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Ce n'était pas une petite besogne pour ma belle mère, et moi, de rompre à tout instant la conversation, et de la replacer dans les bornes de l'honnêteté, dont le président, plus que d'Olbourg encore, cherchait toujours à la sortir.

En se retirant, le président déclara à sa fille qu'elle eut à se trouver seule, le lendemain matin dans sa chambre, parce qu'il avait quelque chose à lui communiquer qui ne pouvait être entendu que de d'Olbourg. Les dames à cet ordre se sont réunies pour le combattre: en vérité, monsieur, a dit madame de Senneval, j'ai été mariée seize ans, et jamais mon mari n'a désiré de parler à ma fille sans moi; quelques liens qu'une fille ait avec des hommes, elle ne peut décemment les recevoir seule; dussiez-vous vous en fâcher, vous m'entendrez toujours vous dire, monsieur, que rien n'est plus malhonnête que l'ordre que vous donnez ici à votre fille, et qu'à la place de madame de Blamont je ne le souffrirais sûrement pas.-Depuis vingt ans, madame, a répondu le président avec aigreur, madame de Blamont fait ce que je veux; je prononce, et elle me satisfait; elle se sent aussi bien de cette condescendance, qu'elle se trouverait peut-être mal du procédé contraire. Je ne me suis jamais informé de ce que monsieur de Senneval faisait chez vous; trouvez bon, madame, que je prie sa respectable épouse de ne se mêler en rien de ce qui se passe chez moi. Madame de Senneval, qui, comme tu sais, n'est ni très-douce, ni très-endurante, a voulu répliquer; mais madame de Blamont prévoyant une scène, qu'elle voulait empêcher, a dit, en sonnant les gens pour qu'on vint éclairer: Aline vous entendez les ordres de votre père, attendez-le demain matin, levée dans votre chambre à l'heure où il lui plaira d'y passer.

Dès huit heures du matin, le 16, les deux amis se sont en effet présentés à la porte d'Aline; elle était levée; elle était vêtue: reconnaîtras-tu là, mon ami, la pudeur, la timidité de cette fille charmante?… elle ne s'était pas couchée… Hommes affreux! à quel point êtes vous devenus méprisables au sein même de votre propre famille; puisque la défiance que vous y inspirez cagage à de telles précautions!

Déjà levée, a dit monsieur de Blamont.-Vos ordres sont des loix pour moi.-Je vous demande pourquoi vous êtes déjà levée.-Ne m'aviez-vous pas dit que monsieur d'Olbourg? D'Olbourg.-Oh pour moi, mademoiselle, ce n'était en vérité pas la peine de vous gêner. M. de Blamont.-Il aurait tout autant aimé vous trouver au lit que debout, ne faudra-t-il pas qu'il vous y voie bientôt. Aline,-j'avais imaginé, mon père, que vous aviez quelque chose à me dire?-Comme elle est faite, a dit monsieur de Blamont, en embrassant de ses deux mains la taille d'Aline, as-tu jamais rien vu de pris comme cela? Comment! vous avez un corps à la campagne?-Je ne le quitte jamais.-Mais pour ce mouchoir, a poursuivi Blamont, en le faisant voler d'une main sur le lit, et captivant sa fille de l'autre, pour ce mouchoir, vous nous en ferez grâce.-Et Aline confuse et désolée, croisant ses mains sur sa poitrine: oh! mon père, est-ce donc là ce que vous avez à me dire?-Mademoiselle permettez, a dit d'Olbourg, en écartant une des mains, dont Aline cherchait à cacher ce que son père venait de découvrir,… permettez, monsieur votre père trouve bon que je regarde tout ceci comme mon bien, et il est assez judicieux pour ne vouloir pas conclure le marché que je n'aie reconnu s'il n'y a point de fraude… ces bagatelles là se voyent sans difficulté;… bon si c'était… mais pour cela… nous en voyons tant… O vous de qui je tiens la vie! s'est écriée Aline, en s'échappant avec rapidité, n'imaginez pas que mon respect et mon obéissance aillent jusqu'à trahir mon devoir, et puisque vous oubliez le votre à tel point, il m'est permis de ne plus entendre des sentimens que vous ne voulez plus mériter, et l'éclair est moins prompte à dévancer la foudre, que ne l'a été cette tendre et honnête créature à se jeter dans le cabinet de sa mère; elle y est arrivée en larmes; elle s'est précipitée sur les genoux de cette mère adorable; elle l'a conjurée de l'emmener au convent; elle lui a dit que le désespoir l'aveuglait, qu'elle ne répondait pas d'elle, et après quelques mots de consolation, madame de Blamont la laissant à Eugénie et à madame de Senneval, est venue trouver son mari.

