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« Vous, monsieur, qui avez le teint bistre, peut-être vous êtes-vous fait enculer ? Si c’est le cas, vous savez de quoi je parle. Mais trêve de confidences. Je ne crois pas vous avoir remis de pourboire, n’est-ce pas ? En ce cas, voilà cinq dollars, vous seriez très aimable de m’en rendre trois demain matin si vous y pensez, car il serait inconvenant que je vous donne en pourboire davantage que la valeur vénale de ma consommation. »

Estimant que la diatribe de Xavier Mathias est achevée, je quitte le salon où je me tenais à l’écoute pour venir dans sa chambre. Le trouve assis dans son lit, dos à l’oreiller, avec un plateau lesté d’une théière fumante sur les jambes. Un serveur probablement indien, le regard d’onyx et les pommettes poilues, s’efface pour me laisser entrer, puis se retire.

Mathias m’adresse un sourire éclairé de cent cinquante volts à l’intérieur.

— Je me demandais où tu étais passé, me dit-il, je me sentais inquiet. Pour tromper l’attente, je discutais avec ce valet de nuit dont la conversation est pleine d’agrément. Il faut que tu saches, Antoine, combien je me sens dispos. Tu as en face de toi un homme neuf et tu m’obligerais en me résumant toutes les tribulations qui nous sont advenues, à toi comme à moi.

Je le contemple, et c’est vrai qu’il m’a l’air en forme, complètement ragaillardi. Ne subsiste plus que cette idée fixe relative à sa vie maritale. Est-ce le fait de s’être envoyé en l’air avec la sublime Mary qui lui a provoqué cette soudaine dépendance au fouinozof de sa mégère ? Sûrement. C’est un fragile, Mathias, un être dominé et perméable à tous les remords, qu’ils soient justifiés ou non. Il m’écoute, en élève studieux, soucieux de ne rien rater du cours. J’avais déjà tenté de stimuler sa mémoire, mais celle-ci demeurait poisseuse, avec trop de filaments qui festonnaient comme des toiles d’araignée à une charpente de grange. Là, il capte aisément et assimile bien tout.

Quand, pour terminer, je lui annonce que je viens de reconquérir le trophée Lancôme, ses grands yeux rouges s’emplissent de larmes.

— O mon Dieu, soupire le cher sodomiseur d’Angélique ; ô doux et bienveillant Seigneur si miséricordieux. O Vous le suprême ! Vous, l’indicible ! Vous qui donnez tout et n’attendez rien ! Vous qui n’êtes qu’Amour pour nous, misérables pécheurs indignes de Vos grâces, je me prosterne à Vos pieds de lumière.

Il se signe, en haut et à gauche.

— Montre ! fait-il. Montre vite !

— Je ne l’ai pas.

Son éberluance fait peine à voir. Tu dirais un baigneur californien qui vient de se faire becter une guitare par un requin blanc et qui n’a rien senti parce que c’est toujours comme ça avec ces sales bêtes : ils te dévorent sans que tu éprouves autre chose que de la surprise ; tous les gens qui se sont laissé bouffer les couilles par un requin blanc m’affirment la même chose.

— Comment ça, tu ne l’as pas ?

— Je l’ai mis immédiatement en lieu sûr avant qu’un commando de récupération ne soit lancé à nos trousses. Tu penses bien que Hugh Williams va passer la main après ce cuisant échec et qu’on va, cette fois, nous dépêcher une équipe de choc !

— Qu’en as-tu fait ?

— Je ne te le dirai pas.

— Merci de la confiance !

— Ce n’est pas par manque de confiance que je te tais l’endroit où je l’ai planqué, c’est pour te protéger. Si on s’empare de toi, au moins, tu ne sauras rien !

— Et si on s’empare de toi, Antoine ?

— J’essaierai de tenir le choc. Un seul point faible est préférable à deux.

— Tu as lu le texte, au moins ?

— J’ai failli céder à la tentation, mais j’ai eu la force de caractère de n’en rien faire.

— A cause ?

— Pourquoi crois-tu que Williams ne l’a pas lu non plus ? Parce que lire cela, c’est accepter le risque de mourir.

