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Je tente de la calmer, mais y a pas mèchouille d’en caser une broque ! Trop sur orbite, la Baleine ! Une vachasse projetée dans le cosmos, ça suit sa trajectoire, inexorablement.

Elle en est au divorce avec garde de l’enfant, lorsque la porte de mon burlingue s’ouvre et que dame Pinaud paraît, remontée à outrance, elle aussi. Tout comme Berthy, elle vient me réclamer des comptes à propos de son homme qui n’a toujours pas reparu depuis le baptême.

— Vous me cachez quelque chose, commissaire ! Et moi je meurs toute seule pendant ce temps. Mon emphysème m’a reprise et je ne peux plus respirer. Sans parler de mon eczéma. Regardez mes avant-bras, par curiosité ! De surcroît, je suis en pleine occlusion intestinale. Du sérieux ! L’Inolaxine ne me fait plus rien ! Pas davantage le Pursernid ! J’ai tout essayé : le yaourt, les pruneaux ! Il n’y a plus que l’huile de ricin ! Et encore, je suis obligée de me finir à la main quand je vais aux toilettes, si vous souhaitez des détails !

— Ça ne doit pas être triste, commets-je.

Elle s’arrête de grincer, girouette rouillée tournoyant dans le vent de sa rage.

— Ah ça, vous gaussez-vous de moi, commissaire ?

Je me lève, exténué par l’assaut des deux mégères aux styles différents mais tout aussi pernicieux l’un que l’autre.

— Mes gentilles amies, leur fais-je, permettez-moi de vous confier le fond de ma pensée la plus intime : vous me faites chier avec vos bonshommes ! Y a longtemps qu’ils auraient dû se barrer, l’un et l’autre.

Leurs réactions sont, là aussi, divergentes. La Pinaude porte les deux mains à son thorax comme pour une crise d’angine de poitrine et balbutie : « O Seigneur tout-puissant, je Te l’offre ! » Tandis que la Bérurière, elle, met ses poings de toucheur de bœufs sur ses hanches viragotes.

— Dites, Antoine, prenez-le pas su’ c’ton, hein ! Parce que si c’est la merde qu’vous cherchez, av’c moi vous allez en avoir.

La Pinaude se retire comme la mer sur le sable. Dès lors, je fonce sur la Grosse.

— Dites-moi, Berthe, en ce qui concerne la disparition de Pinaud, vous avez peut-être un témoignage intéressant à apporter, non ? Car il se trouvait seul avec vous dans l’auto lorsque Béru et moi sommes venus ici. Or il n’y était plus à notre retour.

Le visage mafflu s’empreint d’une ruse maquignonne.

— Avouez-moi où est-ce que sont « mes hommes » et j’vous causerai du père Pinuche.

« Ses hommes ». Le voilà promu homme, par sa maternelle, l’infortuné Apollon-Jules. Où est-il, ce chérubin de triperie ? Je donnerais beaucoup pour le savoir. Quand, hier matin à Marrakech, j’ai fait part au Gros du marché de Kazaldi, il est devenu pâle, oui : vraiment pâle, d’un blanc livide tirant sur le violet foncé. Et il a murmuré d’une voix outre-tombale :

« — Et qu’est-ce tu comptes-t-il faire ? »

« — Décider Lambert et sa fille à se rendre au rendez-vous afin que nous récupérions ton enfant bien-aimé. »

« — Et si ce gros dégueulasse nous bite ? »

« — Pourquoi nous biterait-il ? Que veux-tu qu’il fasse d’Apollon-Jules ? »

« — Et tu croives qu’le Lambert qui vient d’récupérer sa gosseline, va la rapporter à Sac-à-Merde ? »

« — Je ne vois pas d’autre alternative, Gros. »

Son regard est devenu flamboyant comme dans la lumière la gelée de groseille.

« — Ah ! tu voyes pas d’autre alternateur ? Ben moi si ! Si tu voudrais avoir la bonté de m’attriquer un peu de flouze pour mes déplaceries, je jouererais ma partie en solo, ce qui n’en s’ra que mieux ! Chacun sa gagne. Toi, tu prends l’ch’min des aiguilles, moi çui des épingles. »

Je lui ai remis une liasse de talbins et il est parti, sans un mot, d’une démarche presque militaire. On eût dit qu’il venait de signer la capitulation allemande dans le wagon de Rethondes.

Après cette évocation éclair de la scène de la Mamounia, mon regard se concentre sur Berthe.

