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Juste un angelot qui passait par là m’adresse un pied de nez entre les cordes de son luth. Il paraît gouailleur et semble me demander :

« Qui est-ce qui l’a dans le cul. Mister Director ? »

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LETTRE[51]

SAN-ANTONIO

Directeur de la Police Judiciaire

PARIS

à

HARRY BUCHMAN

Directeur des Services Spéciaux (très spéciaux)

C.I.A.

WASHINGTON

Cher Gros Harry,

Je viens d’arriver à Paris avec mes collaborateurs, et ma première pensée est pour vous.

Bravo ! Je me doutais bien que vous chercheriez à me baiser ; vous l’avez fait avec brio et, en vaincu fair-play, je vous félicite. Je mesure ce qu’a été votre déconvenue, lorsque après avoir décacheté cette putain d’enveloppe, vous avez constaté que le message qu’elle renfermait était illisible. Que je vous explique, dear Harry, ce qui s’est passé. Comme vous savez tout, vous n’ignorez pas que nos ambassades et consulats généraux, tout comme les vôtres, sont équipés d’appareils de décryptage. Je leur ai confié la fameuse enveloppe en leur expliquant ce que j’attendais d’eux. Les Français parlent beaucoup, vous avez raison de le proclamer, mais il leur arrive également d’agir.

Dans un premier temps, ces aimables techniciens ont réussi à photographier (aux infrarouges, je suppose), le texte du message inclus dans le fer-blanc. Je vous le dis tout de suite, il est de la main même du sénateur Della Branla, et sur son papier à en-tête encore ! L’encre avait un peu pâli, mais le document se lit néanmoins très aisément.

Dans un second temps, ils ont exposé notre gadget à je ne sais quels rayons, assez longtemps pour que le texte en soit effacé ; après quoi, mon bon ami, ils ont laissé macérer l’enveloppe dans une eau additionnée de dissolvant et ce durant plusieurs heures. Le pli ne pouvant être totalement étanche, le papier logé à l’intérieur s’est gonflé et a subi ensuite, au séchage, une contraction qui a achevé de détruire les traces en relief que laisse la plume sur le papier. De la sorte, en fin de compte, c’est je crois bien le Gros Harry qui l’a dans son gros cul !

Il est probable, aussi étrange que la chose puisse paraître, que vous ne connaissez pas TOUTE la vérité sur l’affaire Kennedy. Par pure charité chrétienne, et peut-être aussi par sympathie, allez donc savoir, je vous en expose les grandes lignes.

Certes, la C.I.A. a trempé dans cette sordide histoire comme le pense tout un chacun, mais elle n’était pas seule, grand Dieu non ! Il est très rare de voir tant de gens différents acharnés à faire mourir un même homme. Vous me suivez, Harry ?

Je vois d’ici votre trogne violacée, vieux faisan ; vous êtes au bord de l’apoplexie en apprenant que je vous ai fait marron, moi, un bavard de French-man ! Resaisissez-vous, mon gros ; dans votre job dégueulasse, il faut savoir avaler les couleuvres aussi facilement que le bourbon.

Je disais donc que ce malheureux J.F.K. a défunté de la volonté homicide d’un tas de gens. Cela a commencé par une fronde de sénateurs à la tête desquels Della Branla ! Horrifiés par la politique du Président, ces bonnes gens sont convenus qu’il devait disparaître. Cette opinion est devenue projet, puis le projet complot. Votre saloperie de C.I.A. a été contactée ; elle s’est aussitôt déterminée en faveur de l’assassinat. Seulement, achtung ! Doucement les basses ! Elle savait que l’affaire ferait un bruit terrible et provoquerait des ondes de choc à l’infini. Alors l’idée a jailli, lumineuse. Elle n’agirait pas directement, mais ferait agir. Pour cela, elle constituerait une espèce de consortium de mécontents.

