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Enfin on me dépose, les deux serrures parallèles jouent, le couvercle est ouvert et une intense lumière blonde m’éblouit.

Une large main, velue de brun, comme exprimerait un écrivain femelle dont j’ai oublié le nom (mais c’est pas grave : personne ne l’a jamais connue) s’offre obligeamment pour démaller le bel homme ankylosé que je suis devenu, avec des fourmis partout, y compris sous les roustons.

On me hisse d’une forte traction et ton bon petit diable jaillit de sa boîte à malices. La première chose que j’aperçois, est une grande photo couleur du Président George Herbert Walker Bush flanquée d’un drapeau américain fiché sur un socle à tube. Mon first sentiment c’est que l’éleveur de visons, beau-frère de Lady Keckett, est bougrement patriote. Je constate que je me trouve dans une vaste pièce revêtue de boiseries claires.

Devant une grande baie en arc de cercle se trouve un bureau d’acajou surchargé d’appareils informatiques : cadrans, claviers, écrans. Derrière ce fourmillement évoquant une exposition de la FNAC, se tient un homme très corpulent, aux cheveux de neige et au teint rougeaud. Il porte un complet bleu, une chemise blanche, une cravtouze à rayures noires et bleues. Il se coltine deux valises à soufflets sous chaque œil et son regard sombre me rappelle celui d’un crotale (de Chavignole) qui me chambrait, un jour, au reptilarium de Sào Paulo.

Il y a des antipathies qui s’expriment au détour de la vie, d’homme à homme, voire d’animal à homme. Le crotale de Sâo Paulo, appelé aussi serpent à sonnettes because les écailles terminant sa queue, se laissait regarder par des centaines de personnes quotidiennement sans marquer de sentiments hostiles, et puis je me suis arrêté devant lui et on aurait dit soudain que je l’intéressais et qu’il m’en voulait de provoquer cet intérêt. Son regard est devenu d’une insoutenable intensité. J’y lisais une fureur infinie prolongée par une formidable malédiction. J’ai essayé de soutenir ces deux yeux de l’enfer dardés sur moi. Mais quand j’ai compris qu’il pouvait demeurer ainsi jusqu’à la fin de son existence, j’ai rengracié et suis parti, emportant un cruel sentiment de malaise et d’échec.

Tout ça pour t’informer de ce que je ressens face à un bonhomme qui me fait songer audit crotale.

Ma moulinette farceuse s’emballe. Je me dis que ce que je redoutais s’est hélas produit. Dans ma putain de malle je n’ai pas entendu l’arraisonnement de la limousine. J’ai dû prendre cette halte pour un stop de carrefour, ou un engorgement de la circulance. Toujours est-il qu’en fait d’élevage de visons je me retrouve dans le bureau d’un haut fonctionnaire d’où je sortirai inculpé d’assassinat. Ça me pend au nez comme un sifflet de deux sous, comme on dit puis dans mes terres natales du Bas-Dauphiné. L’homme aux cheveux blancs et au regard de vipéridé m’adresse un signe de tête qui peut passer pour un salut, puis me désigne un siège en face de lui.

Il chausse des lunettes cerclées d’or pour consulter le papier étalé devant lui.

— Monsieur San-Antonio, depuis plus de six mois vous êtes directeur de la Police judiciaire de Paris ?

— C’est exact.

— Carrière extrêmement brillante, ajoute-t-il.

— Merci.

Il ôte alors ses besicles, les dépose devant soi et murmure :

— Qu’est-ce qui vous a pris de vous engager dans cette croisade ?

La question me déconcerte ; je la trouve étrange, dans un sens.

— De quelle croisade parlez-vous ? éludé-je-t-il.

— Oh ! non, fait-il avec une grimace d’ennui, on ne va pas sottement finasser. Vous n’êtes pas un voleur à la tire, je ne suis pas un inspecteur de police. J’appelle croisade cette impulsion qui vous a amené à abandonner vos récentes fonctions pour venir aux U.S.A. enquêter sur l’assassinat de J.F.K.

Cette fois, j’en prends plein les moustaches, et même plein les badigoinces.