— Vos hommes, ils sont au Maroc, Berthy. Invités par un riche homme d’affaires du golfe Persique auquel nous avons rendu quelques menus services.

— Au Maroc ! tonne la Baleine. Au Maroc tandis qu’j’m’échinais à aider c’pauv’Alfred, à Montbéliard ! Alors là, il y a une pointe d’abus ! Au Maroc ! av’c not’enfant délicat, dont j’parie qu’il lui fait bouffer du couscous au lieu de Blédine, tel qu’j’le connais, Alexandre-Benoît ! C’est criminel, si vous voudrez qu’j’vous dise.

— Maintenant, parlez-moi de Pinaud !

Elle se calme. Un sourire indéfinissable lui vient.

— Ça restera ent’ nous, Antoine ?

— Vous le savez bien.

— Alors, figurez-vous qu’l’aut’ nuit, quand v’s’êtes venu ici av’c mes hommes, me laissant seulette dans la bagnole en compagnie de Pinuche, l’vieux s’est réveillé en cerceau. Etait-ce-t-il un effet de l’alcool ? toujours est-ce qu’il triquait comme un loup, l’Ancêtre. Il en r’venait pas d’une chopine pareille, et moi non plus. Ça f’sait trente-deux ans qui n’lui était pas poussé une telle aubergine sous l’bide ! Ça y f’sait gicler ses boutons d’braguette. L’événement, quoi ! Il en chialait d’émerveillance, César. Y m’disait : « Mais je vais en faire quoi, Berthe ? On ne peut pas laisser perdre une érection aussi folle ! » Et franch’ment, Antoine, on n’pouvait pas. C’tait ses feux d’la Saint-Jean, cet homme. Son champ du Cygne ! L’abandonner av’c un pareil monument classé, ce fût été inhumain. Une insulte à la nature. J’sais pas si vous imaginez, un mandrin comme ça, mon cher Sana ? Or, vous l’savez, polisson tel que je vous connais : juste au coin d’la rue, y a l’Hôtel de Prague et du Printemps Réunis. On y a foncé. Qui m’aurait dit qu’un jour j’eusse épongé l’Ancêtre, j’me serais marrée ! Mais dans c’cas, c’tait comme qui dirait d’l’insistance à personne en danger. N’importe qui à ma place : la comtesse de Paris, Mme Thatcher, Mme Reagan en auraient fait autant. Et puis, je tiens à vous l’rappeler : Pinaud, c’est l’parrain d’mon enfant, ce qui crée des obligations. En deux coups les gros, il me grimpait, le Vieux Fossile. Et v’savez qu’il est encore nerveux du coup de reins, l’animal ! Un vrai saint-cyrien ! Il m’a brossée en levrette, Antoine. Ç’a été mené rond’ment ! Qu’à peine fini, poum ! y s’est écroulé su’l’flanc, le beau mâle ! Qu’alors il s’est mis à ressembler juste à c’qu’il est en réalité : un petit vieux pas propr’, tout flapi. Y v’nait d’jeter sa gourmette pour la dernière fois ! Toutes ses forces bien ultimes. J’ai senti qu’c’était sa r’présentation d’adieu ! Son testament, une pareille troussée d’Cosaque, Antoine. Doré de l’avant, y n’aura plus qu’un p’tit escargot r’croquevillé dans son bénouze, le César. Oh ! y s’en souviendra, Pépère de sa dernière ramonée : av’c moi et pou’l’baptême d’Apollon-Jules ! Sa grande découillée d’automne, qu’après laquelle, il pouvait s’enfoncer dans l’hiver. Y l’avait tiré son feu d’artifice. La manière dont il en écrasait, fallait pas songer à l’réveiller. J’vous parille qu’y pionce encore ! C’tait de la dorme en bronze. D’ailleurs, j’ai prévenu à l’hôtel qu’on devait l’laisser roupiller jusqu’à société. Si vous s’riez t’inquiet, allez voir, mais s’lon moi, il dort toujours. Et après une bitée d’ce calibre, ça peut durer encore des jours. Il est en hivernance, vous comprenez-t-il, Antoine ? Comme les marmottes, j’saurais pas mieux dire. Faudra p’t’êt’attend’ les beaux jours pour qu’y rouv’ les châsses, César. Mais, tout ça, j’pouvais pas en faire état d’vant sa femme. C’t’une personne trop rigide, trop liquoriste sur les principes ; le cul pincé, l’esprit étroit, et qui pig’ra jamais rien à la vie.