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Ensuite il la vint prendre avec son ami, et tu sais tout le reste. Nous attendons des nouvelles de nos négociations de Paris, et je ne t'écrirai plus que nous ne les ayons.

DEUXIÈME PARTIE

Nam veluti pueris absinthia tetra medentes,

Cum dare conantur prius oras pocula circum

Contingunt mellis dulci flavoque liquore,

Ut puerum aetas improvida ludificetur

Labrorum tenus; interea perpotet amarum

Absinthy lathicem deceptaque non capiatur,

Sed potius tali tacta recreata valescat.

Luc. Lib. 4.

LETTRE XIX.

VALCOUR A DÉTERVILLE,

Paris, ce 8 septembre.

L'évènement singulier dont tu viens de me faire part, prenant, dans tes récits, la forme d'un journal, j'ai cru devoir le laisser finir, pour que ma lettre répondit à toutes les tiennes.

Oh mon ami! quelle a été ma surprise, et quelles ont été mes combinaisons! Il me paraît certain que les noms de Delcour et de Mirville, en déguisent pour nous de plus intéressans, et c'est dans cette supposition que je désapprouve la plainte. Madame de Blamont a affaire à un mari aussi adroit que corrompu; si jamais il découvre cette plainte, peut-être s'autorisera-t-il de la démarche, pour publier que sa femme veut le perdre, et qu'elle a controuvé toute l'histoire, afin de lui chercher des torts assez puissans pour le priver de l'autorité qu'il a sur sa fille; et dès ce moment, au lieu de nous être donné des armes contre lui, nous lui en avons fourni contre nous. Cette plainte d'ailleurs ne servait en rien au dédommagement dû à Sophie; la générosité de madame de Blamont y pourvoyait d'une manière assez noble; d'après cela, tout air de procédure n'est-il pas déplacé, et ne peut-il pas devenir dangereux? ignores-tu, mon ami, l'art avec lequel les scélérats dirigent sur les autres, ce qu'on a le dessein de faire contre eux? et surtout ces espèces de coquins enjuponnés, qui, munis, pour leur argent, d'une autorité légale ou non, ne se croyent jamais si bien en droit d'en user, que quand il s'agit de servir leurs passions… Dieu veuille que je me trompe! J'ai été bien touché de la conduite de madame de Blamont: toutes les vertus habitent dans le coeur de cette respectable mère, et sa plus douce façon de jouir est de rendre heureux tout ce qui l'entoure.

Je suis inquiet de la santé d'Aline, je te la recommande, mon ami, permets-moi de remettre un moment tous les soins de l'amour dans les tendres mains de l'amitié.

Pour éviter les rencontres et pour mieux suivre tes conseils, depuis huit jours, je ne sors plus; j'observerai la même circonspection jusqu'au dénouement de tout ceci… Mais quelle privation pour moi de ne pouvoir aller rendre hommage aux sublimes procédés de madame de Blamont, de ne pouvoir tomber à ses pieds avec Aline, de ne pouvoir l'accabler avec cette fille charmante de toutes les louanges qui lui sont si bien dues; peins lui du moins les expressions de mon âme: je crains pour toutes deux les soins, les embarras de cet événement; engage les à se reposer, au moins pendant le calme que tout ceci va vous laisser, et n'allez plus si tard courir les aventures. Peut-être n'en arriveraient-ils pas à madame de Blamont d'aussi agréables que celle-ci, je dis agréables puisqu'elle a développé pour elle une de ces occasions de faire du bien, toujours si recherchée de son coeur.

Oh mon ami! où nous entraîne l'ivresse des passions; ah! si lorsqu'on commence à leur tout céder; si, lorsqu'on fait le premier pas dans leur dangereuse carrière, on pouvait sentir avec quelle rapidité vont se franchir les seconds, et quel abyme est ouvert au dernier! si l'on voyait l'imperceptible filiation de nos erreurs, comme toutes s'enchaînent, comme toutes naissent les unes des autres, comme la rupture du plus petit frein, conduit bientôt au brisement du plus sacré! quel est l'homme qui ne frémirait pas? quel est celui qui oserait se permettre le plus léger écart, quand il peut naître de cette première faute une habitude de tout vaincre, dont les dangers sont aussi manifestes. Je voudrais que tout les hommes eussent chez eux, au lieu de ces meubles de fantaisie, qui ne produisent pas une seule idée, je voudrais, dis-je, qu'ils eussent un espèce d'arbre en relief, sur chaque branche duquel, serait écrit le nom d'un vice, en observant de commencer par le plus mince travers, et arrivant ainsi par gradation jusqu'au crime né de l'oubli de ses premiers devoirs: un tel tableau moral n'aurait-il pas son utilité? et ne vaudrait-il pas bien un Ténières, ou un Rubens? Adieu, ne me fais pas attendre la fin de cette aventure; trop de sentimens de mon âme y sont intéressés, pour que je n'en désire pas le dénouement avec ardeur.

LETTRE XX.

Valcour à Aline.

Paris, ce 8 septembre.

Que j'aurais désire encore un mot d'Aline, dans cette dernière lettre de mon ami; s'il m'en coûte pour être séparé de vous dans tous les tems, combien cette absence ne devient-elle pas plus cruelle, quand elle me prive du spectacle de votre âme exerçant des vertus. Les procédés de votre adorable mère m'ont fait verser des larmes… Ah! combien sont douces celles que la pitié fait répandre. Je crains fort que cette petite malheureuse, au sort de laquelle il est impossible de ne pas s'intéresser, ne vous tienne par des liens plus étroits qu'on ne l'imagine; votre tendresse en redoublera, je vous connais; mais que ces soins ne prennent pas sur votre santé, je vous en conjure, Aline, songez que vous vous devez à l'amant le plus passionné, et qui regarde comme une faveur les soins que vous accordés à votre conservation; ne me refusez pas au moins celle-là, puisque celle de vous voir m'est enlevée… vous voir! Aline… Ah! comme ce désir est impérieux en moi, quand une vertu de plus vient vous rendre encore plus digne d'être révérée… Elle vous aime cette Sophie… eh! qui pourrait tenir à l'empire universel que vous exercez sur les coeurs? Le besoin de vous adorer se fait sentir dès qu'on vous voit, et il faut cesser d'être, ou céder au culte qui vous est dû; il n'y a donc que moi qui suis privé de vous le rendre… moi qui oserais m'en croire si digne! si l'encens s'appréciait à la délicatesse du coeur qui veut l'offrir. Il me semble que je vois Aline… ses belles joues mouillées de larmes, aidant les pas de sa mère effrayée, et tenant près de son sein ce petit être, dont les cris déchirans pénètrent son âme et l'attendrissent… je la suis près du lit de Sophie, jalouse des soins que l'on a d'elle, désirant les lui donner tous, parce qu'elle a souffert… cette Sophie; parce qu'elle est malheureuse, et que la bonne et tendre Aline ne se satisfait réellement que par la bienfaisance… et je ne l'adorerais pas!… et, je n'idolâtrerais pas cette fille céleste, mille fois plus belle encore par ses vertus, que par ses attraits… Cette créature angélique qu'il semble que le ciel n'ait créée que pour être le charme de ses amis, le refuge de l'infortune, et les délices de son amant!… Ah! toutes les expressions sont trop faibles, aucunes ne rend ce que j'éprouve-effet cruel des passions trop violentes… Nature avare des dons que tu nous fais, pourquoi faut-il qu'en nous inspirant un sentiment aussi vif, tu nous prives de la faculté de l'exprimer, et que tout ce que nous essayons pour le peindre soit toujours au-dessous de lui.