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— Bon, se soumet le meurtri, j’vas essayer d’en chausser un autre de plus, mais j’comprende pas qu’y peuvent contiende deux litres de flotte ou encore qu’on peuve le gonfler avec la bouche jusqu’à tant qu’y ressemb’ à des dirigeabes et que ma pine les fisse claquer. Non, ça, je pige pas. Tu veux essayer d’m’en affubler un, la rouquine ? P’t’ête’ qu’tes doigts d’fée auront grain de courge là qu’j’échousse pitoyab’ment ?

La dame assure que c’est une very good idée. Elle explique qu’elle va préalablement vaseliner la grosse bébête à emprisonner, puis talquer l’intérieur du capuchon, toutes précautions qui semblent judicieuses.

Les minutes qui succèdent sont dominées par un silence crispé que troublent à peine de brèves appréciations, voire des conseils émis d’une voix tendue :

— Gaffe à la manœuv’, Ninette ! Fais rouler ! Fais rouler, qu’j’te dis ! Doucement ! Quand t’est-ce t’auras coiffé la tronche, l’boulot s’ra su’ la bonne voie.

Tension insoutenable. Je ne perçois plus que la respiration haletante des deux protagonistes.

Puis, chuchoteuse, la voix de Lady Keckett qui n’ose encore triompher trop vite :

— Good ! It’s right ! No remuer, my love. Very delicately !

— T’es marrante, ma gosse. Ça me compresse les tempes du gland ! J’ peuve plus respirer de la biroute ! J’ai la collerette qu’étrangle ! En plus ça me fait d’I’effet qu’tu m’tripatouilles le havane à mains nues.

— Slowly, my big boy ! qu’exhorte la riche Anglaise. Je bientôt arrive to our ends. Voilà, le tête est dans la sac ! Hip hip, hurrah !

Juste à ce moment, une courte et sèche détonation rappelant l’expulsion d’un bouchon de champagne retentit. Cris de consternation.

— Tu voyes bien, bourrique, que c’est macache pour ce qu’est d’ m’embiberonner l’paf ! L’jour qu’on f’ra des capotes pour les bourrins, alors là, oui, j’aurai p’t’êt’ ma chance ! fulmine le Mammouth. J’vis dans une société dont ell’ est pas à ma m’sure. Qu’y s’agissasse d’ma queue ou d’mon intelligence, j’ai pas ma place dans le concierge des nations !

— Sorry, sorry ! psalmodie la noble Anglaise. Je étais pourtant près de la butte !

— En attendant, j’reste av’c mon calibre sous le bras, se lamente mon malheureux ami.

Je me dis qu’il serait opportun d’apporter une diversion dans sa détresse physique, c’est pourquoi je vais récupérer mon slip, puis mon pantalon afin d’être présentable à une dame de la noblesse britannique.

* * *

Une porte permet d’accéder au couloir directement depuis la chambre, mais elle est fermée à clé et cette dernière a dû rester accrochée dans le dos du concierge. Force m’est donc de sortir par le living. La vaste pièce est obscure comme le derrière d’un Blanc trempé dans du goudron[41] et c’est pourquoi je trébuche contre un obstacle invu de moi. En tentant de rétablir mon équilibre, je pose la main sur quelque chose de mou dont le contact me fait frissonner. C’est froid comme le bras d’un serpent. Je tiens à identifier la « chose », aussi me dirigé-je vers la silhouette d’un lampadaire. Après quelques tâtonnements qui le décoiffent, je trouve son commutateur. Lumière !

Alors là, c’est une engouffrance dans la quatrième dimension.

Figure-toi, ma petite chérie, qu’un homme en smoking est étendu entre les bras tutélaires d’un fauteuil club. Sa nuque repose sur le dossier et ses longues jambes sont allongées sur le tapis, ce qui a manqué me faire chuter.

