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Mon interlocuteur passe sa grosse main aux ongles carrés sur ses joues teintées de couperose.

— O.K., murmure-t-il. O.K., vous allez y retourner, mon vieux. Accompagné, naturellement ! Mais pas d’entourloupes surtout, sinon vos deux bonshommes risqueraient de mourir dans un accident de la circulation !

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RÊCHEUR D'ISLAND[43]

Je te parie une chanson de carabins contre une chanson courtoise de Conon de Béthune que c’est un féministe convaincu, le gros Harry. Déjà, qu’il eût dépêché dans le circuit la fausse Lady Keckett constituait une sérieuse indication, mais quand je vois ce qu’il m’attrique comme « gardes du corps », mes ultimes doutes s’envolent. Deux gonzesses, mon pote ! Pour la première fois de ma carrière me voilà placé sous l’étroite surveillance de mousmés, exclusivement. Une Noire, une Jaune.

La Jaune, si tu insistes, je peux t’en faire cadeau (bien que sa bouche arrive pile à la hauteur de ma braguette) car, franchement, elle n’est pas jojo. Le pot d’échappement plus bas que sur la nouvelle Lamborghini, les cannes torses, la face plate, les yeux en trou de zob et pas visibles à l’œil nu, la bouche si mince et si minuscule que pour prendre sa température par voie buccale, elle est obligée d’oindre de vaseline son absence de lèvres. L’unique attrait de cette fille (pour les amateurs), c’est son énorme poitrine vaste comme le pont du porte-avions Clemenceau, si cher à mon ami Renaud.

La Noire, par contre, ô pardon, attention les yeux ! Le mot « beauté » est trop fastoche, trop galvaudé. Viens reluquer la petite grand-mère et t’auras les glandes ébouriffées. Elle me rappelle notre driveuse de Los Angeles, en plus éclatant encore. Elle est teinte en blond et ça lui donne un aspect irréel. Cette gonzesse, elle marnerait pour un grand couturier parisien ou romain, au lieu de fonctionner pour un gros con, à assurer d’obscures et basses besognes, y aurait son portrait dans tous les luxueux magazines de mode ! Je sais pourquoi elle est blonde (et défrisée, œuf corse) : ses yeux sont vert émeraude.

Harry me les présente en ces termes :

— Miss Victoria (c’est « Fleur-de-Chrysanthème »), et Miss Lola (c’est la déesse d’ébène). La première, monsieur San-Antonio, a deux spécialités parmi tant d’autres ; elle est championne de karaté et reine du lancement du couteau. Elle est capable de transpercer un as de cœur à vingt-cinq mètres. La seconde, quant à elle, est championne de tir au pistolet : dix sur dix en précision, dix sur dix en rapidité. Vous voulez montrer à monsieur, Lola ?

Pauvre ami ! T’as le temps de rien voir. Tu te demandes si elle a seulement remué ! Et pourtant la voilà avec un flingue en pogne ! De la haute performance. Si César Muguet, notre moniteur de tir voyait ça, il réclamerait sa retraite anticipée et irait fourguer son Colt au marché aux Puces !

— Joli, non ? me demande implicitement le Gros-sac.

— On croit rêver !

— Vous voilà donc informé, mon cher.

— Un homme inverti en vaut deux, renchéris-je. Prenez bien soin de mes deux bébés en mon absence.

— Soyez tranquille ; d’ailleurs votre absence sera brève. Il ne s’agit là que d’un aller-retour.

* * *

Fectivement, c’est en avion que nous quittons Washington. Un petit Jet de six places, blanc comme un pot de yaourt. Il nous attend sur un terrain d’aéro-club au nord de la ville. On s’embarque. Derrière le pilote se tient la Japonaise, face à moi, les sièges étant disposés latéralement au coucou. La sublime Noire s’assoit à mon côté. Détail impressionnant : ma ceinture de passager comprend un verrouillage supplémentaire qui s’actionne avec une clé que la môme empoche. Elle porte un ensemble de cuir beige à col de fourrure et croise ses admirables jambes : oh que ça fait mal ! La Japonaise est plus modestement fringuée d’un jean fatigué et d’un blouson vert pisseux qui s’harmonise avec son teint.

Dans le pâle soleil, je vois luire la Maison-Blanche, au loin, et bientôt nous survolons l’immense cimetière d’Arlington où une flamme brille sur la tombe de J. F. Kennedy !

