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Ça c’est le seau de gadoue en pleine poire ! En avançant ce nom je lui fais piger qu’on vient de récupérer le chiare.

Moi, jouissant de sa stupeur, je me gondole comme un disque trente centimètres oublié sur la plage arrière d’une bagnole stationnée sur la grand-place du Sahara.

— Si vous voulez en avoir le cœur net, essayez de téléphoner chez votre copain : personne ne vous répondra, car tout le monde est ligoté à la cave. Quant au môme, ne vous faites surtout pas de souci pour lui ; nous l’avons placé en lieu sûr. Avons-nous autre chose à nous dire ?

Il respire un grand coup, ce qui soulève quatre-vingts kilogrammes de bidoche pas comestible sur sa personne.

Et puis le tout retombe avec un bruit flasque.

— Ne vous faites pas d’illusions, je retrouverai Alice car elle me reviendra spontanément, à moins que vous ne la teniez enfermée. J’habite son esprit, ne le comprenez-vous pas ? Tôt ou tard elle vous échappera pour accourir vers moi !

Il pointe le finger sur Béru.

— Quant à toi, pourceau qui m’a infligé l’injure suprême en vidant ton infâme vessie sur mon visage, sache que tu n’élèveras jamais ton ridicule avorton.

Il se met à glapir en arabe. L’un de ses gardes du corps s’éclipse en courant.

— Tu te crois le plus fort parce que tu as su le retrouver, mais ne te réjouis pas, raclure de pus, cette triste chose sera morte dans un instant !

Son sbire revient tenant une boîte grise munie de boutons rouges et blancs, assez semblable à un contacteur à distance de téléviseur.

— Dans les vêtements de cette petite charognerie, dans la tétine qu’elle suce stupidement, dans le ridicule médaillon accroché à son cou, dans les semelles de ses chaussures, a été introduit un explosif si puissant qu’il ne restera, quand il aura agi, qu’une tache de ton rejeton, crétin ! Il me suffit, tu vois, d’enfoncer cette touche rouge pour que l’enfant explose. La chair de ta chair va partir en lambeaux, que dis-je : en postillons !

Son énorme index boudiné volplane au-dessus du bouton fatal.

— Tu n’as pas eu le temps de l’emmener très loin, et ce merveilleux produit, d’invention japonaise, peut être commandé dans un rayon d’action de cent kilomètres !

Béru hausse les épaules.

— Si tu croyes qu’j’vais couper dans tes sonnettes, vieux cachalot, tu m’prends pou’ un enfant d’Marie.

— Tu l’auras voulu ! hurle alors Kazaldi, fou de rage.

Il enfonce la touche et…

 nous nous retrouvons plaqués sur le tapis, Béru et moi, couverts d’ecchymoses gervaises, de sang, de plâtras, de merde, de caviar.

A l’endroit où se tenait le pachyderme, il y a un étalage de tripes et de viandasse fumantes. Ah ! si, voilà une bonne moitié de sa tronche, bon gu ! La zone supérieure à partir des sourcils. Le reste est parti en sucette. Il a dérouillé total, l’obèse. Chair à pâté (et donc à pater s’il était catholique). Le grand jeu ! Faudra ramasser tout ça à la pelle pour le foutre dans un cercueil, ou avec un grand buvard. Préparez vos serpillières !

On se relève. Avisant les restes du monstre, Béru balance une gerbe. Son petit déje qui choisit la liberté, à savoir : des œufs aux truffes, des saucisses, du poisson frit, des steaks, des pommes frites. Ça ajoute au désordre comme tu peux pas savoir.

On se casse en force, sans que les deux sbires, beaucoup plus endommagés que nous, fassent un geste pour nous en empêcher. Ils ont des trous partout, et des lambeaux de viande, et du sang… Alouette ! Gentille alouette…

Un grand calme ma bite, comme disait ce comédien qui jouait le violeur de bergères dans un film porno franco-bulgare.

La sensation du devoir accompli, malgré ce mort effroyable que nous abandonnons sur le carreau.

L’histoire pourrait se tituler L’assassin assassiné, manière de parodier L’arroseur à rosette. En voulant tuer un innocent, par hideuse et très effroyable vengeance, il se tue lui-même ! Moral, non ?

