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« M. Constaman lui a objecté qu’il n’aurait peut-être pas la possibilité de récupérer cette preuve, le moment venu, étant incarcéré, alors le docteur Garden a éclaté de rire en assurant qu’elle était constamment à sa disposition, vu qu’il lui avait trouvé une planque idéale dans sa cellule. »

Chère mère ! Elle parle avec le ton qu’elle emploie pour commander des escalopes chez notre boucher, sans perdre de vue son papier en forme d’étoile, couvert de son écriture penchée.

— Dis voir, c’est passionnant, exulté-je-t-il.

Elle opine gravement. Tout ce qu’elle fait est empreint du plus grand sérieux, Féloche, qu’il s’agisse de crêpes ou de questionnaires de la Sécu.

— Le docteur Garden est mort peu après, poursuit-elle, tué dans une rixe. L’un de ses codétenus l’a poignardé avec un coutelas dérobé aux cuisines où il travaillait.

— Constaman sait les raisons de ce meurtre ?

— Selon lui, il s’agirait d’une dispute « organisée ». Quelqu’un en voulait à la vie de Tom Garden, ou bien était chargé de le tuer.

— De plus en plus exaltant, ma chérie. Quoi d’autre encore ?

— A la suite d’une action menée par l’attorney général Robert Kennedy, frère du Président, la fermeture du pénitencier a été décidée, et le 21 mars 1963, le dernier détenu a quitté l’île. M. Constaman, gracié, a été hospitalisé à San Francisco. Pendant cette période, il se demandait ce qu’il pourrait bien faire pour se procurer de l’argent. Il commençait à en avoir assez de sa vie de truand. Alcatraz l’avait brisé, de même que sa maladie. Il rêvait d’un bon coup sans danger qui lui permettrait de se refaire et de rentrer en France pour y terminer calmement sa vie.

« C’est alors que lui revinrent en mémoire les confidences du défunt docteur Garden. Il se dit que si son ex-compagnon détenait réellement la preuve d’un complot contre le Président et que si cette preuve se trouvait encore cachée dans sa cellule, il lui fallait coûte que coûte la récupérer. S’il y parvenait, il se disait qu’avec beaucoup d’astuce et de prudence il pourrait grassement monnayer le document. Voilà pourquoi il mit au point sa pauvre petite expédition pour retourner dans la prison qu’il venait de quitter. Elle échoua. M. Constaman faillit être condamné de nouveau et n’insista pas. Il était cette fois complètement vaincu et n’aspirait plus qu’à la tranquillité.

« Alors il se fit cireur de chaussures, puis, au bout de quelques mornes années, put rentrer en France où il vivote depuis lors. Il sait qu’il va mourir et assure qu’il s’en fout. Vois-tu, Antoine, je le crois. Cet homme a fait un long, un très long voyage harassant et a du mal à traîner sa pauvre vie. »

Elle chuchote peureusement :

— Ça t’ennuierait que je passe lui rapporter de la pâte de coings, de temps en temps ?

— Penses-tu, ma poule. Cela dit, je ne crois pas que tu aies encore beaucoup de voyages à faire, dans l’état où je le vois. Il t’a parlé de sa réaction au moment du meurtre de Kennedy ?

— Oui. Il prétend qu’au fil des mois, il avait oublié cette menace ou la jugeait comme étant une invention de camé. L’année 63 s’écoulait et rien de tel ne se produisait. Et puis, le 22 novembre, ce fut le coup de tonnerre qui secoua le monde. M. Constaman affirme que l’accomplissement de la prédiction du docteur l’épouvanta et que, rétrospectivement, il fut soulagé de n’avoir pu trouver le prétendu document de Tom Garden. Il te conseille de ne pas t’intéresser à cette question. Il déclare que le passé c’est le passé et qu’on n’a rien à gagner à rouvrir des cercueils. Je pense qu’il n’a pas tort, Antoine. Il ne subsiste de cette terrible affaire que des lambeaux, de sales lambeaux !

— Comme dirait Flaubert, marmonné-je, parce que je suis espiègle, même avec maman.

3

LES PLEURS DU MÂLE[3]

Il pénètre dans mon bureau, précédé de son ventre qui, selon moi, prend des proportions inquiétantes, depuis quelque temps. Il a l’air très enceint de lui, si j’ose m’exprimer ainsi. Il tient son infâme feutre à la main, comme s’il suivait un enterrement à l’intérieur de l’église, et ses cheveux clairsemés sont collés sur son crâne par une sueur ayant la consistance du saindoux en fusion.

