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Bon, je t’en reviens à la sublime Marrakech, si enchanteresse. Médiévale ! Ça rameute ferme la gentry ternationale. Pédoques de haut niveau qu’ont le cul bordé de nouilles en or ! Grands financiers en mal de fastes. Artistes en tout genre. Pétasses réputées. Les gens du patelin voient radiner le flot et s’exercent doucement à piquer un max à ces parasites. Les roulent de leur mieux, comme la semoule du couscous. Moi, je leur dis bravo. De quel droit t’es envahi par des hordes barbares qu’en comparaison, celles d’Attila ressemblaient à des pèlerins déferlant sur Lourdes ? Parce que t’habites un bled sublime, voilà que ça se pointe de Nouillork, de Paname, de London, et de partout ailleurs, pour te voler ton panorama et ton soleil. Ils déboulent comme en pays conquis. Part à tous, camarades ! Nous aussi, on la veut, la palmeraie ! Il nous le faut, l’Atlas ! Tirez-vous de devant, vous nous faites de l’ombre ! La Troisième Guerre est en cours, les gars. Et ce sont les touristes qui la livrent. Au plus ils sont huppés, au plus ils font mal. A nous, le Maroc ! Les Seychelles ! L’Andalousie ! Les îles grecques ! Taillez-vous dans l’arrière-pays, les ploucs ! Laissez-moi usiner avec mon blé étrange venu d’ailleurs. J’achète, j’achète ! Raus ! Ton lopin, ta lapine. Laissez vos femmes : elles pourront servir. Et même votre gamin, le petit frisé. Il suce bien, j’espère ?

Moi, à force de me traîner les burnes de continent en continent, je la vois se développer, l’infernale invasion. Je les vois pousser, les grands immeubles épouvantables, souilleurs de contrées merveilleuses. Ils sont niqués les autochtones. Ont beau laisser faire le temps, leur vaillance et leur roi, ça prolifère. Hôtels de luxe à deux trois piscines « olympiques » ; villas hollywoodiennes ; Rolls et Ferrari. Que les pauvres dromadaires ont juste le temps de planquer leurs miches. Ils les regardent passer avec leur regard haut perché et paterne qui fait songer à celui du président Mitterrand passant les troupes en revue. Toujours, tu le remarqueras, le président quand il arpente devant un détachement d’un air détaché ; mais la démarche empreinte et l’œil dromadaire, moi je trouve.

Et bon, je débloque, déconne, même, car les vérités sont stériles. Le bon sens est un langage qu’on pige de moins en moins. Quelques-uns qu’écoutent, hochent la tronche et pensent : « C’est pas bête, ce qu’il nous dit, mais c’est con. » Et tu sais pourquoi c’est con, Lanture ? Parce que ça ne sert à rien. Et en nos temps de merde, y a que ce qui sert vraiment à quelque chose qui est pris en considérance.

Alors on déboule dans Marrakech. Slim s’occupe des formalités pour le zinc. Mais les fonctionnaires de la police des frontières nous cherchent du suif à cause d’Apollon-Jules. Faut dire qu’il n’a aucun faf, l’exquis bébé. Pas même un extrait de naissance. Et le Gros ne s’est pas muni de son livret de famille. Alors, Apollon-Jules, c’est comme s’il n’existait pas, tu piges ? Heureusement, Lambert traite beaucoup avec le Maroc. Je ne sais pas ce qu’il fabrique, mais il en vend aux Marocains, des caisses et des caisses ! Dc ce fait, il est assez lié avec le ministre du Commerce. Quelques coups de turlu bien placés et ça se tasse. On délivre un visa d’entrée au descendant des Bérurier.

Il nous convie à la Mamounia, Lambert. Au diable la ladrerie ! Notre installation est d’autant plus rapide que, selon notre bonne habitude, Béru et moi sommes sans bagages.

Son lardon fouette vilain. Il expédie un groom à la pharmacie pour acheter des couches et des pots de bouffe pour bébé de deux mois.

Pendant qu’il puériculte et que Lambert défait sa valoche, je frète un taxi et me mets en quête d’une résidence qui s’appelle « L’Orangeraie ».