— T’as des dons, fais-je au Mammouth, en claquant la portière de sa chignole. La manière dont tu lui as filé ses propres explosifs dans le burnous, lorsque tu l’as alpagué, c’était du grand art. Tu sais que je te surveillais et cependant je n’ai rien vu !

Satisfait, le Gravos rigole :

— Je pourrais faire pisse-poquette, si un jour j’me retrouve sans un. Note qu’il est plus fastoche de mett’ dans la vague des aut’ qu’d’retirer.

— J’ai eu une suée lorsqu’il s’est mis à énumérer les différentes manières dont il avait piégé Apollon-Jules.

— Biscotte ?

— Parce que j’ai craint qu’une partie de l’explosif n’ait échappé à ta recherche.

— Tu charreries ou quoi-ce ? J’ai foutu complèt’ment à loilpé, mon fils. Et j’y ai même carré l’doigt dans l’fion pour m’assurer.

— Qu’est-ce qui t’a fait découvrir cette odieuse manœuvre ?

Il caresse le tubercule qui lui sert à respirer et à soutenir ses lunettes de soleil lorsque, d’aventure, il en porte.

— Mon pif, mec. T’l’sais : j’ai toujours eu un odorat d’force 5 su’l’échelle de Bretecher. Donc, j’ai pas d’mérite. Son explosif a une odeur bizarre. Y r’nifle comme qui dirait le caoutchouc brûlé et la merde d’chat. C’t’à cause que j’m’ai mis à dessaper mon lardon. J’me disais : c’chérubin aurait-il bédolé dans son pampers ? Pourtant, non. Mais c’t’odeur continuait. La tétine surtout, de même qu’ses petits souliers mignons (y n’chausse que du 31, le biquet). En les egzaminant de près, j’m’ai aperçu qu’ils avaient été démontés et recousus. D’dans, j’ai trouvé la drogue qu’j’te cause. Et dans son médaillon d’la Sainte Vierge idem, plus un mignard détonateur, gros comme une tronche d’éping’.

« J’étais un père plexe, tout c’qu’a d’plexe. Ça me travaillait l’cur ch’velu, c’t’trouvaille. Alors j’me fends d’un coup d’turlu à Mathias. L’Rouqu’moute, tu l’ignores point, c’est l’génie du cercle dans son genre. Il m’écoute. Il réfléchit. Il répète : « Caoutchouc brûlé, merde de chat… » Y m’demande : « C’est d’un brun violacé ? » « Mouais », j’lu réponds. Alors, y m’fait comme ça : « Faites un teste : recueillez-en un peu à la pointe d’une aiguille, mais très peu ; aiguille que vous piquez au bout d’un bâton. Ensuite présentez-la à la flamme d’une bougie. » J’ai suivi ses r’commandances. Mon pauv’ vieux, t’aurais entendu c’te conflagration ! Pourtant, y en avait pas plus gros qu’une virgule… »

Nous redescendons vers la mer entre des villas silencieuses. Il fait un temps sublime. Les bananiers sont en fleur.

Béru donne du poing sur le volant.

— T’t’rends compte que cette ordure de mec allait m’bousiller mon héritier après qu’on lui eusse amené la môme Alice ?

— Tu lui avais pissé sur la gueule, rappelé-je. Un Arbi ne peut pardonner une telle affaire.

Dans les films d’épouvante, quand le vampire est mort selon le cérémonial prévu, l’héroïne qu’il a mordue au cou échappe à la vampirisation.

Lorsque nous débarquons au Puento Romano, tenant un Apollon-Jules vociférant dans nos bras (on se relaie car il est lourd comme une vache, le petit gueux), nous trouvons Alice et son père enlacés. Image noble et sereine. Superbe ! « Le cœur d’un père est une œuvre d’art », a écrit l’abbé Prévost qui savait de quoi il causait.

Lambert nous lance des éblouissements de bonheur. Il se dégage de l’étreinte de sa fillasse et vient à moi.

— C’est à n’y rien comprendre, murmure-t-il. Elle me parlait du gros vilain, me suppliant de la conduire à lui. Et puis, voici une demi-heure environ, elle a eu un sursaut, a poussé un cri et elle est devenue très pâle. J’ai cru qu’elle prenait un malaise. Alors elle s’est blottie contre moi en criant « Papa, papa ! Quel bonheur de te retrouver ! Je t’aime, ne me quitte plus, jamais plus ! »