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Il m’écoute sans piper, je ne perçois même plus son grognement de bulldog.

— Vous êtes toujours là, Harry ou vous dormez ?

— Je réfléchis.

— C’est bon signe, la réflexion étant le meilleur remède contre l’impulsion, toujours fâcheuse.

Au bout d’un moment, il demande ;

— Ainsi le consulat de France détient des citoyennes américaines contre leur gré ?

La vache ! En voilà un qui ne perd pas les pédales facilement.

— N’essayez pas de me contrer sur le plan de l’illégalité, ni de créer un incident diplomatique, vieux filou. Non, les autorités françaises de New York n’ont aucun comportement illicite, voire inamical envers les États-Unis d’Amérique.

— La conclusion que j’en tire est double, déclare ce retors. Cela signifie, soit que mes filles séjournent chez les Français de leur plein gré, ce dont je doute, soit qu’elles se trouvent ailleurs, ce que je crois…

— Et alors, ça changerait quoi qu’elles séjournent ailleurs ?

Il repique sa rogne, le Crotale. Son regard reptilien doit distiller de la haine pur fruit.

— Ça changerait que je ne vais pas me pointer avec vos deux gugusses sans avoir mes filles en échange, gros malin !

Je lui glisse un soupir de souffleur de verre dans le conduit auditif.

— Dites-moi, Harry, vous est-il arrivé une seule fois, au cours de votre lamentable vie, d’avoir confiance trente secondes en quelqu’un ? Je parie que vous avez dû faire analyser le lait de votre maman avant de téter son sein, de peur qu’il contienne des toxines. Réfléchissez un peu que le consulat de France de New York est situé sur le territoire des U.S.A., je ne suis à l’abri qu’à l’intérieur. Sitôt son seuil franchi, vous pouvez me faire alpaguer à votre convenance. Or, je n’ai pas l’intention de passer des années dans cette taule, à l’image du cardinal de Pologne qui est resté je ne sais plus combien de temps placardé à l’ambassade U.S. de Varsovie ! Nous traitons un marché. Et c’est quoi un marché ? Une convention qui satisfait deux parties. Rengainez vos rapières et retrouvons-nous comme je l’ai dit ; faut en sortir, non ?

Soudain, il est détendu. Et sais-tu pourquoi, Éloi ? Parce qu’il vient de se déterminer. Choisir, souvent, c’est se libérer.

— O.K. ! fait-il. O.K. ! Je marche. Mais dites-vous que si ça foire, votre mère risque d’avoir un gros chagrin.

Là-dessus, il émet un hoquet de poivrot qu’il avait eu du mal à contenir jusque-là.

17

LA BAISE DE CASTRO[47]

La France, on dira ce qu’on voudra, par exemple qu’elle n’a plus de positif que ses fromages, ses vins et ses parfums, bon, je veux bien. Mais tu peux ajouter aussi ses diplomates. Partout, à l’étranger, quand j’ai eu besoin d’aide, j’ai pu compter sur les mecs du Quai, n’importe leur coloration politique. Ils se sont toujours mis en quatre pour m’aider. Le consul général de France à Nouille York ne faillit pas à la tradition. Ma qualité de directeur de la P.J. me vaut d’être reçu immédiatement. Un homme bien : jeune, élégant, chaleureux. Sans entrer dans le vif du sujet, je lui explique que j’ai des démêlés avec une branche occulte de la C.I.A. La situation est explosive : ces vilains tiennent deux de mes collaborateurs en otages, et moi, en revanche, je dispose de deux de leurs agentes, lesquelles se trouvent présentement saucissonnées dans le coffre d’une voiture « empruntée ». Il me faut trouver une planque plus confortable et de toute sécurité pour ces belles et pour moi en attendant qu’il soit procédé à un « échange ».

— Il est évident, monsieur le consul, conclus-je, que vous ne pouvez pas séquestrer deux fonctionnaires américaines que j’ai kidnappées, sans douceur je le reconnais, mais auriez-vous un « conseil » à me donner ?

Il a un visage agréable, au regard pétillant.

Il pince le bout de son nez entre le pouce et l’index, puis, saisi d’une idée subite, décroche son interphone et appuie sur une touche.

— Enzio ?

— Oui, monsieur le consul.

— Venez !

Et Enzio est venu.

C’était un gus qui ressemblait à Travolta à l’époque des griottes. Basané, velu, coiffé en arrière à la gomina. Il devait s’en déflaquer des kilos sur la tronche car sa chevelure lui composait une espèce de casque noir qui brillait comme la lignite à la lumière des lampes.

Il regardait certainement la télé au moment de l’appel car son regard sombre semblait avoir été malaxé par les images de la foutue lucarne.

— Vous dormiez ? lui a demandé mon interlocuteur.

— Non, monsieur le consul : je regardais la boxe à la télé…

On lui avait cassé son coup avec cet appel, mais il ne paraissait pas nous en vouloir.

— Comment va la Petite Italie ?[48] a demandé le consul.

Enzio a fait une triste moue :

— Elle rétrécit de plus en plus, monsieur le consul : Chinatown la grignote.

— Il vous reste tout de même des amis, là-bas ? J’entends des amis… sûrs.

— Naturellement, monsieur le consul.

— En ce cas, je vous confie ce monsieur qui a un problème à résoudre et qu’il m’est impossible d’aider, malgré les hautes fonctions qu’il exerce à Paris… Assistez-le de votre mieux, Enzio.

— Certainement, monsieur le consul.

Ça s’est passé comme je te le dis.

Enzio, je ne sais pas trop ce qu’il maquillait au consulat de France, ce flambant Rital ; quelque chose me chuchote (mon lutin ou mon petit doigt) qu’il savait se rendre indispensable. Ça se voyait grand comme une enseigne de cinéma qu’il était terriblement démerdard, ce mec. A preuve, quand je lui ai eu dit qu’il me fallait un endroit sûr pour faire passer la nuit à deux tigresses, il m’a demandé :

— Elles ont des bandeaux sur les yeux, monsieur ?

— Non, mon cher.

Il est allé chercher du sparadrap large comme la main dans son apparte. Quand il est revenu, il était content parce que King Joyce venait de se faire allonger de première par Vittorio Bardone, le champion d’Italie.

— Avant qu’on fasse quoi que ce soit, aveuglez-les ! m’a-t-il ordonné. Il ne faut pas qu’ensuite elles puissent se repérer.

* * *

Après quoi, j’ai connu la famille Vardinetti. T’as vu jouer Rocco et ses frères, un classique ? Eh bien, c’était ça l’ambiance. Ils étaient cinq : papa, maman et les trois fils. Les garçons étaient fabriqués dans du bronze et arboraient des tignasses rousses peu méditerranéennes, à croire qu’un Polak était venu secouer leur arbre généalogique une ou deux générations plus tôt.

Enzio avait dû leur arranger des bidons car ils semblaient le vénérer.

Ils disposaient d’une maison étroite, bâtie dans une cour, avec un hangar où ils bricolaient des bagnoles de toutes sortes. Ça avait l’air d’être ça, leur job : le camouflage de tires volées. Ils en modifiaient la couleur, grattaient les numéros de moteur et leur posaient de nouvelles plaques minéralogiques, tout ça en vidant des fiasques de chianti et en bouffant de la mozzarella in carrozza ! Trois ogres sur lesquels la mamma régnait sans partage ; des mecs d’apparence douce mais qui devaient être capables de te balancer un mec importun dans l’Hudson avec des godasses de ciment aux pinceaux.

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47

Chapitre dédié à Henri Beyle, dit Stendhal.

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48

Quartier italien de N.Y.