Madame de Blamont, mais dans une pareille cause, qui peut mieux juger qu'elle-même, si elle vous assure que malgré les qualités de monsieur, il lui est impossible de trouver le bonheur avec lui, quelle objection pourrez-vous faire alors? M; de Blamont, que ce qui ne vient pas un jour, arrive l'autre; il ne s'agit pas de savoir si ma fille doit se croire heureuse dans le mariage que je propose, il n'est seulement question que de se convaincre que l'homme que je lui destine a tout ce qu'il faut pour la rendre telle. Madame de Blamont, oh! monsieur, pouvez-vous raisonner ainsi? M. de Blamont, que voulez-vous que j'oppose à vos caprices, quand mon intention n'est pas d'y céder? Madame de Blamont, ne dites donc plus que vous voulez le bonheur de votre fille. M. de Blamont, à partir de l'état actuel de nos moeurs, une fille me fait rire, quand elle dit qu'elle craint de ne pas trouver le bonheur dans les noeuds de l'hymen, et qui la force de le chercher là? Un époux, de l'âge de mon ami, ne demande que quelques égard… quelques assiduités… quelques observances de pratique, et ces misères là remplies, si sa femme imagine pouvoir trouver mieux ailleurs… eh bien! il ferme les yeux; quel serait l'homme assez tyran, pour se scandaliser de voir chercher à sa femme un bien, qu'il est hors d'état de lui faire? Madame de Blamont, mais si les moeurs sont dépravées, croyez-vous que toutes les femmes le soient? M. de Blamont, cette dépravation n'est qu'idéale, le délit n'est relatif qu'au mari, il devient nul, dès que l'époux le tolère ou le nie; du moment qu'il ne s'oppose à rien, sous de certaines clauses purement physiques, quel peut être le crime de la femme?
Madame de Senneval, j'estimerais bien peu l'époux qui ferait avec moi de tels arrangemens. M. de Blamont, l'estime… l'estime, voilà encore un de ces sentimens chimériques qui ne s'arrange pas à ma philosophie, qu'est-ce que l'estime?… L'approbation des sots, accordée aux sectateurs de leurs petits vilains préjugés… tyranniquement refusée à l'homme de génie qui les fronde; dites-moi, je vous prie, comment vous voulez qu'on soit jaloux de mériter un tel sentiment? pour moi, je ne vous le cache pas, mais l'homme du monde que j'aime le mieux, est celui qu'on estime le moins, et ce sera toujours celui de tous, à qui je supposerai le plus d'esprit… Eh! non, non, ce n'est point un tel fantôme qui compose la félicité, jamais l'homme sage ne place la sienne dans ce que les autres peuvent lui donner ou lui ravir au plus léger mouvement de leurs caprices; il ne la met que dans lui-même, dans ses opinions, dans ses goûts abstraction faite de toute considération ultérieure. Eh! laissons-là toutes ces jouissances illusoires, croyez-moi, un époux riche, doux, complaisant, qui n'exige jamais que ce qu'on peut lui donner, qui fait grâce entière du métaphysique, voilà l'homme qui peut rendre une femme heureuse, s'il n'y réussit pas, mesdames, en vérité, je ne vois plus ce qu'il vous faut. Madame de Blamont, simplifions, monsieur, car vos analyses sont trop loin de nos principes, pour que nous puissions jamais nous accorder; tenons-nous en donc au fait. Aline, croyez-vous que l'hymen que vous propose votre père, puisse vous rendre heureuse? Aline, je suis si loin de le croire, que je demande pour toute grâce à mon père, de me percer plutôt mille fois le coeur que de me captiver sous de tels noeuds! M. de Blamont, ah! voilà vos leçons, madame, voilà vos préceptes, si j'avais bien fait, vous n'auriez point élevé cet enfant… Soustraite à vous dès sa naissance, n'ayant jamais connu qu'un cloître, éloignée de vos indignes préjugés, elle n'aurait pas trouvé de réponse, quand il eut été question de m'obéir. Madame de Blamont, un enfant dès le berceau, soustrait à sa mère, n'en arrive pas plus sûrement au bonheur. M. de Blamont, ému et balbutiant, son esprit ne se dérange pas au moins par de mauvais principes. Madame de Blamont, mais ses moeurs se pervertissent au sein de l'infamie, et celui qui devrait être le protecteur de son innocence, est souvent celui qui la corrompt. M. de Blamont, en vérité, voilà des propos… -Viens, Sophie, a poursuivi avec chaleur madame de Blamont, en ouvrant la porte du cabinet, viens les expliquer toi-même à ton père, viens te précipiter à ses genoux, viens lui demander pardon d'avoir pu mériter sa haine, dès le premier jour de ta naissance,-puis s'adressant rapidement à Dolbourg, et vous, monsieur, oserez-vous enfoncer plus avant le poignard dans le coeur d'une malheureuse mère, oserez-vous désirer pour votre femme, l'une de ses filles, après avoir fait votre maîtresse de l'autre? Puis saisissant l'embarras de son époux, aux pieds duquel était Sophie, laissez parler votre coeur, monsieur, tout est su, ne refusez plus d'ouvrir vos bras à cette malheureuse Claire que vous m'enlevâtes au berceau, la voilà, monsieur, la voilà, victime de vos procédés, trompée sur sa naissance, qu'elle ne voie pas toujours en vous le corrupteur de ses jeunes années, et montrez-lui le coeur d'un père, pour lui faire oublier son bourreau.