Il reprend :

— Vous seriez journaliste encore, assoiffé de sensationnel, à la limite je pourrais comprendre. Mais de la part du directeur de la P.J. en personne, voilà qui est inconcevable. Quand bien même, monsieur San-Antonio, il y aurait sur cette déplorable affaire une vérité différente de la vérité officielle, à quoi cela vous avancerait de la découvrir ?

Il croise ses mains et se confectionne une mentonnière provisoire.

— Question de vanité ? Gloriole française ? J’ai peine à le croire de la part d’un homme auquel tout sourit : vous accomplissez une magnifique carrière, vous écrivez des livres qui vous assurent une matérielle confortable, les femmes ne rechignent pas à vous accueillir dans leur lit, Mme votre mère, que vous vénérez, se porte comme un peuplier…

— Un charme, corrigé-je en souriant.

En fait je ris jaune parce que voilà un bonhomme qui sait déjà tout de moi et je ne serais pas surpris s’il citait la marque de mon slip ou mon plat préféré. Toujours est-il qu’une évidence me saute aux yeux : il ne me reste plus qu’à jouer cartes sur table. Je ne suis pas de force, comprends-tu ?

— Vous ne répondez pas à ma question, qu’attendez-vous de l’affaire Kennedy ?

Son regard s’intensifie, à ce stade, celui du crotale de Sâo Paulo est aussi féroce que celui du bon Tino Rossi quand il chantait Marinella.

— Monsieur…, fais-je, espérant qu’il va enfin se présenter, mais je peux toujours aller à la chasse au dahu en attendant !

Les civilités, cézigue, malgré son aspect de gouverneur de l’Alabama, il s’en fait un coussin !

— Monsieur, l’attentat de Dallas remonte à trente ans, ne pourrait-on admettre que cette pénible affaire appartient désormais à l’Histoire universelle et qu’elle concerne de ce fait tous ceux qui s’y intéressent ?

Il est agacé par mon objection. C’est le genre droit-au-but, cézigo. Il fait un bruit d’importuné avec la langue et se lève. Sa silhouette massive se détache devant la baie vitrée. Je m’aperçois qu’il a les épaules un tantisoit voûtées, ce qui le fait paraître encore plus gros, mais cela n’enlève rien à son aspect redoutable.

Il se tourne vers moi brusquement :

— J’aimerais, dit-il, que vous me racontiez toute votre enquête depuis le début jusqu’à ce que vous ayez mis la main sur le foutu message du docteur Garden.

— A quoi bon, soupiré-je, la formulation de votre question prouve que vous avez suivi mes faits et gestes à la loupe.

— Je les ai pris en marche seulement, mon cher. Me manque le début. Et… la fin, naturellement.

Autant lui donner satisfaction.

Avec mon sens de la narration bien connu je dévide une fois de plus l’historiette. Lui bonnis tout, ou presque…

— Quel dommage qu’on vous ait nommé directeur de la Police, déclare-t-il, vous êtes un homme d’action très rare, monsieur San-Antonio. D’ailleurs c’est si vrai que vous continuez d’agir non pas comme un chef, mais comme un exécutant. Cela dit, vous devez bien réaliser qu’il nous faut ce foutu morceau de ferraille. Si vous voulez mon sentiment profond, je suis archiconvaincu qu’il ne contient aucune révélation nouvelle concernant l’affaire, mais je ne puis néanmoins prendre le risque de renoncer à cette chose.

— Je crains pour vous que vous ne deviez vous faire une raison, réponds-je. Le « message » de Garden se trouve en France désormais. Je l’ai confié hier soir à l’un de mes collaborateurs qui est rentré à Paris via le Canada.

— Vous faites allusion à M. Xavier Mathias ?

— Exact.

Il branche un appareil et fait pivoter un écran vidéo mobile de manière à le placer face à moi.

Ils sont très au point (13 au poing) dans ce service, puisque chez eux la vidéo interne est en couleur. Sur l’écran, je découvre un local sans fenêtre, chichement meublé d’un lit, d’une table, et d’une chaise à une place. Je me crois de retour à Alcatraz ! Mathias est assis sur le lit, dos au mur, en train de lire le Financial Time.