Son rôle ici devenait d'autant plus difficile, qu'elle frémissait pour Sophie, elle n'avait point encore pris de parti décidé, quoiqu'elle pressentit bien l'objet du voyage; elle n'osait pourtant pas s'en informer, elle attendait que son époux s'expliqua le premier; sa timidité naturelle, les circonstances, tout l'obligeait à des ménagemens; elle se contint donc, et trouvant les deux amis confondus de la fuite soudaine d'Aline; elle demanda doucement à monsieur de Blamont ce qu'il avait donc fait à sa fille, pour l'avoir réduite aux larmes qu'elle répandait à grands flots? Blamont un peu confus de son côté, et ne croyant pas que ce fût encore là le moment de parler, sourit, plaisanta, et dit que sa fille s'était effrayée d'une très-innocente caresse que d'Olbourg avait voulu lui faire. Tout s'appaissa, Augustine qui vint avertir que le déjeûner était prêt, fit diversion, et le président pria sa femme de rassurer Aline, de lui dire qu'elle pouvait paraître et qu'elle n'éprouverait plus rien qui put la fâcher. Madame de Blamont se retira, et Augustine, qui arrangeait quelque chose, se retrouva par ce moyen tête-à-tête avec nos deux héros. Les détails de cette seconde scène n'ont pu venir à notre connaissance; mais les suites ne nous les ont que trop appris. Augustine éblouie par l'or, fut sans doute moins cruelle que la veille; ce qu'il y a de certain, c'est que ces messieurs ne parurent point au déjeûner, qu'on ne trouva plus Augustine de tout le jour, et qu'elle disparut le lendemain. Il y a des choses très-désagréables qui quelquefois deviennent heureuses dans les circonstances, cet événement-ci est du nombre; il calma du moins nos libertins, et tout le reste du jour fut tranquille.

Mais sitôt que le dix-sept au matin, on se fut apperçu du départ d'Augustine, l'inquiétude de madame de Blamont fut très-vive; elle pouvait avoir parlé de Sophie, quoique ce ne fut pas à elle que l'on l'eut confiée, elle savait de l'histoire tout ce qu'on n'en avait pu cacher dans la maison; n'en était-ce pas beaucoup trop, si elle avait été indiscrète? Dans cette affreuse perplexité, la présidente se décida donc à demander à son mari, ce qu'il avait pu faire de cette fille, et quelle était la cause de son évasion? Elle le piqua même un peu, pour découvrir s'il ne savait rien sur Sophie, mais les réponses de l'époux, en rassurant madame de Blamont sur ses craintes, la convainquirent que sa femme de chambre était débauchée, et que cette malheureuse allait attendre à Paris, les effets de la libéralité de ses séducteurs; et les nouvelles preuves de leur fantaisie pour elle.

Il y avait eu la veille, et toute une partie de ce jour, un très-grand embarras entre le père et la fille; celle-ci avait fort désiré de rester dans sa chambre; nous l'avions détourné de ce projet, elle avait paru comme à l'ordinaire, et en avait été quitte pour un peu de rougeur.

