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Cavalcade « au » pharmacien. Etant donné les circonstances et comme il n’est pas question de transbahuter le jeune malade, les Bérurier vont donc continuer de séjourner chez nous. Quelqu’un de plus dévoué que m’man, tu meurs.

Le calme étant revenu, je décide de rendre visite à Alain Lambert de Machinchose. Bérurier me demande de m’accompagner, histoire de se changer les idées. Je l’emporte donc dans mes fontes et quarante-cinq minutes plus tard, nous déboulons chez le pauvre père angoissé. Ce dégât ! Tu lui refilerais quatre-vingts berges, à l’élégant. Il a eu beau se raser et se saper rutilos, il est complètement brisé, cet homme.

Il me serre mollement la main.

— Vous avez du nouveau ? me demande-t-il.

— Pas encore, et vous ?

— Non, rien !

Ça y est : il me bite. Se gaffe de la Rousse. Il ne veut pas que nous pointions nos longs nez dans ses tractations, alors il a décidé de manœuvrer seul, sans comprendre qu’il n’est pas de force.

Curieux qu’il ne se doute pas qu’on l’a mis sur écoutes. C’est tellement élémentaire, mon cher Watson, une pareille mesure. Comment un homme civilisé, intelligent, très dans le vent, peut-il croire que nous le laissons seul, livré à lui-même ? Mais peut-être qu’il est conscient des précautions prises et qu’il veut éviter d’en parler pour garder sa liberté et nous laisser la nôtre ? Pas d’interférences dans le problème de la rançon. Il jouera le jeu, en conscience, et ce sera à nous de jouer le nôtre. Je pencherais plutôt pour cette version.

— Il paraît que vous avez rencontré mes amis ; tous mes amis, murmure-t-il.

— En effet.

— Et cela n’a rien donné, évidemment ?

— Pas vraiment.

— Pas vraiment laisserait croire que vous en avez dégagé néanmoins des choses positives ?

— Disons, simplement des impressions.

Bérurier que j’ai mis au courant de la situasse déclare qu’il aimerait parler au personnel.

— Mon chauffeur fait des courses, mais sa femme est à la cuisine, le renseigne Lambert.

Le Gros nous abandonne un instant. A peine a-t-il tourné les talons que le biniou tinte. Lambert pâlit et me regarde.

— Je vous en prie, fais-je innocemment.

Avec quelque embarras, il décroche.

— Alain Lambert, j’écoute.

Son terlocuteur terlocute. Ce qu’il bonnit paraît soulager mon « client » car celui-ci déclare d’un ton satisfait :

— C’est très aimable à vous, mon cher Durbard. Je saurai m’en souvenir. Eh bien, passez donc à quatorze heures pour… les formalités. Merci de tout cœur.

L’Antonio regarde par la fenêtre qui donne sur un jardin de faibles dimensions, savamment arborisé et entretenu avec soin. En son centre, il est un temple d’amour en fer tressé, après quoi grimpent des rosiers. Une table et des chaises meublent ce nid romantique. J’imagine Mlle Lambert, l’été, en train de lire dans cette cage idyllique.

En quelle cage plus sordide gît-elle présentement, si nous admettons qu’elle est toujours vivante ?

Bérurier tarde à revenir. Je le laisse agir, sachant que c’est un vrai poulet avec de bonnes initiatives qui, toujours, portent leurs fruits.

Lambert soupire :

— Je vais devenir fou.

Il a un tel accent de détresse que je pose ma main sur son épaule.

— Restez fort et gardez confiance : la situation va se décrisper.

Je suis sincère, car depuis qu’on lui a parlé rançon, j’ai repris espoir. Au début, je craignais que ce rapt ne soit pas lié à des questions de blé, et dès lors on pouvait tout craindre. Depuis qu’on lui a réclamé cinq cents briques, je me dis qu’on circule dans le conventionnel. Alice est devenue une denrée à vendre. Il va la racheter. S’il ne se produit pas de bavures, on peut envisager le happy end pour bientôt.