— Mais tu ignores ce que contient ta foutue plaquette !

— C’est ma meilleure chance d’avoir la vie sauve si les choses se gâtent complètement.

— Tu aurais pu l’ouvrir, lire et la refermer.

— C’est toi, l’hyper-technicien, le crack des labos qui dit une connerie pareille ? Mais, Fleur-de-Carotte, cette plaque métallique a été « usinée » et emboutie depuis un tiers de siècle, la déplier et la replier laisserait des traces voyantes et indélébiles !

— Exact !

— Bon, alors on change de disque. Parlons de notre programme.

— Tu y as déjà réfléchi ?

— Mieux que ça ; je l’ai établi…

— Je t’écoute.

— Tu te remets dans tes hardes et tu te rends à la gare routière après avoir changé deux ou trois fois de taxi. Là-bas, tu achètes un billet pour n’importe quelle grande ville. Arrivé à cette destination que je ne connaîtrai donc pas, tu vas à l’aéroport et, sous un faux nom, tu prends un billet d’avion pour où tu veux ; de là, tu regagneras Paris. Grouille-toi, nous avons, comme capital temps libre, celui qui sépare l’émission de ton gaz magique de leur réveil.

— A quelle heure as-tu balancé le potage, grand ?

— Onze heures du soir environ.

Il mate sa montre.

— D’ici une ou deux heures le plus costaud des deux reprendra conscience…

— Alors démerde-toi !

— Et ton programme à toi ?

— Retrouver Béru ; jusqu’ici, pris par notre « mission », nous l’avons royalement laissé quimper.

— Mais ils vont t’alpaguer, Antoine !

— Pas sûr. En tout cas, ta disparition garantit ma sécurité. S’ils me serrent, je dirai pour débuter que tu as mis les voiles avec le gadget.

— Tu ne vas pas rester au Méridien ?

— Non, rassure-toi.

— Alors ?

— Alors, merde ! Je te demande de foutre le camp le plus vite possible. Tu devrais déjà être dans un bahut. Décidément, tu es un vrai bureaucrate, mon pote ! Tu as le cul plombé !

Il glousse des protestations, le Grand-cierge-scintillant, mais finit tout de même de se sabouler. Il part enfin dans la nuit new-yorkaise, non sans m’avoir donné une accolade napoléonienne.

* * *

Il est six heures de moins sur la côte Ouest. Soit, environ dix plombes du soir, présentement. Je risque le coup, avant de me tirer, d’appeler le Beverly Hills Hôtel à Los Angeles. Comme je l’ai fait naguère, je redemande après Mr. Alexandre-Benoît Bérourier et, comme la fois précédente, on me répond qu’il a quitté l’hôtel. Au lieu d’en rester là, je pousse l’interrogatoire ; difficile de faire jacter une employé d’hôtel sans avoir de banknotes à lui faire renifler, mais au Beverly Hills c’est la classe et les gars qui y travaillent se comportent comme si tous leurs clients étaient des gentlemen.

Faut dire que j’exprime aimablement, en homme sachant conduire un interrogatoire et aussi en prévenant que je suis l’ami d’enfance de Mr. Sam Chatouilh, le principal actionnaire du palace. Si bien que je réunis en moins de pas longtemps les indications suivantes :

a) Le Gros a quitté l’hôtel en compagnie d’une riche Anglaise qui y était descendue, Lady Keckett.

b) En partant, il a réglé non seulement sa note, mais également celle des « deux messieurs » qui l’accompagnaient et à emmené leurs bagages.

c) Lady Keckett a fait retenir deux billets en first pour le vol de New York.

Je te laisse entrevoir combien ces renseignements me sont précieux. Ainsi donc, mon travail de recherches va se trouver simplifié puisque, si j’en croive (dirait Béru) ces indications, il se trouverait à N.Y. Qu’est-ce qui a bien pu se produire qui l’amenât à quitter le Beverly Hills avec notre paquetage ? Pourquoi s’est-il rabattu directo sur Nouille York alors qu’il savait que je projetais de me rendre à Frisco ? Autant de sulfureux mystères qu’il me faudra bien éclaircir un jour très prochain !