Il rote en guise de salut et vient se déposer sur le siège me faisant face ; il emplit tout le fauteuil.

— Tu continues de grossir, l’avertis-je.

— Non, assure-t-il. D’puis qu’c’te salope d’Berthe a donné ma veste au nettoyage, elle a rétréci.

Il avance son poing fermé dans ma direction, fait éclore ses doigts et j’avise une petite clé chromée au creux de sa paume.

— Ça consiste en quoi ? demandé-je.

— Ça consiste qu' c’te fois, j’ai pris mes précautions, mon pote. Je viens d’louer un coffiot à la banque, dont seul j’ai l’droit d’déponner, si bien que ma Grosse est niquée à mort !

— Tu y planques ton magot ?

— Mieux : mes caillettes d’l’Ardèche, qu’cette pute-vache m’bouffait intranséquement. La dernière fois : vingt-quatre elle a clapées, toutes fraîches, en ord’ d’marche. L’en a dégueulé plutôt qu’d’m’en laisser une seule. D’puis, j’me les fais espédier poste restante par mon charcutier d’ Privas et j’les dépose dans mon coff, mec ! L’sous-sol de la B.N.P. est climaté, et puis j’ai fait la mise sous vide d’mes caillettes en respirant un grand coup devant la porte entr’bâillée avant d’Ia fermer ; j’croive sincèr’ment qu’é n’ craindent rien. Berthy doit accompagner le pommadin à Abano où c’con va curer pour ses rhumatisses : j’m’ferai mes caillettes durant son absence.

Avec satisfaction, il rempoche sa clé, bouclier des fameuses caillettes soustraites à la voracité de sa femelle.

Le timbre de ma porte vrombit ; j’appuie sur le déclencheur[4] et Mathias paraît, un papier pelure à la main.

— Tu vas aux gogues ? lui demande Béru en montrant le document. Moi, du si fin, mes doigts passeraient à travers et y aurait des virgules sur la lourde des cagoinsses. Comme torche-cul, depuis ma primaire enfance, j’ préfère des feuilles de plantes, c’est plus v’louté. Des feuilles, sinon rien ! Ma Baleine rouscaille biscotte ell’ arrive pas à s’garder un philodendron à la maison.

— Tu as les renseignements ? fais-je au Rouquemoute[5].

Il agite son papelard.

— Bien, marqué-je-t-il ma satisfaction.

Puis, au Gros :

— C’est tout ce que tu avais à me dire, mon Bichon ?

Il la prend mauvaise, l’Obèse.

— Gênerais-je-t-il, maint’nant que môssieur est direqueteur ? maugrée l’Enflure.

— Quelle idée !

— Ah ! bon, pace qu’autr’ment sinon, j’saurais m’effacer, déclare le Poussah en adoptant une posture languissante afin de bien marquer sa détermination à rester.

Mathias, sur un signe de moi, s’assied sur mon bureau, le dos tourné au Mastard. Il survole son document du regard.

— Ton vieux type de l’hospice a dit juste : Thomas Garden a effectivement exercé la médecine à Los Angeles dans les années 40 et 50. Il était spécialiste de la chirurgie faciale et a « bricolé » la gueule de pas mal d’actrices d’Universal Studios. Il a eu comme clientes quelques vieilles milliardaires qui ne juraient que par lui après qu’il les eut ravaudées. Deux d’entre elles l’ont couché sur leur testament, après l’avoir couché dans leur lit, et sont mortes peu de temps après. Les familles ont porté plainte et les enquêtes qui s’en sont suivies ont conclu à la culpabilité de Tom Garden. S’il a échappé à la peine de mort, c’est uniquement parce qu’il a nié avec opiniâtreté et que le jury a eu quelques ultimes réticences. Il a été envoyé au pénitencier de Kalamity Beach sur la côte Ouest où, vu sa profession, on l’a affecté à l’infirmerie.

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3

Chapitre dédié à Charles Baudelaire.

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4

Je n’arrête pas le progrès !

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5

Un gentil à moi, roux comme un tournesol, croit que je me moque des rouquins ! Quelle sottise ! Je les adore, surtout quand je suis enrhumé.