Les cloches remettent une salve. Ah ! oui, carillonnez, amies de bronze, pour célébrer l’entrée du dauphin béruréen dans la grande famille catholique.
Il domine le son du clocher de son organe de ténor frais pondu, Apollon-Jules. Irrésistiblement, devant cet énorme poupard, je songe au fils de Grandgousier et de la gente Gargamelle. Déjà force de la nature, à deux mois à peine ! Volcan crachant la vie comme son cousin l’Etna sa lave. M’man a grand mal de garder ce pacsif tressautant dans ses bras de mansuétude. Câliner ce boisseau de cabris en délire est un exploit.
Qu’heureusement, ma chignole est à deux pas. Je me désaccouple de la dame Pinaud pour déponner la portière à Féloche. Elle s’installe à l’arrière avec monseigneur le marmot-tard-venu. Pinuche la suit, toujours superbe de tact et de chic ; sa pauvre épouse souffreteuse prend place à mon côté (la place du mort lui convenant à merveille) ; elle se meut avec mille précautions, biscotte ses vertèbres nazes et aussi ses plaies variqueuses qui suintent comme des conduits de chiottes éclatés par le gel.
Bon, paré de mon côté.
L’heureux père est saboulé dans les beige-Mitterrand, chemise canari, cravate orange. Il fait songer à un tournesol épanoui.
— Tu sais où c’est-il qu’on clape, grand ? s’informe-t-il, en hôte soucieux d’assurer la bonne marche des festivités qu’il assume. Le Goujon de la Marne, à Chennevières. Si t’arriverais le premier, tu d’manderas la salle privée particulière à m’sieur l’miniss.
— Je sais, je sais.
— J’ai r’tenu là-bas car y sont imbattab’ sous l’rapport quantité-prix. Ça s’tire la bourre dans la soupe, d’nos jours. Sont obligés de baiser leurs prétendants ; c’est la loi de Joffre et de l’Allemande, quoi !
Il me quitte pour retrouver la jolie maman d’ApolIon-Jules tout en bleu, jupe plissée, chemisier à ramages, renard argenté sur les épaules. Le carnassier a perdu un de ses yeux de verre et cette borgnitude incommode. Berthe à qui je me suis permis d’en faire la remarque, m’assure qu’à la place du lampion manquant elle coudra un bouton de braguette à son homme ; ce qui devrait alléger l’infirmité du malheureux renard.
Le cortège s’ébranle. Quatre voitures.
— Avec qui Toinet est-il monté ? s’inquiète Félicie.
— Je l’ai confié aux Mathias, rassuré-je ; ils sont habitués aux cyclones.
— Nous aurions pu le prendre avec nous, ta voiture est suffisamment vaste.
Apollon-Jules remue-ménage jusqu’au délire. M’man diagnostique une faim de loup. Le parrain prie ma chérie de lui confier le fauve.
— Vous l’avez suffisamment coltiné comme cela, chère madame. Un peu à moi !
Félicie fait droit à sa requête afin de ne pas désobliger l’Ancêtre. Et voilà César avec du chiare plein les brandillons, s’efforçant de contenir la tornade.
— Il a de la vitalité, assure cet homme qui en manque tellement.
Je drive moelleux pour que notre escadrille ne se désunisse pas. On biche bientôt la voie sur berge, et puis on remonte au bout d’un temps pour continuer sur l’autoroute aménagée dans le lit de l’ancien canal. Et bon, on passe Saint-Maurice, on oblique sur la droite. Mme Pinaud me prie de ralentir pour qu’elle puisse gober deux de ses pilules contre les maux d’estomac. M’man commet l’imprudence de lui parler de sa santé et la vieille délabrée plonge par l’ouverture et nous assène, coup sur coup, son pylore mité, ses ovaires carbonisés, sa rate ébréchée, ses calculs rénaux, les friponneries de son gros intestin, le lâchage de son foie, son dernier pontage, son herpès aux fesses, l’ablation de sa vésicule, son pneumothorax, ses fistules au complet, ses fissures en cours, l’angine herpétique de l’automne passé, son kyste en voie de développement, le fibrome dont il faut l’opérer et tous les examens entrepris sur ce qui subsiste de sa personne physique. Le tout nous mène sans encombre jusqu’à La Varenne. On suit alors la Marne jusqu’à une guinguette classique à l’enseigne du Goujon de la Marne, précisément.