La propriété doit compter parmi les chouettos de Marrakech, car le driver n’exige pas plus d’explication que ses confrères de Washington à qui tu demandes de te charrier à « la Maison-Blanche ». Il bombe comme un dingue par les larges artères, doublant à gauche et à droite, brûlant les feux rouges, détraquant l’aorte des piétons dans une équipée sauvage digne des meilleurs films de poursuites américains. Que, très bientôt, nous voici rendus devant une demeure immense, cernée de murs blancs, au centre de laquelle se dresse une sorte de minaret qui, en réalité, sert de colombier. Les toits s’étagent harmonieusement et de blancs pigeons roucoulent ou se foutent la troussée sur les tuiles ocre parsemées de tuiles bleues. Tout est silence. On aperçoit des frondaisons de cyprès et d’orangers par-dessus le mur. Une porte ouvragée, à deux battants, très ancienne, avec des incrustations d’ivoire et de nacre, ouvre l’accès à ce paradis. Une lourde pareille, chez n’importé quel antiquaire du boulevard Saint-Germain, tu la casques un saladier !

— Tu rentres pas ? me demande le chauffeur, surpris de me voir rester debout près de son bahut.

— Non, j’admire seulement.

— Et tu payes la course juste pour admirer ?

— Je suis journaliste et je dois écrire un livre sur les plus belles maisons de Marrakech, je commence par un tour d’horizon.

Je m’éloigne de quelques pas, histoire de fuir sa curiosité. Et c’est alors qu’une voix masculine s’écrie :

— Hep ! San-Antonio !

J’avise, au volant d’une Morgan rouge dont le modèle a cinquante ans, Albert Nécreux, un comédien spécialisé dans les rôles de dégueulasse, à cause de sa frime pas recommandable.

Le monde est petit ! comme dit ta concierge.

Je m’approche de lui, sans enthousiasme excessif. Rien de plus chiant que de rencontrer des importuns.

— Salut, Nécreux, ça boume ?

Il m’en presse un paquet et rigole :

— Rectification, commissaire. Je ne m’appelle plus Nécreux, car j’ai pris un nom de théâtre.

— Tu te nommes comment, aux dernières nouvelles ?

— Noubly.

— Et ça change quelque chose à ta carrière ?

— Tout. Jean Noubly. Ma cote grimpe.

— A cause ?

— Je faisais partie des obscurs. Mon blaze n’était jamais cité dans les interviews de vedettes ou de metteurs en scène. Or, vous l’aurez remarqué, chaque fois que ceux-ci parlent de la distribution, ils disent, immanquablement : « En dehors de moi, il y a Depardieu, Sophie Marceau, Galabru et j’en oublie. Ce qui fait que, désormais, j’ai en quelque sorte la vedette américaine. Jean Noubly, c’est moi.

— Superbe, conviens-je.

— Je fais jouer le vide à mon profit ; je suis devenu la mémoire défaillante de mes illustres confrères. C’est indiscret de vous demander ce que vous faites devant cette somptueuse propriété ? Vous vous portez acheteur ?

— Mon livret de Caisse d’Epargne n’est pas suffisamment gonflé pour ça.

— Alors, boulot ?

— Vacances ! J’admire… Et toi ?

— J’habite chez une amie.

Il cligne de l’œil.

— Une dame veuve et bourrée d’osier. Ah ! certes faut pas compter ses heures de vol et elle a fait des tas d’atterrissages sur le ventre, mais sa crèche ressemble à celle-là et sa table à celle de Bocuse. Elle fait partie du Tout-Marrakech. Le roi la reçoit, ainsi que le maire, les notables, les grossiums, les célébrités en vacances. Elle connaît même le gros sac qui habite ici.

Il me désigne la crèche de rêve.

Comme il est disert, il enchaîne :

— Elle fait un monstre raout, ce soir, venez, je vous invite. Vous avez un smoking ?

— Bien sûr, ments-je précipitamment.

— Alors soyez à neuf heures à la propriété qui se nomme « Les Confins », en direction de Ouarzazate ; d’ac ?

— Volontiers, mais à une condition : tu ne dis à personne que j’appartiens à la Poule ; ça jetterait un froid.