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— Il a eu peur, mon grand.

Voilà que l’Amérique rend le Rouquemoute familier.

— Peur de quoi, mon petit ?

— Qu’on le zigouille s’il faisait état de la chose, qu’on le zigouille comme on a buté le sénateur Della Branla. Comme on a essayé de tuer la belle Norma Gain. Il a compris que son fameux document, il lui serait impossible d’en faire état avant l’attentat contre Kennedy !

Comme je ne réponds rien il murmure :

— Tu crois que je me trompe ?

— Je te parie un trou de mémoire répertorié par Alzheimer, contre un trou du cul sublimé par Roger Peyrefitte, que tu as trouvé la solution de ce problème laissé en attente, Mathias.

Nous reprenons notre marche. La cellule d’Al Capone se trouvait au premier étage du quartier B.

Mais ce haut lieu ne semble pas intéresser Mathias qui, le nez au vent, se met à circuler dans les couloirs au pas des chasseurs alpins en parade. Le connaissant bien, je me doute que cette précipitation n’est pas fortuite et qu’elle correspond à un mouvement réfléchi. Je le suis jusqu’au quartier cellulaire « D », celui réservé à la haute surveillance.

Il étudie les numéros des cellules, s’arrête vers la fin du couloir, juste avant la porte donnant sur la bibliothèque et lève les yeux après avoir pris un maximum de recul.

J’attends ses explications.

Elles viennent.

Il me désigne une cellotte du premier étage où les visiteurs ne peuvent accéder.

— Tu as entendu parler d’un pensionnaire célèbre d’Alcatraz appelé « the Birdman » : l’homme aux oiseaux ?

— Tu parles !

— Il occupait la cellule 594, là-haut. C’était un homme redoutable au pedigree chargé. Avant d’être transféré ici, il élevait des canaris au pénitencier de Leavenworth, mais n’en a jamais eu à Alcatraz. La cellule contiguë, c’est-à-dire la 593, fut celle du docteur Garden.

J’en reste comme deux flans de rond.

— Comment as-tu appris cela ?

— Avant de partir, je suis allé interviewer le vieux Constaman en compagnie de ta maman.

— Vous ne m’en avez rien dit, ni toi, ni elle ! bougonné-je ; je déteste les cachotteries.

— Tu étais mobilisé par tes préparatifs, s’excuse Soleil-couchant.

Je considère le premier étage de cellules dont une lumière rasante éclaire faiblement le bas des barreaux.

— On n’est pas aidés, fais-je ; ça va être coton d’explorer l’appartement du Doc.

— Tu as un plan ?

— Tous les grands chefs en ont un, rengorgé-je.

Il sourit.

— On peut savoir ?

— Toutes les serrures sont du même modèle à clé plate. Tu vas prendre l’empreinte de quelques-unes d’entre elles et nous reconstituerons les clés.

Cet après-midi, nous reviendrons ici pour la dernière visite de la journée. Je serai muni du matériel adéquat et je me laisserai enfermer dans la prison. Pendant la nuit, à l’aide des différentes clés et des outils qualifiés que j’aurai en poche, je tenterai d’entrer dans la cellule 593. Il est pratiquement certain que je n’y découvrirai rien, mais je dois en avoir le cœur net. Le lendemain matin, je me mêlerai aux premiers visiteurs et repartirai avec eux.

Il m’a écouté sans piper, le regard perdu.

— C’est bien ainsi que j’imagine les choses depuis le début de cette équipée, fait le Tournesol. Et moi, dans tout ça ?

— Tu viendras ce soir, repartiras avec les touristes et rappliqueras à nouveau demain matin.

— Pourquoi ne veux-tu pas que je participe à l'opération nocturne ?

— Parce que quelque chose me dit que tu peux m’être plus utile dehors que dedans.

Il amorce une moue incrédule, mais c’est un mec qui sait s’incliner devant la volonté de ses supérieurs, tout supérieur qu’il soit lui-même.