— Vous me permettez de lancer un coup de fil, monsieur Lambert ?

— Faites.

Avec une sublime impudence, je turlute au service des écoutes. Ils vont me trouver gonflé de les appeler sur la ligne même qu’ils surveillent.

— Commissaire San-Antonio ; j’aimerais savoir où vous en êtes ?

— On peut parler, commissaire ?

— Evidemment.

— Tôt ce matin, Lambert a appelé son banquier, un certain Durbard. Il lui a dit qu’il lui fallait de toute urgence cinq cents tuiles en liquide. Que le banquier devait vendre des titres, des obligations, au besoin lui consentir un prêt. Bien que Lambert n’ait pas fourni d’explications, l’autre a parfaitement pigé la destination de cet argent lorsqu’on lui a précisé qu’il fallait réunir la somme en billets de cent francs. Il est resté discret, malgré tout. A l’instant il vient de…

— Je sais. Merci. Je vous rappellerai plus tard.

Béru fait retour, mordant dans un sandwich au foie gras long comme un oléoduc (de Windsor).

— J’avais un’ p’tite dent creuse, explique-t-il, et vot’ cuistaude a bien voulu m’confectionner ce léger casse-graine.

Si tu savais ce que Lambert s’en fout ! Il n’a même pas entendu. On le moule pour aller vivre sa vie plus loin.

A peine sur le perron, le Gravos jubile :

— Formide, sa bonniche, pas fière pour deux thunes. A ses yeux, la police c’est magique. Elle s’est laissé miser su’ la carante sans faire d’chichis malgré qu’elle portasse un’ culotte d’honnête femme, à l’ancienne. J’y ai mis une monstre troussée. Couicli, biscotte les lend’mains d’java, j’ai les sens qu’emportent. C’matin, j’m’ai réveillé av’c un mandrin d’Sénégalais. A cause des inquiétudes d’not’ enfant, j’ai pas osé m’met’ à jour av’c la Grosse, mais j’pouvais pas m’trimbaler tout’ la journée dans c’t’état. Si j’aurais pas calcé la Yougo au Lambert, j’allais me faire éponger le trop-plein chez la mère Ripaton, à Courcelles.

— Voilà qui aura fait progresser l’enquête, ironisé-je.

— Bêche-moi pas, grand, ça m’a pas empêché d’questionner la femme tandis qu’j’la brossais galamment. C’est pas poli d’causer la bouche pleine, mais tu peux l’faire avec ta bitoune en va-et-vient ent’ des miches amies. C’que j’ai appris, c’est que Lambert a pour maîtresse titrée une chieuse de force cinq, crème de bourrique complète, qui passe leur vie à lu faire des scènes et lui griffer un max d’osier. C’est d’la pétasse jamais contente, au plus qu’il lu refile des cadeaux et d’la fraîche, au plus qu’elle en veut. Ell’ n’s’entendait pas du tout av’c la petite sauterelle kidnappée.

— C’est tout ? ricané-je.

Le Mastar se fiche en renaud.

— Eh, dis, l’artiss, pousse pas. V’là une cuistaude qui m’rencarde su’la gerce à son singe, qui m’vide les burnes et m’confectionne un sandouiche au vrai foie gras, j’peux pas y demander, en suce, d’me faire une pension ou de m’adopter, merde !

Il rentre dans ma voiture, comme d’autres à la Trappe pour y faire retraite.

Un immeuble ultramoderne dans le quartier de Grenelle, sur le front de Seine. Le hall est plus vaste que le Palais des Congrès, tout en marbre rose, avec des plantes exotiques dans des bacs de bronze. La loge du gardien serait une aubaine pour un cadre supérieur ou un P.-D.G. moyen. Il en sort une musique douce d’avion au moment de l’embarquement.

Je sonne à la double porte vitrée et une dame de belle allure, genre doctoresse ou avocate en renom, vient délourder. C’est la gardienne de l’immeuble (à ce niveau de standinge, y a plus de concierge).