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Pour tout ce qui est plus dur que le beurre;

Et pourtant vous avez mangé l’oie, avec le bec et les os…

Je vous en prie, comment avez-vous réussi à faire cela?»

«Dans ma jeunesse, dit le Père, je faisais dans le Droit,

Et argumentais toutes les choses de la vie, avec ma femme;

La force musculaire que ma mâchoire a ainsi acquise,

A duré toute ma vie.»

«Vous êtes vieux, dit le jeune, et nul ne pourrait supposer

Que votre vue est aussi bonne que dans le temps;

Sur le bout de votre nez, pourtant, vous tenez en équilibre une anguille…

Qu’est ce qui vous a fait si habile?»

«J’ai répondu à trois questions, et cela suffit,

Dit le père; ne te donnes pas des airs!

Penses-tu que je peux écouter chaque jour de telles bêtises?

Files! Ou je te fais descendre les escaliers avec mon pied!»

«Cela n’est pas du tout cela», fit observer la Chenille.

«Pas tout à fait cela, j’en ai bien peur, dit Alice timidement. Il y a quelques mots qui ont été changés».

«C’est faux du début à la fin», affirma la Chenille d’un ton sans réplique, et il y eut quelques minutes de silence.

La Chenille fut la première à reprendre.

«Quelle taille veux-tu avoir?»

«Oh! je ne suis pas particulièrement difficile pour ce qui est de la taille, répondit vivement Alice. Ce que je n’aime pas, c’est d’en changer si souvent, voyez-vous»

«Non, je ne vois pas», répondit la Chenille.

Alice garda le silence: de toute sa vie, jamais elle n’avait été contredite tant de fois, et elle sentait qu’elle allait perdre son sang-froid.

«Es-tu satisfaite de ta taille actuelle?» demanda la Chenille.

«Ma foi, si vous n’y voyiez pas d’inconvénient, j’aimerais bien être un tout petit peu plus grande; huit centimètres de haut, c’est vraiment une bien piètre taille.»

«Moi, je trouve que c’est une très bonne taille!» répliqua la Chenille d’un ton furieux, en se dressant de toute sa hauteur (elle mesurait exactement huit centimètres.).

«Mais, moi, je n’y suis pas habituée!» dit Alice d’une voix pitoyable, afin de s’excuser. Et elle pensa: «Je voudrais bien que toutes ces créatures ne se vexent pas si facilement!»

«Tu t’y habitueras à la longue», affirma la Chenille; après quoi, elle porta le narguilé à sa bouche et se remit à fumer.

Cette fois Alice attendit patiemment qu’il lui plût de reprendre la parole. Au bout d’une ou deux minutes, la Chenille retira le narguilé de sa bouche, bâilla une ou deux fois, et se secoua. Puis, elle descendit du champignon et s’éloigna dans l’herbe en rampant, après avoir prononcé ces simples mots en guise d’adieu: «Un côté te fera grandir, l’autre côté te fera rapetisser.»

«Un côté de quoi? L’autre côté de quoi?» pensa Alice.

«Du champignon», dit la Chenille, exactement comme si Alice eût posé ses questions à haute voix; après quoi, elle disparut.

Alice regarda pensivement le champignon pendant une bonne minute, en essayant de distinguer où se trouvaient les deux côtés; mais, comme il était parfaitement rond, le problème lui parut bien difficile à résoudre. Néanmoins, elle finit par étendre les deux bras autour du champignon aussi loin qu’elle le put, et en détacha du bord, un morceau de chaque main.

«Et maintenant, lequel des deux est le bon?» se dit-elle en grignotant un petit bout du morceau qu’elle tenait dans sa main droite, pour voir l’effet produit; l’instant d’après, elle ressentit un coup violent sous le menton: il venait de heurter son pied!

Terrifiée par ce changement particulièrement soudain, elle comprit qu’il n’y avait pas de temps à perdre, car elle rapetissait rapidement; aussi, elle entreprit de manger un peu de l’autre morceau. Son menton était tellement comprimé contre son pied qu’elle avait à peine assez de place pour ouvrir la bouche; mais elle finit par y arriver et parvint à avaler un fragment du morceau qu’elle tenait dans sa main gauche.

«Enfin! ma tête est dégagée!» s’exclama-t-elle d’un ton ravi; mais, presque aussitôt, son ravissement se transforma en vive inquiétude lorsqu’elle s’aperçut qu’elle ne retrouvait nulle part ses épaules: tout ce qu’elle pouvait voir en regardant vers le bas, c’était un cou d’une longueur démesurée, qui semblait se dresser comme une tige, au-dessus d’un océan de feuilles vertes, bien loin au-dessous d’elle.

«Qu’est-ce que c’est que toute cette verdure? poursuivit Alice. Et où donc sont passées mes épaules? Oh! mes pauvres mains, comment se fait-il que je ne puisse pas vous voir?» Elle les remuait tout en parlant, mais sans obtenir d’autre résultat que d’agiter légèrement les feuillages lointains.

Comme elle semblait n’avoir aucune chance de pouvoir porter ses mains à sa tête, elle essaya d’amener sa tête jusqu’à elles, et elle fut enchantée de découvrir que son cou se tordait aisément dans toutes les directions, comme un serpent. Elle venait juste de réussir à le courber vers le sol en décrivant un gracieux zigzag, et elle s’apprêtait à plonger au milieu des feuillages, dont elle découvrait qu’ils n’étaient autres que les cimes des arbres sous lesquels elle s’était promenée quelque temps plus tôt, lorsqu’un sifflement aigu la fit reculer en toute hâte: un gros pigeon s’était jeté de plein fouet sur son visage, et la frappait violemment de ses ailes.

«Serpent [7]!» criait le Pigeon.

«Mais je ne suis pas un serpent! riposta Alice d’un ton indigné. Laissez-moi donc tranquille!»

«Serpent, je le répète!» continua le Pigeon d’une voix plus calme. Puis il ajouta, avec une sorte de sanglot: «J’ai tout essayé, mais rien ne semble les satisfaire!»

«Je ne comprends pas du tout de quoi vous parlez», dit Alice.

«J’ai essayé les racines d’arbres, j’ai essayé les talus, j’ai essayé les haies, continua le Pigeon, sans prêter attention à elle. Mais ces serpents! Impossible de les satisfaire!»

Alice était de plus en plus intriguée; cependant elle pensa qu’il était inutile de prononcer un mot de plus avant que le Pigeon eût fini de parler.

«Comme si je n’avais pas assez de mal à couver les œufs, poursuivit-il; il faut encore que je reste nuit et jour sur le qui-vive à cause de ces serpents! Ma parole, voilà trois semaines que je n’ai pas fermé l’œil une seule seconde!»

«Je suis navrée que vous ayez des ennuis», dit Alice qui commençait à comprendre.

«Et juste au moment où j’avais pris l’arbre le plus haut du bois, continua le Pigeon, dont la voix monta jusqu’à devenir un cri aigu, juste au moment où je croyais être enfin débarrassé d’eux, voilà qu’ils descendent du ciel en se tortillant! Pouah! Sale serpent!»

«Mais je vous répète que je ne suis pas un serpent! Je suis… je suis…»

«Eh bien! Dites-moi ce que vous êtes! dit le Pigeon. Je vois bien que vous essayez d’inventer quelque chose!»

«Je… je suis une petite fille», dit Alice d’une voix hésitante, car elle se rappelait tous les changements qu’elle avait subis ce jour-là.