On reste là, debout, haletants, empêtrés, vidés de nos intimes secrets et pleins de nos sécrétions plus intimes encore, les tempes battantes, la chevelure trempée de sueur. Etourdis, éblouis, fiers de nous.
Quand on finit par se désunir c’est à cause de Maria, la bonne portugaise à poils longs qui frappe à la porte. Le rideau tombe sur notre final.
— Qu’est-ce que c’est ? demande Maryse (car tel est son prénom).
— Cé lé mosieur masseur dé la Madame ! annonce la valetonne.
— Je vais le recevoir.
On se contemple en souriant. Je lui roule la pelle de la reconnaissance infinie.
— Tu es comblante ! lui dis-je.
— Tu m’as comblée, rétroque-t-elle.
Elle ajoute :
— Tu as mon téléphone privé ?
— Pas encore.
Elle trottine à sa coiffeuse et prend dans un tiroir une petite carte bleue qu’elle glisse dans ma poche.
— Quand tu voudras, où tu voudras.
— Merci, je fais-je, ému.
Et bon, je vais me filer un petit ravalage express de la grosse bitoune, lui rendre l’éclat du neuf pour qu’elle redevienne opérationnelle.
Avant de m’extrader, je lui demande :
— Dis voir, ma Merveille, Alain Lambert, quel genre d’homme est-ce ?
Elle sourit.
— Un type bien : intelligent, efficace, homme du monde, homme d’affaires, bon père. Il n’a pour l’instant qu’un seul défaut : sa maîtresse.
— Belle Isabelle ?
— Ah ! tu es déjà au courant ?
— Ben : flic, non ? Que reproches-tu à la dame ?
— D’être tordue et de perturber la vie d’Alain.
— Tu es jalouse ? perspicacé-je.
Elle rougit.
— Pas le moins du monde ; Lambert n’est qu’une relation amicale.
Ment-elle ? Après tout, c’est son affaire. S’il fallait éclairer le passé des dames qu’on baise, on devrait acheter un groupe électrogène avec une tripotée de projos.
— Tu vas aller voir cette houri ? demande Mme Marate.
— Naturellement.
— Alors, c’est maintenant que je vais être jalouse.
— A cause ?
— Elle risque de t’intéresser car c’est un personnage et, tel que je crois te deviner, tu raffoles des personnages. Sois prudent.
Elle me drive jusqu’au hall. La soubrette court délourder et me voici reparti pour de nouvelles aventures, kif le Grand Meaulnes à la fin du book.
C’est « petite abeille », Antoine. Lesté de pollen. J’ai appris des choses intéressantes, j’en ai fait de merveilleuses. Une grande joie des sens me donne confiance en l’avenir.
Un peu de soleil essaie de dire son mot dans l’harmonie universelle. N’apercevant pas de bahut à l’horizon, je décide de m’armer de courage et d’aller prendre le métro.
Chez Belle Isabelle, j’ai compté : la boutique mesure six mètres sur quatre. On y vend des toilettes d’avant-garde auxquelles tu ne commences à t’habituer qu’au bout de plusieurs mois, c’est-à-dire lorsqu’elles sont passées de mode. Chacune de ces guenilles vaut le prix du caviar et ça se bigorne pour les acheter comme s’il s’agissait de soldes avant travaux.
Une ravissante, mystérieuse et impressionnante créature est assise derrière un exquis bureau Mazarin, en train de lire Vogue (pas le bureau, la créature). Très blonde, sans doute grande, porteuse d’une de ses fripes, le maquillage dans les tonalités parme, le cou interminable, les cheveux coupés à la bagnarde, la belle donzelle ne passe pas inaperçue.
Elle manque peut-être un peu d’artillerie lourde sur le devant, il n’empêche qu’elle est autrement comestible que la Mère Denis et je comprends parfaitement qu’Alain Lambert en soit amoureux. Seulement, comme je viens juste de donner à la Croix-Rouge, c’est en toute sérénité glandulaire que je pénètre dans son estanco.
— Madame de Broutemiche ? je hasarde.
— En effet, monsieur le commissaire, répond la superbe en moulant son mensuel.
— Vous me connaissez ? éberlué-je.
— Non, mais Alain vient de m’annoncer votre visite. Comme en dehors du facteur et des livreurs, il est rarissime qu’un homme seul se risque dans ma boutique…
Elle rit féroce. C’est vrai qu’elle paraît un peu bizarre, cette chérie. Quelque chose d’inhumain m’incommode chez elle. Un éclat de déraison dans ses prunelles. Une sorte de vanité sauvage, d’orgueil interplanétaire. Pour elle, la base de sa philosophie, c’est « moi et Dieu ».
