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— Ça peut z’êt’ dang’reux pour vous, d’manipuler c’te saloprerie, souligne Béru.

— Et alors, mon bon ? Il faut savoir vivre dangereusement. Mais changeons de sujet, je crois qu’elle rentre. Et vous ne m’avez pas dit encore ce qui vous amenait ici ?

— Vous allez l’apprendre en même temps qu’elle ! assuré-je.

LE CHARME

Alice était fascinée par cette voix suave qui, des heures durant, lui arrivait par les baffles scellés dans les murs. Elle se manifestait sur de la musique. Il y avait des périodes de déclarations enflammées, puis la voix se taisait et le niveau de la musique remontait. La prisonnière. (mais est-on prisonnier lorsqu’on consent à sa détention et que, mieux encore, on la savoure ?) ne tardait pas à l’espérer de nouveau. Elle aimait ces accents feutrés, ces « r » qui roulaient comme du grain, ces mots doux et passionnés qui atteignaient son âme.

Elle répondait à son interlocuteur invisible. L’assurait qu’elle se sentait bien, heureuse, et qu’elle souhaitait le voir.

— Pourquoi ne vous montrez-vous pas ? demandait-elle avec reproche.

Il lui répondait que le moment n’était pas encore venu. Il fallait que des liens se tissent entre eux.

— Vous me voyez, mais je ne vous vois pas, ripostait Alice, ce n’est pas juste.

La « voix » lui répondit qu’elle redoutait la confrontation : « Vous êtes si belle, et moi si laid ».

— La laideur n’existe pas quand on est capable de dire ce que vous dites.

Il murmurait « merci », puis laissait la musique investir l’appartement.

Un matin — c’était combien de jours après son arrivée ? Alice n’aurait su le préciser car ici la notion de durée s’estompait —, un matin, donc, « il » lui proposa de sortir dans le jardin.

— M’y rejoindrez-vous ? demanda-t-elle.

— Non, mais vous devez bouger, prendre l’air…

— Pas sans vous, répondit Alice.

Une fois de plus, il murmura « merci ».

BEURK !

On attend un instant, sans se montrer. Isabelle, la belle, vaque dans son appartement. Leurs existences sont réellement scindées car elle ne vient pas voir son vieux crabe. On l’entend aller et venir dans son univers mitoyen, indifférente à la proximité du mari. Elle se comporte vraiment comme si elle était seulabre, cette donzelle.

Lui, l’écoute, tendu, rageur, sardonique. Il commente à voix basse ses faits et gestes :

— Elle arrose ses plantes. Tous les soirs ; un de ses dadas. Elle passe dans son dressing pour se déshabiller. Elle branche la radio, faisant partie de ces gens qui ne savent exister seuls sans déclencher leur moulin à sottises…

Je lui désigne son propre transistor.

— Ça ne vous arrive pas, à vous ?

— Presque pas. Je hais. Ne supporte que la météo, et encore à condition qu’elle soit bonne !

« Ah ! maintenant, la cérémonie du bidet. C’est une personne qui abuse de ce genre d’ablutions. Elle y voit un acte purificateur, la salope. Combien de garces abjectes s’estiment vierges après s’être lavé les fesses, messieurs ? Elles ont des culs de linotte. »

Béru me sollicite du regard. Il pige mal que je tarde à me manifester. Qu’attends-je ? Je me le demande itou. Pourtant, quelque chose me conseille de ne rien bousculer. En fait, je préfère qu’elle se soit mise au lit pour intervenir, Isabelle. Tant qu’à batifoler dans l’illégalité, allons jusqu’au bout de notre propos.

— Là, elle mange son yaourt, déclare le cocu. Vous vous rendez compte de ma joie, le soir où j’y aurai flanqué du foutre de sidaiste ?

