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« Durant quelques mois, tout s’est bien passé pour lui. Mais il s’est mis dans l’idée de s’échapper et, pour cela, il a chloroformé un garde. Trop forte dose : le type a failli crever. Son évasion a échoué, et alors, étant catalogué comme un détenu dangereux, il a été expédié à Alcatraz, la prison des durs. Toujours comme l’a dit Constaman, il a effectivement été poignardé par un de ses compagnons de détention, mais c’était au cours d’une mutinerie au réfectoire provoquée par la qualité de la nourriture qui avait baissé, alors qu’on bouffait plutôt bien à Alcatraz. Le type qui l’a planté était un certain Robin Bolanski dit « Long Museau », fils d’émigrés polonais et pilleur de banques notoire. Il a plaidé la légitime défense et n’a écopé que de quelques jours de Q.H.S.[6], ce qui est assez stupéfiant. Rien que le fait de s’approprier le coutelas aux cuisines aurait dû lui valoir bien davantage.

« A la fermeture d’Alcatraz, il a été envoyé dans une autre prison. Mais six mois plus tard, il a bénéficié d’une remise de peine pour « bonne conduite » (sic) alors qu’il lui restait encore huit ans à tirer. Je n’ai aucun tuyau concernant la façon dont il s’est comporté depuis sa vie carcérale. Tout ce que j’ai appris, c’est qu’il vit toujours, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’il n’est âgé que de 64 ans. Robin Bolanski partage la vie et la maisonnette d’une vieille maîtresse d’origine portoricaine du nom de Bella Rodriguez-Bueno à Venice, dans la banlieue de Los Angeles. Il a été frappé de paraplégie à la suite d’une attaque cérébrale. »

Ayant dit, l’Informé plie son texte en deux et le place devant moi, en forme de toit. Je souffle dessus et le document sur pelure prend un bout de vol pour s’abattre dans une corbeille à paperasse grillagée.

— Excellent travail ! complimenté-je.

Évidemment, le Sagouin, d’une jalousie sans cesse en éveil, grommelle :

— On peut en faire des choses avec le téléphone et un titre ronflant !

Mais Xavier ne se donne même pas la peine de réagir.

Je me lève pour gagner le petit bar planqué dans un casier d’apparence solennelle.

— Ça s’arrose ! dis-je.

Je sors deux verres, puis trois.

— Bloody-Mary pour tout le monde ? interrogé-je.

— Je préférerais du vin rouge, déclare Béru.

— Je n’ai à proposer que du Bloody-Mary !

— Alors un bloudi-Marie sans tomate pour moi.

Manière plaisante de commander une vodka.

Je joue au barman. Béru est le premier sur les lieux ; le premier également à vider son godet.

Il clape de la menteuse, examine l’étiquette.

— Quarante-deux degrés ! s’exclame-t-il. J’ai senti, au goût, qu’j’venais d’toucher d’Ia boisson pour mauviettes.

Je lui virgule un regard flétrisseur.

— Il y a des moments où tu ne m’amuses plus, lui dis-je, et ils sont de plus en plus nombreux.

Il me fixe d’un œil stupéfait, sa lèvre en gouttière se met à trembler. Puis il bafouille :

— Tu voudras qu’j’t’dise, Sana ?

Il émet en un synchronisme complet un pet et un rot qui réveilleraient un gisant de marbre.

— Message reçu, fais-je. T’as rien d’autre à me dire ?

Il sort de mon bureau sans un mot. Comme sur un dessin de Dubout, ses bretelles traînent dans son dos, pareilles à un appendice bicaudal.

— Tu es cruel avec lui, me reproche Mathias.

Il a raison : je regrette déjà.

Le Rouquemoute rêve à haute voix :

— Ce serait amusant, dit-il.

— Qu’est-ce qui serait amusant ?

— Que ce soit la Police française qui perce à jour le mystère Kennedy.

— Parce que tu crois que nous soulevons une piste avec l’affaire Tom Garden ?