Le gonzier en question est âgé d’une soixantaine d’années. Il a une belle gueule d’homme grisonnant, des traits aristocratiques. Deux détails importants le concernant : un étui à violon est posé sur la table basse qui jouxte son siège et il est extrêmement mort. Salement mort, ajouterai-je-t-il : comme un goret puisqu’on l’a égorgé en lui enfonçant un objet métallique pointu dans la carotide. Beaucoup de sang s’est échappé par la blessure, a détrempé son plastron amidonné, puis a dégouliné jusqu’au sol en utilisant sa jambe gauche comme chéneau. Le malheureux a dû mettre un sacré bout de temps à mourir. Comment se fait-il que je n’aie rien entendu ? Probable qu’on l’aura estourbi auparavant avec un goumi capitonné pour ne pas laisser de traces.

Ma montre prétend qu’il est 5 heures 40 et je n’ai aucune raison de douter de sa parole. Je bombe à l’appartement de la Chinetoque et toque à sa lourde. Une fois, deux fois, trois fois. Adjugé : j’ouvre ! La chambre est vide, le plumard indéfait. Par acquit de conscience je jette un regard aux gogues ainsi qu’à la salle de bains. Nobody ! A propos, tu sais que la compagnie Air Algérie va changer de nom ? Elle va s’appeler Aéro Bic.

Qu’est-ce que je te disais ? Oui ; plus de Chinoise ! Ne reste que ses « chinoiseries » parce que tu te doutes bien que je viens de piger les motivations profondes de son altruisme. Cette salope a sauté sur l’occase que je représentais pour buter son vieux. Je suis, elle l’a constaté, un homme en fuite. Bonne affaire ! Un velours pour me faire endosser l’assassinat de son bonhomme. Faut que je te le dise du temps que j’y pense : ce mec, je crois le reconnaître, à cause de son crincrin. C'est Tumor Mémich, le virtuose d’origine hongroise, l’un des quatre ou cinq grands violonistes actuels.

Je retourne auprès du corps pour en être certain. Et alors, tu sais ce que je constate, qui m’avait échappé dans l’effarement de la découverte ? L’objet pointu avec lequel on l’a égorgé n’est autre que mon sésame. Pressée contre moi, dans le taxi, la gueuse n’a eu aucun mal à me le subtiliser. La vache ! Cet esprit de décision ! Ce sang-froid, comme disait Sancho !

J’imagine que la gourgandine asiate a un amant de basse moralité et qu’ils ont décidé d’effacer le maestro pour engourdir son immense fortune. La môme aux yeux bridés croise mon destin à un moment délicat. Elle saute sur l’occase, m’amène après m’avoir chouravé ce qui peut servir d’arme (la preuve). Elle m’envoie à la dorme, alerte son julot. Le gars se pointe, s’embusque tandis qu’elle quitte ostensiblement l’hôtel pour aller se montrer dans un nigth-club. Alibi.

L’époux rentre d’une soirée prolongée au cours de laquelle il s’est produit. L’amant le zigouille et se casse en me laissant le bébé ; à moi de me dépatouiller au réveil ! Charmant ! Simple et d’un fonctionnement irréprochable. Oui donc peut s’arracher d’une telle béchamel ?

A propos d’arracher…

Dominant ma répugnance, j’extrais mon précieux appareil de la gorge du maître et cours le laver à grande eau (bouillante) dans le lavabo de l’Asiatique. Puis je récupère entièrement mes fringues et me trisse dans le couloir. Personne encore, mais la complainte des chasses d’eau se propage. Videz-vous, vessies et boyasses ! C’est l’aube aux doigts d’or qui vient vous essorer, mes drôles ! Faites le vide pour vous mieux remplir au cours du jour qui point.

J’actionne le timbre avec le désespoir de l’énergie, mais après leurs tribulations nocturnes, le couple dort à pierre fendre… Force m’est d’en venir aux poings. Je tremble d’être retapissé par un membre matinal du personnel. Enfin, l’huis s’entrouvre et une vache rousse cligne de son œil énorme par l’écartement.

— Qu’est-ce qui vous prend ? mugit le bovidé.

— Je suis un ami de l’homme à la grosse queue, assuré-je, je dois lui parler d’urgence, milady. Permettez-moi de vous présenter mes devoirs les plus acharnés. Mon ami a très bon goût et j’ai hâte de le complimenter d’avoir su réaliser une aussi merveilleuse conquête.

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Il est louable, de la part d’un grand romancier, de le voir bannir de sa prose toute comparaison à connotation raciste. Harlem Désir