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Elle tendit la main vers l’amphore placée à côté de son banc et cueillit une tigette de plante d’un vert presque noir portant une fleurette blanche à quatre pétales. Elle plaça la tige entre ses lèvres. Elle avait un goût amer.

Le soleil emplissait le ciel bleu d’une clarté d’apothéose. Alice renversa sa tête en arrière pour offrir son visage à la chaleur. Elle demeura longtemps dans cette position et s’en arracha parce qu’elle avait le sentiment d’être observée.

Regardant autour d’elle, elle aperçut un étrange personnage à l’autre extrémité du jardin. Un être énorme, à la chevelure brune ondoyante sur la nuque. Il se laissait pousser la barbe et, de loin, on avait l’impression qu’il portait une sorte de bavette noire sous la bouche et que celle-ci descendait jusqu’à sa poitrine. L’homme était vêtu d’un burnous immaculé qui scintillait comme de la nacre.

Il se tenait assis dans un fauteuil de jardin et contemplait Alice sans ciller. La fixité de ce regard était si intense que la jeune fille se dressa et, à pas lents, se dirigea vers l’énorme bonhomme.

Il ne cessa de la regarder pendant tout le trajet, se leva lorsqu’elle arriva à quelques mètres de lui et la salua d’un profond signe de tête.

Ils restèrent un long moment indécis, les yeux dans les yeux. Alice finit par lui sourire et il en fut comme ébloui.

— C’est vous, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

Il sut à quoi elle faisait allusion et battit des paupières. Il possédait de longs cils noirs qui rendaient son regard sombre plus sombre encore.

— J’aimerais que vous me parliez, fit-elle.

— Je n’ose plus, murmura-t-il.

— Pourquoi ?

— Parce que vous pouvez me voir.

— Justement, s’étonna Alice, c’est mieux ainsi.

Elle avança la main et saisit le poignet grassouillet de son « amoureux ». Elle le trouvait beau et fascinant. Kazaldi le comprit et des larmes firent de ses yeux deux diamants noirs[6].

DEUXIÈME PARTIE

APOLLON-JULES

PIF !

Ça ne paraît pas tellement le combler d’avoir si vite récupéré sa fraîche, Lambert. C’est un brave gonzier, pas obnubilé par les biens de ce monde. Pour lui, les vraies richesses sont ailleurs ; seulement, de ce côté là il est guère comblé, ce chéri. D’apprendre qu’il a été fabriqué par sa maîtresse, et surtout que celle-ci « s’est donné la mort », le cisaille.

Il touche le fond du gouffre ; le bout de la nuit. Il coule à pic. Tout est perdu, foutu, rincé. Plus le moindre brin d’herbe à quoi s’accrocher au flanc de la falaise qu’il dévale.

Il est penché en avant, la tête presque entre les jambes, c’est te dire ! Qu’à peine il a jeté un œil au pacsif de grisbi dans la valise ouverte.

Ses yeux lui pendent de la tête ; sûr qu’ils vont finir par rouler sur le tapis persan !

Bérurier qui, à présent, connaît les lieux, revient de la cuistance où il est allé se préparer un sandouiche de sa composition en l’absence de la grosse Tania. Un vrai monument classé, ce sandwich. Il a fendu une baguette en deux et y a installé une profusion de nourritures variées : rosbif, foie gras, œufs de saumon, morceaux d’omelette, quiche lorraine, camembert, reste de ragoût, etc. A noter que les végétaux sont absents de cet échantillonnage, Béru affirmant volontiers que le meilleur des légumes restera toujours la viande.

Son bouffement dégouline de partout, chaque fois qu’il y plante ses dents carnassières. Il murmure :

— M’sieur Lambert, sauf vot’ respecte, vous seriez-t-il assez gentil de me dire où est la cave ? Y a plus la moind’ goutte de pichtegorne à l’officiel.

— Béru ! sermonné-je, tu en prends à ton aise.

Le Gros désigne la valdingue.

