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Réconfortée — mais avait-elle encore besoin de l’être ? — Lady Keckett déclare qu’elle n’a plus qu’une idée en tête, qui est de recommencer.

A quoi le Gravos rétorque que très volontiers, mais qu’il souhaiterait s’alimenter auparavant, demande légitime à la suite d’un exploit sexuel aussi impressionnant.

Un copieux petit déje est donc commandé au room-service et, en attendant qu’on nous le livre, je vais m’enfermer dans la salle de bains.

* * *

Breakfastbouffant, nous ourdissons un plan relatif à mon départ des U.S.A. La chère Lady Keckett nous propose de nous rendre chez son beau-frère, qui fait de l’élevage de visons dans le Massachusetts. Il possède une vaste propriété à cinquante miles de Boston où nous pourrions passer quelques jours en toute tranquillité. La frontière canadienne étant toute proche, ce serait un jeu d’enfant que de la franchir sans encombre. Cette suggestion déclenche notre enthousiasme. La nouvelle conquête du Mastard ajoute que, pour nous rendre dans le Massachusetts il sera mieux d’affréter une limousine que de louer une bagnole. Elle a encore une autre idée géniale : elle ira acheter une immense malle-cantine qu’elle se fera livrer au Silver Palace. Nous « l’aménagerons » pour que je puisse m’y lover et c’est dans cette malle que je pourrai quitter l’hôtel.

Comme toutes les richissimes désœuvrées, Lady Keckett est ravie de participer à une aventure qui la change des luxueuses torpeurs quotidiennes. Décidément, sa vie vient d’être télescopée par ces Frenchies incroyables, aux bites monstrueuses et aux existences périlleuses.

Et c’est ainsi que nous décarrons du Silver Palace, vers le milieu de l’après-midi, à l’heure tranquille où, au Kenya, les lions vont boire.

Je dois dire que son histoire de malle-cabine, mémère, j’y croyais pas trop. Ça me paraissait un peu Bibi Fricotin comme principe. Ça m’évoquait les films d’avant-guerre : les premiers Fernandel qu’on nous passe parfois à la téloche avec un avant-propos circonstancié comme quoi on va assister à un chef-d’œuvre, et puis bon, hein ? D’accord ! La malle-cabine (c’est ma cabine à moi), y a qu’aux States qu’on peut trouver un pareil monument. Cent soixante de long, sur quatre-vingts de large et cent de haut ! On pourrait y loger Béru ! Naturellement, je perce des trous discrets à l’endroit de la tête. On fauche un oreiller sur le rayon du haut du dressinge et mémère a acheté une couvrante. J’essaie cette espèce de cercueil et ça boume au poil. Je demande à mes amis, quand je suis à l’intérieur de « malmener » la malle, ce qui me permet de mettre au point la position de blocage indispensable pour que je ne ballotte pas.

Paré ! En avant toute !

Deux bagagistes m’embarquent par le monte-charge réservé à cet usage. En cours de descente, ils disent — entre eux — qu’il faut être une vieille timbrée d’Anglaise pour voyager avec ce catafalque qui pèse une vache (merci, les gars !)…

On m’arrime dans un coffre de limousine où la malle ne tient pas complètement. Faut laisser le couvercle du coffre entrouvert et le maintenir dans cette position à l’aide de sandows. Et, fouette cocher, nous voilà partis.

J’avais encore jamais eu l’occasion de réfléchir à bord d’une malle-cabine. C’est enrichissant. D’abord parce que tu te trouves dans le noir et donc pas distrait, ensuite parce qu’étant à peu près privé d’exercice, tu ne peux te livrer qu’à des « mouvements cérébraux ».

