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Elle marchait en forme de diabolo en partant. Pour toi, ça ne veut rien dire, mais je me comprends sans sous-titres. Elle voulait savoir si j’allais demeurer longtemps à « L’Os-en-gelée. » Plein les baguettes, et elle préparait déjà en pensée sa tringlette du lendemain ! Je lui ai répondu qu’on ne partirait que par l’avion de l’après-midi et que je lui ferais volontiers voir les anges avant de m’en aller.

In petto, je me proposais de lui interpréter le minon-minette double gamahuche, la sangsue vorace, l’omnibus renversé, le portrait de Mao, le tire-bouchon moldave, la rose des ventres, le concert sur le grand Canal, le levier d’Hercule, l’hôtel du Pou Nerveux et la Corolle d’Aubépine, convaincu que ces pratiques lui laisseraient un souvenir perdurable et affirmeraient dans son esprit te prestige français préoccupation toujours présente en moi.

Donc, elle s’en est allée, la vaillante, et ma pomme qui escomptait tirer un bilan de nos pérégrinations californiennes, ma pomme, ce zéro au fou rire si con, de s’endormir plouk ! pof ! comme un bestiau délardé de sa semence.

Le rêve qui vient me visiter, ainsi qu’il est dit dans les grands textes, mêle Robin Bolanski à Norma Cain, M. et Mme Minsky, les anciens voisins de Garden à Alfred Constaman, maman à la grosse infirmière de Miss Cain, Mathias épouse, ta soubrette noire, et Nancy tape un rassis à Béru. Bref, c’est la fresque onirique à grand spectacle, mi-plaisante, mi-angoissante. Pour ma part, je joue un rôle de fève des rois. Me sens réduit à la dimension d’un haricot sec et suis perdu dans un gros poudinge que le père Hogland taillade à coups de poignard. Une gigantesque lame passe et repasse autour de moi. Je reste immobile, blotti entre une amande et un morceau de prune confite, n’en menant pas large.

La grésillerie du téléphone vient me chercher au sein de mes étranges démêlés. Je retrouve ma chambre luxueuse dont un soleil matinal force les stores.

J’ai la faculté, consécutive à ma redoutable profession, je présume, de m’éveiller instantanément. Pas de no man’s land comateux, de bâilleries à n’en plus finir, de brouillard difficile à dissiper. L’homme est présent à la seconde. Je décroche le turlu.

Un réceptionniste m’informe que le chef inspecteur Esbarraco souhaiterait me parler d’urgence.

Passablement surpris, j’interroge ma Pasha du regard. Elle m’annonce 8 heures 14. Je prie le préposé d’accompagner le chef inspecteur jusqu’à ma chambre. N’ensuite de quoi, je remonte les stores, ouvre la fenêtre en grand, m’introduis dans ma robe de chambre et mes mules de cuir, et reçois deux messieurs pas plus antipathiques que n’importe quels autres flics yankee (mais pas moins). Esbarraco est d’origine mexicaine car ses sourcils rejoignent sa moustache et il a le teint d’un gazier en train de mal se remettre d’une hépatite virale. Le mec qui l’escorte est blondinet au regard de porccelaine (lui, ses origines seraient plutôt bataves).

Je prie cet aimable tandem d’entrer, lui montre le coin salon et m’y installe de concert.

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de votre visite ? questionné-je.

Cette tournure de phrase européenne les fait chier. Esbarraco renifle de mépris.

Il dit :

— Vous êtes français, ainsi que les deux hommes qui vous accompagnent. A la rubrique, vous avez mis « fonctionnaires », exact ?

— Naturellement.

— Fonctionnaires, reprend-il, dans quelle branche ?

— Police.

Il sourcille.

— Comment ça ?

Je vais cueillir mon porte-cartes à l’intérieur de mon veston afin de lui apporter la preuve de mes dires.

Il la prend, la contemple avec un intérêt manifeste et s’en tapote les ongles avant de me la rendre.