Parvenus à destination, nous notons une forte odeur dans ma Maserati. Une rapide enquête nous amène aux constatations suivantes : Apollon-Jules a déféqué de fond en comble sur Pinuche, sa couche s’étant malencontreusement déplacée. L’heureux parrain aura du bonheur pour l’année car il est tartiné du torse jusqu’aux mollets. Même son beau chapeau neuf qu’il avait déposé sur la banquette ressemble désormais à un vase de nuit après usage. La situation est grave, mais non désespérée. Berthy, la jolie petite maman embarque d’autor l’emmerdé et le démerdé aux chiches (tardivement, hélas) afin de remettre de l’ordre dans la situation.
Le gentil papa, peu troublé par les premiers méfaits de son hoir, nous guide au « Salon Bleu », ainsi nommé je pense parce qu’il est peint en vert et que le nappage est d’un rose fringant. Au fond dudit, sur une petite table, une bouteille de Martini, une autre de Ricard et une troisième d’Alsace nous attendent pour l’apéritif. Un jeune serveur, dont la veste blanche témoigne encore du menu de la veille, commence à servir ces breuvages de qualité à qui les réclame.
— Si vous permettrez, déclare alors Alexandre-Benoît. Du temps qu’Berthaga décamote Pinuche et not’enfant, faut qu’je vais vous lire l’menu ; et vous constaterez qu’il est pas si m’nu que ça !
Là il place un rire qu’il voudrait déclencheur, mais qui trouve peu d’écho dans notre assistance à tendance intellectuelle.
Sa Majesté l’ancien miniss (si j’ose m’exprimer de la sorte) va prendre un bristol graisseux sur la table dressée en vue de nos proches agapes. Il s’éclaircit la voix par un toussotement préalable ponctué d’une expectoration dont il balance les résultats par la fenêtre ouverte. En bas, quelqu’un rouscaille, comme quoi il vient de morfler le glave en pleine poire. Béru va lui crier que, quoi, merde, si on rigolerait pas un jour de baptême, merde, autant rester couché, merde !
Puis il se met à déclamer ce qui, pour lui est bien plus beau que du Verlaine, bien plus fort que du Hugo :
— Pour commencer : andouille de Vire. N’ensuite : friture d’la Marne. On continuerera par des tripes à la mode de Caen ; puis par d’la tétine de vache r’venue aux z’oignons, que c’est l’espécialité d’la maison. Pour poursuivre, y aura du boudin aux deux pommes. Puis : fromage-à-la-crème à la crème, beignets de saison, profiteroles au chocolat et desserts. Ceux qu’aimeraient pas d’un plat, ce que je doute mais quoi, on trouve des peigne-culs partout, ceux-là qu’je cause pourraient l’remplacer par une omelette aux œufs, mais va falloir faudre le dire avant d’commencer vu qu’les grands chefs de cuisine culinaire aiment pas qu’on les fait chier en plein service, ce qu’est compréhensive.
« En ce dont qui concerne les vins, y aura beaujolais, muscadet, asti qui pue la menthe entièrement en provenance d’Italie, marc de Savoie et Chartreuse jaune de Parme pour les dames. Quéqu’un a-t-il-t’il quéqu’chose à objectionner ? Non ? Banco ! Ah ! V’là Pinuche. Montre un peu, parrain ? Mouais, elle t’a décapé l’plus gros, mais tu fouettes encore tant tellement et si bien qu’je te conseille d’enl’ver ton beau costard et d’le mett’ au portemanteau, en bas. Moi, l’odeur d’la merde m’a jamais dérangé, mais y a des natures délicates parmi nous que j’voudrais pas les faire déguster c’magnifique menu kif s’ils seraient bouclarès dans les gogues. Comme j’sais qu’tu portes des caleçons longs, César, tu peux déjener en p’tite tenue, n’est-ce pas, méames ? D’alieurs, c’est pas ce qu’il aurait à vous montrer qui vous ferait pousser des cris d’orfèvres, croilliez-moi. Notez qu’avec sa zézette d’officier d’caval’rie, y n’se défend pas trop mal, l’Ancêtre. Maâme Pinaud ici présente peut témoigner, si ell’ s’souviendrait encore de leur époque héroïque. Césaroche, j’lu ai vu grimper des gaillardes qu’y fallait pas leur en promettre, sauf le respecte qu’j’vous dois, Ninette. Il allait à la tâche comme un grand, son petit cul de lapin maigre activant tout berzingue, j’vous promets. C’t’un consciencieux, bistougnet ou monstre chibraque style moi-même, l’homme consciencieux fait reluire sa mousmé, je démords pas. Bon, on s’enfouit un deuxième apéro et on passe à tab’. »