Dans cette posture d’économie, je gamberge en toute relaxation. Je me dis que l’assassinat de Tumor Mémich n’a pas été découvert, sinon on aurait entendu le ramdam des poulets new-yorkais et ceux-ci seraient venus questionner les voisins de chambre afin de leur demander s’ils avaient remarqué de l’insolite. Conclusion, la perfide Chinoise n’est pas rentrée à l’hôtel et comme, en partant, je n’ai pas retiré le Do not disturb fixé au pommeau de la lourde, les femmes de chambre ne sont pas allées faire le ménage de la suite royale du maestro. Ce répit est bon à prendre. Si les perdreaux avaient investi le Silver, ma fuite aurait pu mal se passer.

Et puis, merde, l’idée me vient qu’ils vont trouver suspect que la voisine du violoniste ait quitté son appartement le jour même du meurtre. Le coup de la malle ne va pas passer inaperçu. Ils en tireront les conclusions qui s’imposent, les Nîck Carter de « la Grosse Pomme ». Voudront retrouver dare-dare ces étranges clients si pressés de les mettre quand on zingue leur voisin ! Voilà que je biche les mouillettes dans mon sarcophage. Tu parles qu’elle est facile à repérer, la grosse limousine, avec sa malle qui lui déborde du rectum ! Je me livre à des calculs serrés. Au moment où nous sommes partis, tout était calme. Il se peut qu’on ne trouve le cadavre que tard dans la soirée, ou qui sait même demain ? Elle branle quoi, la Chinoise ? Admettons que le pot aux roses ait été découvert tout de suite après notre départ, il faut un bout de temps pour alerter les perdreaux, qu’ils se pointent, que le bigntz habituel se mette en place, que les investigations gagnent les appartements proches, qu’on s’intéresse au comportement de Lady Keckett et de son gros copain franchouillard, qu’on diffuse le signalement de la limousine… Tu chiffres ça à combien, toi ? Deux heures ? Moins ? Parce que quoi, dis-tu ? Ah ! parce que les flics ricains sont des as, EUX ! Pourquoi tu crois malin d’ajouter ce « Eux », tête de EUX ? O.K. ! admettons que ce soient des fortiches et qu’ils passent le turbo, on peut tout de même compter sur au moins une heure de grâce.

J’évoque la carte des États-Unis. Boston est à combien de N.Y. ?

Il faut en tout cas plus d’une plombe en bagnole ; ça roule mollo dans cet immense pays.

Alors prions et attendons.

Cette décision me branche sur Félicie, tu penses bien. Je me dis que je suis une belle ordure de pas l’avoir appelée depuis la chambre de Sa Grâce.

Ça lui aurait fait tellement plaisir, m’man, d’entendre la voix gaillarde de son grand. Bien sûr, je l’aurais chambrée en lui affirmant que tout baignait dans le beurre des Charentes (son préféré), mais n’est-ce pas ce qu’elle attend, après tout ? Chère vieille ! Qui vit pour moi chaque seconde de son existence et que je n’entoure pas suffisamment de tendresse ! Un jour, je paierai tout ça puisque, comme l’a dit saint Machin, on n’est pas riche de ce qu’on a fait, mais pauvre de ce que l’on n’a pas fait ! J’essaie toujours de placer cette devise devant moi : en point de mire. Mais je regarde ailleurs. C’est con, non ? A quoi sert que des types bien aient vécu pour nous si nous ne tenons pas compte de leur enseignement ?

Tu vois qu’on peut être recroquevillé dans une malle et faire un examen de conscience.

Le cadran lumineux de ma Pasha me rend compte de la durée du trajet. J’en suis à deux heures vingt lorsque enfin la limousine stoppe. Un moment supplémentaire s’écoule, puis des bras que je juge musculeux, vu la manière ailée dont je suis arraché de la bagnole, s’occupent de mon transfert. J’entends, à la sonorité des pas, qu’on traverse un hall, puis je perçois qu’on se fait un ascenseur. Nouveau cheminement, ma prison véhiculaire heurte le montant d’une porte. L’une des personnes qui me porte lâche un juron en italien : « Mortacci ! ce qui vaut mieux pour moi que de lâcher la malle.