On poireaute encore. La chambre du vieux nœud pue la ménagerie. On est dénoncés par nos odeurs, les hommes. Nous pestilons. On fait illuse à force de bains et de parfums, sinon c’est la Berezina atroce ! Nos fumets dénoncent le fumier en mouvement que nous sommes. Arrête-toi de bouger et te voilà en quelques heures putrescent. T’as beau te fourbir l’oignon, te le rincer à grande eau, il schlingue encore. Là est notre vérité animale. Pour obtenir tous les renseignements les plus détaillés sur ta condition humaine, une seule adresse : ton trou du cul !

— Cette fois, elle se met au lit. Elle va lire des revues pendant une dizaine de minutes, puis le sommeil la gagnera.

San-Tonio gamberge à outrance. Ça fume du côté de mes étiquettes, tiens, regarde ! Même que ça sent le caoutchouc brûlé, comme quand un Sénégalais baise avec une capote.

Wilfrid de Broutemiche me regarde et questionne :

— Vous attendez quoi ?

— Qu’elle dorme.

— Pour quoi faire ?

— Pour la réveiller !

Il soupire :

— Vous ne voulez toujours rien me dire ?

— Vous saurez tout à l’heure.

— Je suis patient, non ?

— Très, et je vous en félicite ; mais vous en serez récompensé ; je crois pouvoir vous promettre un moment rare.

— J’y compte bien.

— Vous n’auriez pas quelque chose qui me permettrait de dissimuler mes traits ? Car elle me connaît.

— Un bas, ça irait ? C’est classique.

Il va à un tiroir et en sort une paire de bas noirs agrémentés de broderies représentant de minuscules roses pâles.

— Ils appartenaient à ma chère Héloïse ; si vous pouviez ne pas les abîmer…

— Rassurez-vous, j’en prendrai le plus grand soin.

Je regarde ma montre.

— Vous saurez quand elle dormira ?

— Parbleu : sa chambre est contiguë et je vis à l’oreille. Elle jettera sa revue sur la descente de lit, bâillera très fort et actionnera son commutateur.

Il met son doigt à la verticale de sa bouche.

— Faisons silence, je vous préviendrai.

J’opine. Naturellement, il suffit d’intimer à Béru de fermer sa gueule pour qu’il l’ouvre.

Il me mugichuchotte dans la portugaise droite :

— Tu veux qu’on va la coincer en pleine dorme ?

— Oui.

— Biscotte ?

— Parce que cette gonzesse est un sacré morceau et qu’on ne la réduira jamais par les moyens normaux. Trop forte pour s’affaler avec des perdreaux. Il faut lui faire peur. Nous sommes admirablement servis par les circonstances ; grâce à son époux, on peut manœuvrer comme des chefs.

Renseigné, il consent à s’hermétiser.

— Ça y est ! annonce Wilfrid. La garce vient d’éteindre.

— Elle a le sommeil léger ?

— Non, normal.

— O.K., on va lui accorder encore dix minutes de répit ; après quoi, vous irez actionner le disjoncteur électrique de façon à ce qu’elle ne puisse éclairer.

— Entendu.

— Vous nous guiderez alors jusqu’à sa chambre et vous nous laisserez agir sans intervenir. Essayez de ne pas vous montrer.

Il en tremble de joie.

— Ah ! mes amis, mes chers amis, je crois que je vais éjaculer de bonheur. C’est trop, c’est trop : vous me comblez !

Toujours ces parfums qui me tarabustent.

La chambre de la mère Isabelle pue très fort. Elle doit asperger vilain, la gueuse, vivre dans les essences les plus rares. Et pour comble, les bas de feue Héloïse reniflent aussi : une odeur fanée mais obsédante au point que ça me flanque envie d’éternuer.

J’ouvre la lourde et pénètre le pommier, m’éclairant de ma lampe-stylo à faisceau popkorn concentrique. J’opte pour bâbord et fais signe au père d’Apollon-Jules d’accoster le plumard capitonné par tribord.