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— Non, non, le rassuré-je : c’est la chauffeuse de limousine qui se fait avoiner par notre gros pote parce qu’elle a prévenu les draupers d’ici qu’il voulait la violer.

Mathias, qui continue de brandir son charmant enregistrement de gousset, revient à l’interrogatoire :

— Et donc, vous avez refroidi le Doc, Mister Bolanski ?

— Je me le suis payé au couteau à désosser. Vingt centimètres entre les côtelettes, au bon endroit, croyez-le. Je m’y connaissais en anatomie autant que lui !

— Et les conséquences ?

Il tapote les roues de son engin avec jubilation.

— Zéro ! Quinn avait dit vrai. Tout s’est déroulé ensuite comme prévu au « contrat ». Quelques mois plus tard, le pénitencier a été fermé, on m’a libéré officiellement peu après.

— Vous avez une idée sur la raison qui a motivé l’exécution de Tom Garden ? Car on peut parler d’exécution, vous êtes bien d’accord ?

Il fait un bruit d’après cassoulet avec la bouche.

— Aucune et je m’en tamponne : c’est pas mes oignons.

— Et après votre libération, ça a été quoi, votre vie ?

Là encore il jubile pendant que son égérie, limée à mort, pousse un cri de triomphe qui déclenche la sonnerie du carillon.

— Quand on sort d’une pension comme Alcatraz, on est un peu désemparé. J’ai failli aller à New York pour essayer de travailler avec la bande de Kid Harvey dont j’ai connu le lieutenant dans « l’île », et puis je me suis dit qu’il y avait peut-être mieux à faire, pour peu que je stimule un peu mes méninges. Je me suis mis à la recherche du lieutenant Quinn et j’ai fini par le dégoter à Washington après pas mal de pérégrinations.

« Je suis tombé sur lui dans un couloir de la C.I.A. Il était en bras de chemise, avec toujours son putain de chapeau sur la tête (peut-être qu’il a la pelade ou on truc de ce genre ?). Sur le coup, il a pas eu l’air heureux de me voir, mais alors pas du tout J’ai cru qu’il allait prétendre ne pas me connaître. Vite, j’ai pris les devants. Je lui ai dit ; « Paraît que vous êtes le lieutenant Quinn ? » Il n’a pas bronché, alors j’ai poursuivi : « Moi, je suis Robin Bolanski, un ancien pensionnaire d’Alcatraz, libéré pour “ bonne conduite ”. J’appartiens à ce genre de gars qui font confiance et auxquels on peut aussi faire confiance. J’ai pas envie de me relancer dans la grande truanderie, lieutenant. Ce que je cherche, c’est un boulot pépère “ au coup par coup ”, si vous voyez ce que je veux dire ? On peut faire appel à moi dans les cas délicats. Je suis descendu à l’hôtel “Anticosti ” pour quarante-huit heures. Supposez que quelqu’un aimant les marchés honnêtes ait un petit boulot à me proposer, il est sûr de m’y trouver jusqu’à jeudi. Allez, salut, lieutenant, heureux de vous avoir connu ; très heureux ! »

Robin se racle la gorge pour un glave de first importance. Il le rassemble puis l’expectore par la fenêtre ouverte.

— Et tu as eu du boulot, Rob ? lui demandé-je, sûr de la réponse.

— Un velours ! Deux ou trois fois l’an, je recevais une enveloppe. Dedans, y avait la photo d’un type, ses coordonnées et une botte de cent mille piastres ! J’ai pu m’arranger une existence pépère. Parfois, mon tempérament fougueux prenant le dessus, je commettais une petite bévue ; il me suffisait d’en informer le lieutenant Quinn et tout rentrait dans l’ordre. Les choses continueraient sûrement encore sans cette hémorragie cérébrale qui m’a déguisé en pot de fleurs.

— Et Quinn, tu as de ses nouvelles ?

— Non, mais à vrai dire je n’en ai jamais eu directement : une simple enveloppe je vous dis, sans nom d’expéditeur. Je continue d’en recevoir une, à Noël, avec cinquante billets dedans. C’est gentil, non ?

— En somme tu es pensionné de l’État ?

