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Ma compagne se déchausse à la manière des dames riches : en lançant ses pompes à travers la pièce d’un double mouvement des pieds.

— Asseyez-vous ! me dit-elle en me désignant un troupeau de fauteuils en train de paître l’épaisse moquette.

Je me dépose prudemment sur l’accoudoir de l’un d’eux, mais il est suffisamment large pour soutenir le valseur de Nancy Nordman.

— Vous pourriez m’expliquer ? finis-je par coasser miséreusement.

— Il n’y a pas d’explication, tranche-t-elle, péremptoire.

Elle me désigne l’une des extrémités du salon.

— Vous pouvez prendre l’appartement de mon mari qui est en voyage ; vous semblez tomber de sommeil et de fatigue…

— J’aimerais au moins savoir…

— C’est inutile, bonne nuit. Si vous vous réveillez tôt, soyez gentil : ne me dérangez pas. Je dors toujours jusqu’à midi.

Elle disparaît de l’autre côté, non sans me laisser son étole (polaire) de vison noir en otage.

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LES PARRAINS TERRIBLES[40]

Palace, pas palace, les chasses d’eau ont partout un point commun : elles sont bruyantes. Ils peuvent marcher sur la Lune, inventer des miniaturisations forcenées, tout ça, mais nettoyer la merde silencieusement, c’est encore à l’étude. Ils ont beau piocher le problo, ils n’y arrivent pas. Voilà pourquoi, au plus profond, au plus intense de mon grand sommeil, la décharge cataracteuse d’une trombe vient nettoyer mes rêves sous les chutes du Niagara. Te dire le cauchemar que ce vacarme déclenche en moi est inutile. Je ne le ferai pas, et ce pour deux raisons : la première est que tu t’en tapes, la seconde que je l’ai déjà oublié.

Je m’arrache la tronche de l’oreiller. Cinq secondes d’hagardise, je m’offre, suivies de l’angoissante et brutale question ; où suis-je ? Ces draps de soie, ce ciel de lit style plume-dans-le-cul-armorié-bidon me laissent perplexe.

Et puis la réalité revient : le Silver Palace, l’appartement super-luxe de la belle Chinoise qui, par jeu sans doute, m’a sauvé la mise au cours de la nuit.

Ça doit être quelqu’un de huppé pour s’offrir une crèche de ce niveau. Avec le prix d’une nuitée, j’envoie tes cousins Dupont-Martin en vacances aux Bahamas, espère ! En tout cas, elle a bon cœur, cette darlinge. Se comporter ainsi avec un inconnu : chapeau ! Trois mots et un regard salace dans un ascenseur et la voilà mon alliée ! Décidément, et sans vouloir rouler mes rembourrages de veste, le charme du mec ne se dément pas et agit sur les femmes des cinq continents.

Je retrouve une position relaxe dans l’immense plumard. Le genre de couche dans laquelle tu peux aussi bien baiser en travers qu’en long. Quand je pieute seul, j’aime me placer en chien de fusil, sur le côté droit, la tête sur mon coude. C’est la posture idéale pour évoquer quelque beau cul fougueux en s’endormant. Tu peux bandocher à l’aise, ton gros lézard folâtrant sur le drap dans l’attente de conquêtes prochaines.

Mais la dorme ne revient pas, malgré ma fatigue classée monument hystérique. Faut dire que le tireur de chasse de la suite voisine, réveillé par sa miction (ou sa défécation), chope des idées perverses et entend tringler sa camarade de pieu. La dame doit repousser ses honnêtes propositions car le voisin se fâche. Il a une voix épaisse qui, brusquement, me galvanise ! Ne dirait-on pas celle de… ?

Fissa, je saute de ma couche royale pour prendre dans ma poche mon inestimable couteau suisse. C’est le poinçon, une fois encore, qui m’intéresse. J’appuie la pointe d’acier contre le galandage et j’exerce une pression vrillante. Du plâtre fin, puis de la poussière de brique pleuvent sur l’abat-jour de velours de ma lampe de chevet.