Sacré Johnny ! Il m’en fait voir, celui-là ! C’est vrai, ça, il a raison Harry ; quelle mouche m’a piqué pour que je me mette à guerroyer ainsi dans le fol espoir d’élucider le mystère de sa mort ? C’est pas mes oignons. Et puis, de toute manière, le passé s’est refermé sur son destin. Ils lui ont fait craquer le couvercle, au fringant Président, et il est redevenu poussière. Qu’importe maintenant que ce soit Pierre, Paul ou Jacques qui l’ait dessoudé au côté de sa gonzesse, laquelle a eu un veuvage exemplaire sur le yacht du père Onassis. La vie, bordel, tu parles d’une rigolerie ! Pourtant, je m’attache à contempler la tombe, là-bas, avec sa loupiote du souvenir… Souvenir mon cul, Mister Président ! Des marchands de cacahuètes et des cow-boys de cinéma vous ont poussé dans l’oubli. Ne subsiste plus de vous que l’image de votre tronche éclatée, celle aussi de votre gente dame cherchant la sortie de secours de l’Histoire à quatre pattes sur le coffre de la Lincoln. C’est cela, en réalité, « se faire la malle » !

Et pendant ce temps, votre frangin s’apprêtait à faire boucler Alcatraz.

Tout s’enchaîne bien, merci.

* * *

Le réseau (que je devine occulte) du Crotale est bien organisé. C’est sur un autre aéro-club que nous nous posons en souplesse. Une tire nous attend au pied de la passerelle. On ne perd pas de temps.

Le chauffeur est un Noir, comme celui du taxi que j’avais choisi pour m’emmener à Harlem. Futile précaution, d’esprit très français. Comme si des malandrins noirs allaient se dispenser de m’arraisonner parce que mon chauffeur est un colored !

La Jaune s’assied près du conducteur, la Noire près de moi. Cette dernière murmure :

— Le patron vous a prévenu, n’est-ce pas ? Soyez persuadé que Victoria et moi nous nous tiendrons sur nos gardes jusqu’à ce que nous soyons de retour dans son bureau, tous les trois.

— Vous faites partie d’une chorale, j’espère ? demandé-je en forme de réponse (si j’ose dire).

— Pourquoi ?

— Vous possédez une voix irrésistible ! Je vous imagine, le dimanche matin, à l’église, dans un quartier noir du district de Columbia, vêtue d’un tailleur bleu marine et coiffée d’un chapeau rouge, genre capeline, chantant un de vos merveilleux cantiques tel que Ô Jésus, Ta gloire est infinie.

Elle ne répond pas, mais je pense qu’elle sourit intérieurement.

La Japonouille, illico de la ramener :

— On va nous conduire devant le music-hall Apollo, nous quitterons cette voiture et ce sera à vous, dès lors, de nous guider.

Jalouse ! Ah ! ce qu’elles sont chiantes, les mochetés. Tu crois qu’elles tenteraient de se faire pardonner leur laideur par des assauts de gentillesse ? Fume ! Elles pissent du vinaigre et chient du poivre moulu, comme dans la chanson.

On traverse des banlieues chiantes avec des alignées de petites maisons merdiques qui se tiennent par la main le long des routes. Des pubes tellement vieilles qu’elles raviraient le génial Séguéla. Si j’avais pas de boulot, c’est avec ce mec-là que j’irais travailler. Tu verrais ce qu’on dépoterait comme trouvailles, les deux ! On aurait « la force tranquille », espère !

On passe devant l’aéroport La Guardia. Bientôt ça épaissit et la banlieue devient grouillante. On attaque Harlem par le fond, si l’on peut ainsi s’exprimer (et on peut : qu’est-ce que je fais en ce moment ?). C’est chaque fois une émotion pour moi de débarquer dans cette métropole occidentale peuplée de Noirpiots. La négrillade ! Un des plus grands crimes de l’humanité. Mais t’as vu leur vengeance, aux colored ? « Vous nous volez à l’Afrique ? O. K. vous nous aurez ! » Et les voilà à limer comme des fous, les chers esclaves ! Tel qui rit de Vendredi, dimanche pleurera ! Tu parles s’ils y sont allés à la ramonade, les surbraqués ! Pas feignasses du coup de reins ! Grand match Oncle Sam contre Oncle Tom, arbitré par Oncle Ben ! Et qui est-ce qui l’a dans le prose ? L’Oncle Sam ! N’était pas de force, le vieux con au gibus étoilé. Un Ricain, c’est quoi, si tu réfléchis ? Du Rosbif et de la Batavia mélangés. Un buffet froid, en somme ! Note qu’ils vont commencer à se fortifier grâce au sang noir qui se met à circuler dans leurs tuyaux. Un jour, quand ils seront tous café-au-lait, t’auras enfin un peuple valable.

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Chapitre dédié à Pierre Loti.