— Maintenant, prends les empreintes dont je t’ai parlé, fils.

— C’est fait, assure-t-il en tapotant sa poche droite. Je savais ce que tu allais me demander : ça tombait sous le sens !

— Unique, marmonné-je ; ce mec est unique ! Et quel doigté de gynécologue ! Je ne me suis aperçu de rien.

M’étant haussé sur la pointe des pinceaux, je regarde par l’une des hautes fenêtres le Golden Gate et ses lilliputiens affairés. Tu parles d’un supplice de Tantale pour les prisonniers de jadis !

Sans Francisco est faite de gigantesques taupinières rassemblées, que les fameux tramways (emblèmes de la ville) escaladent et dévalent à une allure vertigineuse avec des grappes humaines agglutinées sur leurs marchepieds. Les automobiles sillonnant ces montagnes russes paraissent toutes appartenir à quelque remake de Bullit, et l’on se demande, en les voyant perpétuellement sauter les bosses, si les amortisseurs sont bien d’un modèle standard ou s’ils sortent d’une chaîne spéciale de Detroit qui leur est exclusivement réservée.

Nous grimpons en direction de notre hôtel, lestés d’emplettes surprenantes de la part d’honnêtes touristes venus visiter l’une des villes les plus « attractives » des Etats-Unis.

A Frisco, les Asiatiques dominent, néanmoins la ville est un creuset où viennent se fondre toutes les races de la planète. Les gens y ont l’air à peu près heureux et les regards que l’on recueille au passage sont, pour la plupart, empreints de bienveillance.

Chaque fois que je croise une jolie fille noire, mon cœur se serre car je pense à la jolie Nancy qui savait si bien piloter des limousines et faire l’amour.

Une fois dans notre suite, nous déballons les petits paquets achetés chez Macy’s, le super-big-magasin du centre-ville, et l’ami Mathias se met en devoir de me préparer mon paquetage, comme un moniteur de sauts aide son élève à plier son parachute. Il fait particulièrement porter sa science sur les clés.

— Vois-tu comme elles sont pratiquement toutes semblables, me dit-il. Le gars de la serrurerie m’a regardé drôlement et a murmuré : « Alcatraz ? » Comme la taule est fermée depuis 30 ans, il n’en a pas dit davantage.

— Peut-être pourrais-je ouvrir à l’aide de mon seul sésame ?

— M’étonnerait. Ces serrures au pêne étroit ne lui conviennent pas. J’ai acheté des limes en irridium de flocage parce qu’elles peuvent mordre dans les métaux les plus récalcitrants. Avant d’essayer les clés, prends l’empreinte de la 593, ce qui te permettra de voir le boulot à pratiquer sans inutiles tâtonnements.

Il poursuit son enseignement, et ma pomme, bon élève, mémorise toutes ses indications prodigieuses car, comme disent les dames de mon entourage : « San-Antonio a aussi une mémoire d’éléphant ! »

On se repose un peu ensuite en regardant un merveilleux dessin animé à la télé, que ça raconte l’histoire d’une girafe qui a introduit son cou dans le conduit d’une cheminée d’usine, tout ça. Bien. Très intéressant.

Rien de plus harassant que l’attente d’un jour « J », voire d’une heure « H ». Le sablier coule trop menu.

Après le film, on décide de descendre vers l’embarcadère et de boire quelques verres sur Fisherman en attendant la dernière rotation du barlu. Les éventaires de marchands de frigousse se succèdent. Tu trouves tous les produits de la mer : poissons, crustacés dans des bacs de friture qui te font redouter l’enfer. Ça pue le rance (le rance d’Arabie), la merde surconsommée et surchiée. Des nuages épais imprègnent tes fringues ! Presque gênants sont les appels des marchands ! Quelques-uns t’ordonnent pratiquement de leur acheter de la bectance, d’autres t’en supplient. Struggle for life !

— Je vais envoyer une carte postale à la maison ! décide Mathias.