Dans cette journée du dix-sept, le président toujours très-empressé de se trouver seul avec Dolbourg et Aline, proposa une promenade dans le bois, que toute la compagnie dérangea, quand on eut vu que, par l'art avec lequel il avait distribué les courses et les voitures, Aline, au fond de la forêt, se trouvait entre ses deux persécuteurs. Voyant ses plans manqués, le président dit qu'il voulait aller courir le bois, seul avec son ami; ce dernier projet s'exécuta, et on ne les vit plus qu'à souper. Nous n'avions pas bougé du château, pendant cette absence, et je venais de réussir enfin, à déterminer madame de Blamont à rompre la glace; ce n'était pas sans peine, mais une explication devenait pourtant nécessaire; le président ne disant mot, pouvait avoir le projet sourd d'enlever sa fille, il ne fallait pas se contenter d'étudier sa conduite, il fallait observer ses desseins, je décidai donc un éclaircissement pour le lendemain sans faute, et je préparai tout, dans la vue de donner à la scène le pathétique que j'y supposais nécessaire, afin d'émouvoir, s'il était possible les ressorts de cette âme flétrie; il est temps de te détailler cet événement, qui se passa dans le second sallon, où existe à gauche un petit cabinet à écrire, dans lequel j'avais fait cacher Sophie prévenue. Le chocolat pris, on vint dans le sallon que je t'indique, et madame de Blamont débuta ainsi: convenez, monsieur, que vous me donneriez, si j'étais méchante, de bien justes sujets de me plaindre de vos procédés? M. de Blamont, en quoi donc? Madame de Blamont, que signifie cet enlèvement? L'asyle de votre famille ne devrait-il pas être respecté? M. de Blamont, eh bien! tu vois d'Olbourg, les semances que tu m'attires, je n'ai travaillé que pour toi, et me voilà grondé comme si j'étais le délinquant. M. Dolbourg, eussé-je osé me rendre coupable d'un tel genre d'offense, si tu ne le partageais pas? Madame de Blamont, oh! je suis fort consolée d'une telle perte; Madame de Senneval, le désordre des moeurs de cette créature doit vous laisser peu de regrets… Deux hommes mariés! M. de Blamont, le sacrement fait bien peu de chose à cela; je ne dis pas que, pris comme il le faut, il ne puisse embrâser quelquefois la tête, mais, en vérité, il ne la calme jamais; d'ailleurs, Dolbourg n'a plus de biens, c'est le plus heureux des hommes, il en est déjà à son troisième veuvage. Madame de Senneval, je croyais monsieur, marié. M. de Blamont, mais je me flatte que dans quatre jours, ce ne sera plus une présomption. Madame de Blamont, monsieur s'occupe donc de nouveaux noeuds? M. de Blamont, voilà une bonne ignorance, est-ce mystère? est-ce fausseté? Madame de Blamont, ce sera ce que vous voudrez, mais je ne connais rien de si simple que d'ignorer les desseins de gens qu'on voit à peine. M. de Blamont, la connaissance se fera, et quant à l'intérêt que vous y devez prendre, j'arrange difficilement que vous puissiez le déguiser, après ce que vous savez sur cela. Madame de Blamont, il y a des choses qui se disent cent fois, sans qu'on puisse les comprendre une seule. M. de Blamont, soit, mais quand elles se font, au moins on ne les ignore plus. Madame de Blamont, vous embrouillez, au lieu d'éclaircir, je voulais une solution, et vous me proposez une énigme. M. de Blamont, ah! parbleu, je suis prêt à vous donner le mot de celle-ci. Madame de Senneval, nous serons tous charmés de l'entendre. M. de Blamont, eh bien! c'est que je donne ma fille à monsieur, voilà tout le mystère. Aline, mon père, avez-vous résolu de me sacrifier ainsi? M. de Blamont, j'ai résolu de vous rendre heureuse, et je connais assez le caractère de monsieur, pour être sûr qu'il doit avoir tout ce qu'il faut pour y parvenir.