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Maintenant, il est temps de me fondre dans la Grosse Pomme avant qu’il ne m’arrive des pépins, si je puis plaisanter de la sorte sans perdre de mon crédit. Nonobstant l’aimable bafouille que j’ai laissée à mes enfarinés, je m’attends à du grabuge car ils n’ont pas d’autre solution que de prévenir leurs sponsors de mon coup fourré et là, je te prie de croire qu’il risque de pleuvoir des grêlons gros comme les diams de Liz Taylor.

Bon, je me tire ailleurs, comme disaient jadis nos braves Sénégalais. A leur propos, papa me racontait qu’ils étaient venus « en manœuvres », jadis, dans son village, et ce qui avait le plus impressionné mon futur vieux, c’était de les voir se raser le crâne avec des tessons de bouteille (authentique).

Je gagne les ascenseurs (ayant acheté un billet à la loterie dont ils constituent le gros lot) et appuie sur la touche d’appel. En Amériquerie, les ascenseurs sont fulgurants. Qu’à peine t’es dedans, ils font un bond de vingt étages qui te paraît durer l’espace d’un seul. Je frète donc la chouette cabine capitonnée, mais avant que je n’aie eu le temps de programmer le rez-de-chaussette, l’engin s’élance vers les sommets, ayant été appelé par saint Pierre, sans doute. En fait la personne qui attend est beaucoup mieux que saint Pierre puisqu’il s’agit d’une sublissime gonzesse, chinoisante sur tes bords, somptueuse dans une robe de lamé or et une étole filante en vison noir. Son maquillage n’a pas souffert de la soirée d’où elle sort. Radieuse et énigmatique, elle me coupe le souffle. Je feins de considérer que le perpétuel sourire « accroché à sa face », comme dit mon pote Aznavour, m’est exclusivement adressé, et je le lui rends avec toute la charge émotionnelle dont tu me sais capable.

Voyant que je ne sors pas de la cabine, elle murmure :

— C’est moi qui vous oblige à monter au dernier étage.

Et ma pomme, dans la foulée :

— Ça me vaut le plaisir de redescendre en votre compagnie.

Elle ne rougit pas, étant chinoise, mais le cœur y est.

— La soirée était réussie ? fais-je en montrant son étole (des neiges).

— Vous avez déjà assisté à des soirées réussies ? objecte-t-elle.

— Oui, quand je les passe à deux avec une personne comme vous, m’enhardis-je.

— Vous allez vite en besogne, assure Fleur-de-Camomille, sans perdre son sourire dessiné au pinceau sur ivoire.

— Moins vite hélas que cet ascenseur, déploré-je.

Car nous sommes déjà parvenus à destinance.

Au moment que nous sortons, deux hommes se tiennent pique-plante (comme on dit chez nous) devant les élévateurs.

Pourquoi, à cet instant, ai-je un carillon d’alarme qui se déclenche sous ma coiffe ?

En les apercevant, dare-dare (peut également s’écrire dard-dard, voire dard d’art) le routier que je suis flaire un danger. Un je-ne-sais-quoi dans leurs regards, quelque chose d’attentif, de suspicieux et surtout de pas gentil. Aussi, des bosses significatives sous leurs vestons.

Sans en perdre une, je cramponne le bras de la Chinoise.

Elle est offusquée par mon geste, mais le temps qu’elle se dégage, les deux hommes « douteux » sont déjà dans l’ascenseur.

— Pardonnez-moi dis-je à ma compagne de voyage (l’un des plus brefs qu’il m’ait été accordé de faire en compagnie d’une aussi fabuleuse Asiate), il était indispensable que ces deux types me croient en votre compagnie.

— Des ennuis ? demande-t-elle sans marquer un intérêt excessif.

— Qui n’en a pas ? soupiré-je.

Comme nous passons devant les caisses, le concierge de nuit m’interpelle :

— Monsieur San-Antonio, deux messieurs viennent de demander après vous. Ça ne répondait pas dans votre appartement, mais ils ont voulu monter quand même, vous avez dû les croiser dans les ascenseurs…

— Je cours les rejoindre ! assuré-je.

Courbette à la Chinetoque :

— Au bonheur de vous revoir, mademoiselle !

Ayant rebroussé chemin, une fois hors de la vue du concierge, j’enquille la porte secondaire du Méridien, celle qui donne sur la rue parallèle. Décidément, les prévisions du Rouquin concernant sa poudre à ronfler sont prises en défaut (ou battues en brèche, si tu préfères l’ampoulé, quoi-qu’en général, ce sont les blancs d’œufs qu’on bat en brèche), et mes anesthésiés n’ont pas fait long pour récupérer. C’est déjà l’hallali.

Je fonce au milieu de la chaussée pour stopper un taxoche. Ce genre de rodéo s’opère continuellement à New York. Voilà encore un Indien qui se pointe[39]. Il s’arrête ; je monte, mais la portière que je veux fermer me résiste. Mon sang ne fait, etc. Mais il ne s’agit pas d’un méchant, seulement de la Chinoise.

— Vous permettez ? fait-elle en déposant contre le mien le plus exquis cul extrême-oriental qui se puisse caresser.

Ma surprise est telle que ma glotte reste coincée comme une boule de pétanque dans mon gosier.

— Où allons-nous ? demande l’Indien qui est un tout petit peu plus patibulaire que sur la photo fixée à son tableau de bord.

Moi, franchement, je n’avais pas encore pensé à ça. Heureusement que ma compagne sauve la situasse.

— Silver Palace ! jette-t-elle.

Le driver opère une décarrade qui écœurerait Senna.

* * *

Le plus charmant, c’est que nous restons sans parler le temps du trajet, lequel n’excède pas cinq minutes Fahrenheit. Je suis bourré de curiosité, tu le conçois, mais je ne trouve aucun mot valable pour l’exprimer.

Une fois à destination, je file quelques roupies à l’Indien et suis la jolie créature dans son propre hôtel. Le Silver, ça se voit à l’œil nu, c’est le top niveau (il en possède une bonne quarantaine). Je ne sais pas s’il existe un Gold Palace, mais je ne crois pas qu’il puisse être supérieur au Silver. Je ne te le décris pas parce qu’à une heure aussi tardive, t’en as classe de confectionner des compofrancs.

Elle n’a pas à se nommer au concierge, celui-ci, déférent à en lécher les tapis du hall, présente une clé d’argent (ben voyons) à ma princesse de Chine. Il se casse à ce point en deux que je crains un instant qu’il ne puisse se redresser. Sa vieille doit lui faire des enveloppements de fuego quand il regagne son clapier pour soigner ses tours de reins.

Nouvel ascenseur, tout aussi véloce que le précédent. On est lâchés au trente-huitième étage. Pile en face de la cabine, s’offre une double porte aux panneaux incrustés d’argent. Silver ! Silver ! Partout silver : c’est le nerf de la guerre.

Je continue de filocher ma « protectrice » en me disant, par bribes de phrases que, des aventures aussi faramineuses n’arrivent qu’au rejeton de Félicie. Faut être conditionné, pour vivre des trucs pareils sans accumuler les infarctus.

Elle a droit à la suite royale du Silver Palace, la princesse. Un salon dans lequel tu pourras mettre le Nordway (ex-pauvre France) en vitrine quand on le désarmera. A chaque bout, un apparte composé chacun d’une vaste chambre, d’un dressinge, d’une salle d’eau et d’une kitchenette (comme si les mecs qui louent cette cathédrale faisaient leurs œufs brouillés eux-mêmes !).

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39

Indien vaut mieux que deux tu l’auras, comme l’écrivait le bon Le Poulain.