— Je pensais bien que la police commencerait par s’intéresser à moi, lorsqu’elle entrerait en action, poursuit l’incommodante personne. Vous pensez : la maîtresse du père dont on a kidnappé l’enfant, quel os à ronger, d’entrée de jeu ! Eh bien non, mon cher commissaire : je ne trempe pas dans cette histoire, bien que je l’aie pratiquement prévue et annoncée à Alain.
Cette affirmation insolite me fait sortir de mes gongs, voire même de mes gonds.
— Qu’entendez-vous par « l’avoir prévue » ?
— Le thème astral d’Alice. Son trigone autobloquant avait une connexion foirinante avec Vénus dans une parabole de déviation par rapport à Mars, conclusion : « elle allait vivre un événement qui devait changer fondamentalement son destin. » Sa résidence lunaire allait s’impliquer dans le trémulseur endémique de Jupiter, mon cher. Dès lors, inexorablement, le grand chambardement devait s’accomplir. Tout cela je l’ai dit et seriné à Alain. Mais il est sceptique. Ne croit ni en Dieu ni au diable et encore moins à l’astrologie. Vous pensez : Capricorne ascendance Taureau !
Bien ce que je pensais : un tantisoit givrée, la de Broutemiche. Qu’est-ce que ça peut bien donner au pieu, une nière tellement ensuquée par ses giries astrales ? Pas grand-chose. Il trouve son fade comment, Lambert de nos Mignonnes Burnes quand il escalade ce brancard ? En moins de jouge, j’inverse les réacteurs de mon appréciation. En entrant et en matant sa géographie, j’ai cru que le papa d’Alice devait reluire comme un fou avec médéme. Mais il a suffi qu’elle me balance trois répliques pour que je pense pis que le contraire.
— Vous, vous êtes Cancer, n’est-ce pas, commissaire ?
— Effectivement.
— Ascendance ?
— Sagittaire.
— Votre date de naissance ?
— Je ne suis pas venu ici pour me faire tirer les cartes, madame.
Elle bondit.
— Non mais, vous n’allez pas m’assimiler à une cartomancienne, à une diseuse de bonne aventure ! L’astrologie est une science reconnue et qui…
— Si vous donnez une conférence sur le sujet, envoyez-moi un carton, je ferai l’impossible pour y assister. Mais, le temps presse, madame : une jeune fille a été enlevée et j’ai pour mission de la retrouver. Alors veuillez, je vous prie, répondre à mes questions de la façon la moins astrale possible.
Mon ton, mon expression, lui clouent le bec. Elle décide de me haïr silencieusement. Ses deux lance-flammes continuent de se promener sur mon visage photogénique. Elle est en train de me mijoter un horoscope pas piqueté des charançons, je prévois. Du gratiné, calamiteux de partout, avec des turbulences planétaires à en chier dans son froc. Bon, je laisse passer. Mon destin ne concerne que Dieu et moi. Nous nous en chargeons, Lui et ma pomme. On s’est déjà réparti le boulot : je crois en Lui et Il croit en moi. Ça s’appelle un divine agreement.
Très flic, j’entreprends l’interrogatoire de « Belle Isabelle ». Ça donne un peu moins que pas grand-chose, Ce qu’il ressort de l’entretien, c’est que les proches de Lambert, à savoir sa fille et ses amis, ne doivent pas vénérer la nière Broutemiche car, selon ses déclarations, elle ne les fréquentait pas. Sa liaison avec Alain se résume à quelques rendez-vous tendres deux ou trois soirs par semaine. Je crois comprendre que c’est l’industriel qui a financé l’achat de la boutique de fripes. Au début, comme elle est vexée, elle se montre réticente, mais la jacte vient en parlant et la voilà qui repart bille en tête sur son dada. Bientôt, elle m’interrompt pour m’annoncer que Cancer ascendance Sagittaire, c’est pas mauvais, mais qu’hélas je tombe pile dans je ne sais quelle merderie constellaire qui va me faire baver des bielles de locomotive avant longtemps. D’abord, faut que je m’attende à partir en voyage imminemment. Et ce sera pas une croisière d’agrément, elle me prédit. Tant pis pour moi puisque je lui refuse ma date et mon heure de naissance, elle aurait pu m’en dire davantage et me fignoler un plan anti-scoumoune pour me dépêtrer du mauvais sort, le rendre plus supportable. Puisque j’obstine, je devrai me débrouiller tout seul, faire face à l’adversité comme je pourrai. Elle s’en lave les mains, les pieds, la chatte, plus les yeux (à l’Optrex).