— Comme qui dirait. Je mène la bonne petite vie avec Bella. On s’est connus à l’époque héroïque et ça a été le grand amour. Évidemment, à présent j’ai plus les moyens physiques de la faire reluire, mais je lui propose une bonne manière quand elle a des vapes. Elle se couche sur la table, les pieds sur les accoudoirs de ma formule 1, et Robin la déguste scientifiquement. Comme racontait un éléphant dont un chasseur avait sectionné les balloches : je compense avec ma trompe !

On rit avec lui de sa boutade. Sa gagneuse revient, la démarche en crabe, le cul bas (dirait Castro).

Béru qui devrait être apaisé semble soucieux. Il vient à moi, le masque déformé par l’inquiétude :

— Tu sais ce dont je repense, Grand ? A mes caillettes dans mon coffiot à la banque. Tu croives pas qu’é s’ront nazebroques quand t’est-ce j’irai les récupérer ?

— Penses-tu. Du moment que tu as fait le vide en aspirant un grand coup l’air du coffre…

— Moui, hein ?

Il ne demande qu’à être heureux, le Gros. Il est fait pour. Alors il chasse son angoisse et sourit.

Désignant la dame Bella, il déclare :

— Un bon petit lot ! Pas feignasse du train, la mère ! Quand j’I’ai eusse eu monté la chatte en mayonnaise, elle a voulu que j’y défonce la porte de derrière ! Pas fastoche car elle avait jamais dérouillé du monumental dans la bagouze. Elle acceptait la visite dans la lune s’I’ment des micheons qu’avaient le braque format cigarillo. Alors tu penses, quand j’ai arrivé dans sa bétonneuse à chocolat av’c mon mandrin hors classe, ses miches jouaient plus L' Beau Danube bleu, fatal ! J’ peuve te dire qu’elle a mordu l’oreiller pour pas ameuter la garde. « Tu veux qu’ j’te signasse un armistice, mon trésor ? », j’y d’mandais. « Non, non, continue ! elle répondait, m’I’faut tout ! » Elle avait beau causer en espingouin, j’pigeais sa volonté. « C’est la dame de fer, cette grosse vache. Et même j’sus certain qu’la mère Tâte-Chair eusse pas pu enquiller une empétardée pareille, tout anglaise qu’elle soye été. Regarde-la arquer, Poupette ! Doit z’avoir l’couloir à lentilles kif l’tunnel sous la Manche ! C’est des enragées, ces anciennes radeuses. Tu croirais qu’é profitent de leur retraite pour oublier les choses du sesque, ben non, tu voyes ? Quand une superbe occase s’présente, é sautent dessus, la moniche grande toute verte ! »

Ainsi parle Bérurier le Grand, Bérurier le Gros. Bérurier l’Unique, Seigneur de la grosse veine bleue !

Avant de prendre congé du couple, je me penche sur Robin Bolanski.

— Hé ! Rob ! Tu sais des trucs à propos de l’affaire Kennedy, toi ?

Il sourcille. J’ai idée que la potion miraculeuse commence à cesser ses effets car il reprend sa sale gueule chafouine de gus en pétard contre tout ce qui bouge.

— Quelle affaire Kennedy ? il demande.

— Ben, l’attentat de Dallas, quoi !

Il hoche la tête :

— Qu’est-ce que j’en ai secouer, moi, de Dallas ! S’ils l’ont refroidi, c’est qu’ils avaient leurs raisons, non ?

— Qui « ils » ?

— Ceux qui le voulaient viande froide, pardi ! Que d’histoires pour quelques coups de flingue !

— T’as raison, Rob ! Allez, salut !

On les met.

* * *

A notre vif étonnement, il y a foule devant la maisonnette bleue. Des gamins, des adolescentes efflanquées, des grosses commères joyeuses, des vieillards sarcastiques, des marchands de fritailleries, un pasteur noir, des filles de joie, des hommes de peine, un chamelier ayant égaré sa caravane, un pêcheur de perles de culture complètement inculte, plus quelques badauds en ordre dispersé. Un touriste japonais rembobine son rouleau de pellicule en riant magot.

Notre garce de petite chauffeuse se tient légèrement à l’écart et je m’informe de la raison de ce rassemblement : on ne distribue rien gratis, Jean-Marie Le Pen ne harangue pas, et l’épouse du Président Bush ne montre pas sa cicatrice de césarienne, alors ?