— Quand c’est qu’on ramène cinq cents tuiles à un monsieur, on peut s’permett’ d’lu solliciter un coup d’rouge, non ?

Lambert, arraché de son désespoir, raconte comme quoi, la cave, faut sortir dans le jardin et que c’est l’escalier de droite et y a la clé dans le tiroir de la cuisine.

Exit le Mahousse qui, avant de sortir, dépose son sandouiche des Mille et Une Nuits sur l’habillage de velours d’une table ronde supportant des bibelots rares dont il devient le fleuron.

Je m’assois face à Lambert.

— Oublie ta pétasse, Alain, tu étais tombé sur ce qu’on nomme une gourgandine sans scrupule. Elle se jouait de toi et seul ton fric l’intéressait.

— Elle s’est tout de même suicidée ! riposte-t-il. Preuve que…

— Preuve qu’elle a eu peur en se voyant démasquée. Ne commence pas à l’embellir ! Nous sommes les rois des cons, nous les hommes. Toujours prêts à trouver des circonstances atténuantes à celles qui nous grugent et à voir de saintes innocentes en celles qui nous font cocus. Tu te traînais une salope au fion, mon grand, ça oui. Expulse-la de ton esprit. Ce qui importe, c’est de retrouver Alice.

— Je le sais bien, soupire Lambert. Mais nous voici dans l’impasse.

— Peut-être que non, laissé-je tomber doucement au bout d’un silence hésitant.

Il réagit :

— Tu as du nouveau ?

— Il y a peut-être une autre piste. Et cette autre piste, elle, je la sens ; le coup de la rançon m’en avait détourné.

En termes suce sein, je lui bonnis tout ce que je sais sur le dénommé Kazaldi. Il m’écoute, ferme les yeux.

— En y réfléchissant bien, je me rappelle effectivement cet homme. Un obèse effroyable, adipeux, qui regardait fréquemment dans notre direction au Pasha.

— Il se trouve présentement dans sa propriété de Marrakech, ce qui va compliquer les choses car je n’ai pas qualité pour intervenir là-bas. Il faut que ce soit de façon tout à fait occulte.

Alors il s’arrache à ses misères, Alain Lambert de Chosetrucmachin.

— Ecoute, me dit-il. Je possède un avion particulier, un jet avec pilote pour mes déplacements en France et en Europe. Veux-tu que dès demain matin nous partions pour Marrakech ?

Il désigne la valise de métal récupérée à la consigne.

— L’argent ne manque pas. Si l’on doit s’assurer des complicités, là-bas, nous avons de quoi les rémunérer.

Ouf ! Il est sauvé. Il va enfin agir. Y avait que cela pour le tirer du désespoir. L’inertie est un pourrissement.

Bérurier revient, nanti de deux bouteilles de Richebourg illustres.

— J’ai pris c’qui m’tombait sous la pogne, déclare-t-il avec un air faux cul qui équivaut à de la franchise. La deuxième boutanche c’est juste au cas qu’vous m’feriez un brin d’conduite, mais si vous n’en boiveriez pas, il est pas dit qu’je l’entamasse.

* * *

M’man a les larmes aux yeux de rendre Apollon-Jules à son illustre paternel. Bien langé, le bavoir fraîchement amidonné, le bonnet capuchonnant bien sa tête un tantisoit hydrocéphale, le moutard en jette comme s’il se présentait au concours du plus beau bébé de France. Sa Majesté se saisit du petit prince, l’assure dans le pli du bras, dépose sur sa joue un baiser vorace qui l’estampille de jaune d’œuf et le fait bieurler.

— J’vous r’mercille infiniment, maâme Félicie ; c’est très gentille à vous.

Il cligne de l’œil.

— Maint’nant, je sais à qui qu’on pourra confier c’t’artiss quand t’est-ce nous irons en voiliage, moi et Berthe.

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6

Je viens de relire ce court chapitre ; je voudrais pas me vanter, mais c’est vachement chié !

Tu vois, quand je veux m’appliquer, l’où est-ce qu’ils vont dinguer, les prosateurs assermentés !

(San-A.)