Il s’est agi pour elle de rassembler tous ceux qui, en ce monde d’alors, rêvaient de voir la cervelle du beau Johnny sur le corsage rose de la mignonne Jackie. Contre J.F.K, il y avait les Russes qu’il avait bafoués avec l’affaire des missiles implantés à Cuba ; il y avait Castro, l’ennemi voisin ; il y avait les Cubains en exil que Kennedy s’était abstenu de soutenir lors de la Baie des Cochons ; il y avait les politicards dont il contrecarrait les louches manœuvres ; il y avait enfin et surtout ceux qui attendaient la fin de son règne pour pouvoir commencer le leur. Le génie des maîtres d’œuvre (de basses œuvres) fut de noyauter les assassins en puissance, de les laisser s’organiser séparément, mais de les orienter tous sur la date de l’attentat. A chaque partie de préparer à sa guise son panier pique-nique, mais le déjeuner sur l’herbe aurait lieu à la même date, au même endroit.

C’est pas du grand art, ça, gros bouffi ? De plus en plus, le public sait qu’il y a eu plusieurs tireurs pour tuer Kennedy. Tu parles ! Si j’ose dire, il y en avait bien davantage, disséminés tout au long du parcours présidentiel. Dallas était truffé de tueurs ce jour-là et le brave J.F.K. ne craignait pas de finir sa journée à la verticale.

La diabolique méthode offrait l’avantage inestimable de brouiller les pistes à jamais. Comment les enquêteurs pourraient-ils trouver une piste solide et cohérente dans cet embrouillamini de flingueurs et de sponsors de l’assassinat ? Tout s’entremêle, se superpose et finit par créer un phénomène de kaléidoscope. Et tout cela fut lentement conçu, échafaudé, mis au point et perpétré.

Chère grosse loche, j’ignore ce que vaut ce document rédigé par un bagnard et demeuré plus de trente ans caché dans une cellule d’Alcatraz. Il n’aurait pas grand crédit, je pense. C’est pourquoi je viens de le classer, accompagné d’un long rapport circonstancié de mon enquête, dans les archives secrètes de l’honorable maison qui m’emploie. Je suppose que les noms célèbres qu’il contient, ajoutés à certaines révélations, sont le plus sûr garant de ma sécurité, car j’ai la phobie des piliers de ponts autoroutiers.

Oublions donc nos petits démêlés, dear Harry.

Si un jour vos louches manigances vous amènent à Paris, faites-moi signe. Je vous emmènerai dans un café du boulevard Haussmann ayant pour non Ma Bourgogne où je vous initierai aux meilleurs vins de comptoir de la capitale ; ça vous changerait de l’infect bourbon à cause duquel votre foie doit ressembler à un étron de chien sur un trottoir.

Faites un gros poutou de ma part à la môme Lola. Dites-lui que je pense à elle chaque fois que je saute une dame, c’est-à-dire tous les jours. Des deux mains vôtre

San-Antonio

RAJOUTS

Maman sent la naphtaline parce qu’elle a sorti son vieux manteau de drap noir pour se rendre à l’enterrement du père Constaman, mort avant-hier d’une crise d’urémie.

— Je vais aller avec toi, décidé-je. Comme cela, nous serons au moins deux à ses funérailles, et puis je lui dois bien cet hommage.

* * *

Mathias affiche une frime décomposée. Figure-toi qu’il a ramené une bonne vieille chaude-pisse d’autrefois des Etats-Unis. Comme il n’a tiré qu’elle, là-bas, c’est fatalement Mary Princeval qui la lui a filée. Et tu diras, après ça, que les States sont en avance sur nous !

* * *

Bérurier s’est fait radier de sa banque à cause de ses caillettes qui ont empesté pendant plusieurs jours la salle des coffres, bien qu’il les eût mises « sous vide ».

Cela dit, il a une belle consolation : Pinaud vient de le mettre en cheville avec un fabricant de préservatifs qui va lui confectionner des capotes à ses mesures. Il faut vivre avec son temps ! En contrepartie, Alexandre-Benoît permettra qu’il fasse photographier son gros mandrin, habillé par ses soins, et s’en serve pour sa publicité. Le nom de la nouvelle marque est trouvé : les préservatifs « Al Capote » ! Ça va faire fureur et Béru percevra des royalties.

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Conclusion dédiée à la marquise de Sévigné.