Amérique. Les restaurateurs ont des boîtes de carton revêtues d’étain pour cela. La chauffeuse nous explique sans vergogne qu’elle emporte nos reliefs (moins ceux de Béru qui n’en laisse jamais) pour son vieux père avec lequel elle cohabite depuis qu’il est veuf. Ce soir, elle va réchauffer cette ragadasse à l’oncle Tom qui, dès lors, se fera un gala gastronomique de première.

* * *

On le déniche dans le quatrième bar, l’ancien maton. Il y joue aux fléchettes avec un petit Noir déguenillé, morveux mais charmant, au sourire en tranche de noix de coco. Le vieux Hogland devait être aussi roux que Mathias avant de blanchir. Sa forte tignasse d’Irlandoche hésite entre la couleur queue-de-vache et le gris moisissure. Un pif monstrueux qui fait songer à une ruche, des yeux presque blancs, durs comme des cailloux de rivière, un menton trapézoïdal, il a tout du vieux fumier décrépit par le temps.

J’applaudis à l’exploit qu’il vient de réaliser en fichant sa fléchette au cœur de la cible, l’aborde en lui demandant s’il est bien lui — ce qu’il m’affirme avec autorité —, lui raconte la même histoire qu’au dirluche du pénitencier et le convie à prendre un verre avec nous, ce qui semble l’humaniser quelque peu.

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16

Béru dixit.

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17

Ne commande jamais de gelée comme dessert dans un restaurant amerlock, non seulement tu ne sais pas ce que tu bouffes, mais c’en est !