A force d’escrimer, je finis par vaincre la cloison. Palace, pas palace, les constructions actuelles sont conçues pour durer une décennie. Passé ce délai, elles sont périmées et il faut les démolir pour en bâtir d’autres encore plus pacotilles que les précédentes. Si on continuait de fabriquer du solide, comme jadis, y aurait dix fois plus de chômeurs sur la planète. Note qu’ils travaillent en revanche sur la longévité de l’homme. Mais ils commencent déjà à s’en mordre les doigts et la bite. S’il est un domaine où il faut au contraire faire éphémère, c’est bien dans celui de l'homo sapiens. Déjà qu’on bouchonne de partout ! T’as vu ces files d’attente ? Même devant les crématoires ça engorge. Partout, je te dis : les écoles, les hôpitaux, les pissotières. Chicanes, tickets d’appel ! Tous à la queue, comme Leuleu ! Au suivant ! Il chantait déjà ça, le grand Brel ! Ben quand je le rejoindrai, je lui dirai que ça ne s’est pas arrangé de ce côté-là.

En appuyant, voilà que je me meurtris soudain les phalanges, tout bêtement parce que mon poinçon a traversé la cloison. Je mets ma meilleure oreille contre le nouvel orifice qui nous est né cette nuit au Silver Palace.

Mon palpitant chavire, se paie un galop d’essai. Bien sûr que c’est le somptueux organe de Bérurier que je capte avec délices, avec amour (pas avec orgues parce qu’elles couvriraient sa chère voix). Et y a des tordus qui prétendent ne pas croire en Dieu ? Dis, je rêve ! Envoie-me-les que je philosophe avec eux ! Je chercherais mon Gros-lard à travers les Amériques et il serait à trois mètres Fahrenheit de cet endroit où un invraisemblable concours de hasards circonstanciés m’a amené ? Tu penses qu’un tel prodige serait réalisable sans intervention divine, toi ? Tiens : fume !

J’essaie de regarder par le petit trou. Il suffit de si peu pour pouvoir « découvrir ». Tu peux contempler le pont de Brooklyn à travers le chas d’une aiguille ! Tu le sais au moins, Ducon ? Et tu peux admirer une chatte à travers un trou de serrure ! Simple question d’adaptation optique.

Oh ! je ne vois pas grand-chose, si ce n’est un fessier de dame à la crinière rousse avec, en amorce, une dextre large comme une tortue de mer.

Je préfère écouter.

Qu’ouïs-je ?

Le Gros : Voilions, ma Lady, tu veuilles pas que j’terminasse la noye av’c un chibraque d’c’mo-dule, bordel ! Tu croives qu’un saint homme comme ma pomme peut roupiller en s’traînant une chopine pareille, poupée ? Let me te la fourrer en camarade ; l’est tant tell’ment à point qu’en trois-quat’ aller-retour elle balance sa casquette.

Lady Keckett : J’ai déjà dit vous : no sans french capote, my dear.

Sa majesté implose : Mais bordel à cul, j’t’aye déjà démontré, la blonde, qu’des capotes, y n’en eguesiste aucun’ qui peuve m’aller. J’sus membré d’trop ; c’est d’allieurs c’ qui fait mon charme. V’là bientôt trois jours qu’on s’fréquente, et surtout trois nuits. J’ai dévalisé toutes les pharmaceries, tous les druguestors, tous les distributeurs automatiques sans pouvoir dégauchir un préservatif à mon pied ! Tu n’vas pas passer à côté d’Ia bite du siècle sous prétesque qu’t’as peur du Sida ! Putain d’elle ! Mais r’garde-moive, ma Lady, est-ce qu’ j’ai une tronche à Sida ?

— Il n’est pas d’insister, darling gros, s’obstine la dame. S’il faut, je ferai fabriquer vous french capote at your mesures ; mais never copulation before !

— Et tu n’veux pas me turluter le nestor pour m’dégager les centres nerveux, Lady de mes two ?

— With te mouth it’s pareil, refuse Lady Keckett. Only avec french capote !

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Chapitre dédié à Jean Cocteau.