— Ce n’est pas impossible.

— Conclusion, il faut partir là-bas renifler tout ça de près ?

— Ça pourrait devenir bien, répond-il.

— O.K. ! Je vais arrêter des dispositions me permettant de prendre quatre jours de congés.

— C’est peu.

— Mais mieux que rien, comme disait ma mère-grand.

Il a un petit acquiescement nostalgique.

— Ça risque d’être passionnant ; tu as de la chance.

— Toi aussi, puisque tu viens avec moi !

Illumination de sa frime déjà surexposée.

— Vraiment ?

— Va préparer ta valdingue.

— J’entends déjà gueuler ma femme !

— Laisse-la gueuler, c’est bon pour les nerfs et les cordes vocales. Cette gonzesse, il faut absolument que tu la mettes au pas, camarade. Un de ces jours, je me poivrerai la gueule et j’irai te la baiser ; tu surviendras en plein adultère, ce qui te fournira l’occasion de lui filer une monstre rouste et de raccourcir les rênes ensuite !

Il rit :

— Tu n’y vas pas par quatre chemins, directeur !

— La ligne droite, mon petit Xavier ; la ligne droite !

Comme j’achève de formuler ces pauvres lieux communs, indignes d’un esprit de mon niveau, quelqu’un réclame le péage. Je vais débloquer la goupille. C’est le brigadier Musardin Alphonse qui bondit dans mon antre comme un para dans l’espace.

— Venez vite, monsieur le directeur ! L’inspecteur principal Bérurier veut mettre fin à ses jours. Il pleure comme un veau en criant que vous ne l’aimez plus ! Si le cran de sûreté de son pistolet n’était pas bloqué, il aurait déjà commis l’irréparable !

* * *

— Pourquoi commençons-nous-t-il par « L’Os-cn-gelée » ? demande Bérurier occupé à guigner son bagage devant le tourniquet.

— Parce que c’est là que le docteur Garden a commencé sa vie et là que son meurtrier achève la sienne, expliqué-je brièvement.

Ça ne l’éclaire pas beaucoup, néanmoins il fait « Ah bon ! » d’un air entendu.

Car, comme tu le vois, il fait partie de la virée ricaine, le Gros. Je lui devais cette réparation après le traumatisme que je lui avais infligé. Une authentique crise de nerfs, il s’est payée, l’apôtre ! Y a fallu trois inspecteurs pour le maîtriser et moi, son dalaï-lama, pour l’apaiser. Ses énormes lotos globuleux lui pendaient littéralement sur les joues. Il avait le devant de sa chemise déchiqueté, le crâne fendu pour avoir tenté de défoncer un mur de son bureau avec ! Il écumait comme s’il était en proie au delirium. Au bout d’un quart d’heure de tendresse forcenée et de quatre verres de beaujolais quéris en hâte à la brasserie du coin, il s’est calmé. Pour tout planifier, je lui ai dit de rentrer chez lui préparer une valise pour quelques jours et de ne pas oublier son passeport car nous partions pour les States avec Mathias.

« — C’est vraiment nécessaire qu’on l’emmenasse ? » a-t-il simplement répondu.

Dans l’avion, au lieu de regarder le film, on l’a affranchi de ce qui se passait. Il a suivi le récit attentivement, posant de bonnes questions judicieuses. Ensuite, comme il avait, tout en devisant, éclusé une bouteille de champagne (je nous suis offert des first) et deux de bordeaux, plus quatre Cointreau dégustation, il s’est endormi. Et nous voilà, deux heures (heure locale) après notre départ, mais onze heures (en temps réel) plus tard dans le vaste aéroport de « L’Os-en-gelée », comme dit le Fameux.

Nos bagages surviennent en dodelinant : une valdingue Vuitton pour ton serviteur, une valise Durand, en peau de porc véritable, pour Xavier Mathias, et un sac de mataf éventré et mal recousu pour l’Enflure.

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Quartier de Haute Surveillance.