— Hier, vous avez loué une limousine à la compagnie Californian Cars ?

— Exact.

— L’auto était pilotée par une Noire du nom de Nancy Pearl.

— Et alors ?

— Après ses prestations, elle est venue dans cette chambre et y est demeurée un sacré moment, paraît-il ?

— C’est un délit ?

— Ça, non. Ce qui en est un c’est qu’elle ait été assassinée tout de suite après vous avoir quitté.

Je bondis :

— Qu’est-ce que vous dites !

— Elle a quitté l’aire de stationnement devant l’hôtel et a gagné la sortie, mais elle ne l’a pas empruntée et a stoppé la limousine sous le couvert des arbres du parc. Là, on l’a d’abord bâillonnée avec des bandes d’albuplast. Puis on l’a molestée. Elle porte des traces de brûlures sur les seins causées par un cigare. On lui a également entaillé les joues au moyen d’une lame effilée. Ces sales manœuvres, je suppose, afin de la conditionner. Après quoi on a arraché incomplètement l’albuplast pour qu’elle puisse parler. Lorsque le, ou les tortionnaires ont appris ce qu’ils voulaient savoir, ils lui ont tranché la gorge. Une belle cochonnerie ! Elle s’est vidée pendant la nuit et un jardinier a trouvé son corps à cinq heures et demie ce matin.

— Mais c’est épouvantable ! m’exclamé-je, conscient d’émettre là un lieu commun tout venant, du genre de ceux qui me font hausser les épaules quand un suce pet me les sert.

— Oui, épouvantable, admet Esbarraco. Les premières constatations du médecin indiquent qu’elle a subi une agression sexuelle avant de mourir.

Il me darde de ses yeux noirs, pas généreux.

— Qu’appelez-vous une agression ? fais-je, mal à l’aise.

— Elle a eu des rapports récents et ne portait pas de culotte ; sans doute que son assassin, un vicieux, la lui a dérobée et l’a emportée.

Pendant qu’il dit cela, son coéquipier se penche à son oreille et chuchote. Esbarraco se soulève alors de son siège pour regarder un endroit précis de la chambre qui est le lit. Mes yeux font un brin de conduite aux siens. Ce qui me permet de découvrir l’objet de leur attention : le coquin slip noir de Nancy, bordé d’un liseré rose chargé d’en souligner la salacité.

Pour lors, mon guignol exécute un quadruple axel. Je sens un froid polaire envahir mes extrémités.

En moi, une voix qui a les inflexions de celle de m’man me dit :

« Ne te laisse pas démonter, Antoine ! Tu n’as rien à te reprocher. Alors, fonce ! »

Et je fonce :

— Je crains, monsieur Esbarraco, que votre légiste ait tiré des conclusions hâtives en prétendant que Nancy Pearl a subi des violences sexuelles. Il se trouve tout bonnement que nous avons fait l’amour ensemble avant son départ et que, dans son émotion sans doute, elle a oublié son slip ici.

— Vous vous tapez des Noires ? demande sèchement le chef inspecteur.

— Quand j’en ai l’occasion, avec plaisir. Je pense que, pour un expert, ce lit où j’ai dormi « ensuite » porte encore les traces de nos ébats. La malheureuse n’a donc pas été violentée dans sa voiture, mais aimée dans cet appartement ; la nuance est capitale.

Le policier ricain se lève pour arpenter la chambre. Puis il va ouvrir la porte-fenêtre donnant sur une terrasse.

— Venez voir quelque chose ! m’enjoint-il.

Lorsque je l’ai rejoint, il me montre une masse noire entre des haies de lauriers en fleur.

— Vous savez ce que c’est que ça ?

— Une voiture, non ?

— Exact, c’est une voiture : la limousine de la fille. Vous n’auriez eu que dix grands pas à faire en passant par la terrasse pour gagner la sortie, faire signe à la Noire de stopper et lui demander de se garer un instant à l’abri des arbres.

Je bondis :