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LETTRE SIXIÈME.

Aline à Valcour.

Ce 15 Juin.

O mon ami! combien vos aveux me touchent! Que votre constance m'est chère!… Moi, vous abandonner… vous délaisser, cruel!… Ah! plus vous avez été malheureux, plus mon âme se livre au plaisir de vous aimer! C'est moi, mon ami, c'est moi que le ciel choisit pour adoucir vos maux; c'est par ma main qu'ils seront tous calmés… Ah! Valcour! combien vous me devenez cher depuis que je connais votre infortune… Ce n'est pas que vous n'ayez quelques torts… mais vous les sentez trop vivement, pour que je doive vous les reprocher. Vous avez été faible… vous avez été inconstant, peut-être même séducteur; mais vous avez été courageux et noble, tous ces revers vous ont plongé dans un abyme dont ma tendresse et les soins de ma mère veulent absolument vous retirer… Non, je ne suis pas jalouse d'Adélaïde, je la plains de toute mon âme, elle intéresse bien vivement mon coeur. Mais je ne crains plus qu'elle règne dans le vôtre, et je suis assez glorieuse, pour être sûre de l'occuper tout entier.

Votre lettre a fait pleurer ma mère… Elle vous embrasse… elle est bien aise de savoir ce qui vous regarde… Et sans vous compromettre en rien, elle aura du moins, dit-elle, des armes pour vous défendre; soyez bien sûr qu'elle en usera.

Je ne vous écris qu'un mot. Nous partons, écrivez-nous dès les premiers jours du mois prochain.

Vous ferez vos lettres de manière à ce qu'elles puissent se lire haut. Sans vous interdire pourtant la liberté d'y insérer de tems-en-tems un petit billet pour moi, et dans lequel vous ne m'entretiendrez que du sentiment qui nous flatte; ma mère qui connaî*t vos vues, et qui les approuve, me remettra ces billets fidèlement. Si vous avez quelque chose de plus secret à me dire, vous l'adresserez à Julie, cette fille qui me sert depuis son enfance, vous aime, dit-elle, comme si vous deviez devenir son maître un jour. Cela serait-il possible, mon ami? Je ne sais, mais j'ai des pressentimens qui quelquefois me consolent par leur illusion délicieuse, des chagrins de la réalité.

Nous emmenons Folichon [2]. Comment ne l'aimerai-je pas, quand c'est vous qui l'avez élevé? Ce charmant animal vous chérit à tel point, que chaque fois qu'on vous annonce, il semble que l'espoir et la joie animent alors ses traits; et quand son erreur est dissipée, il se rendort sur mes genoux avec un gros soupir, qui me le fait baiser mille fois.

LETTRE SEPTIÈME

Déterville à Valcour.

Paris, 17 Juin.

Si quelque chose peut adoucir les tourmens d'une âme honnête et sensible comme la tienne, mon cher Valcour, c'est la satisfaction de ceux qui te sont chers; j'ose à ce titre t'apprendre mon mariage avec Eugénie. Toutes les difficultés qui nous séparaient sont vaincues, et dans vingt-quatre heures je serai le plus heureux des époux, je n'ose pas dire des hommes, ta félicité manque à la mienne; et je ne pourrai jamais me croire véritablement heureux, tant que le meilleur de mes amis sera dans l'infortune. Mais j'attends beaucoup pour toi des délais qu'obtient madame de Blamont; elle t'aime; sa fille t'adore; espère tout du coeur de ces deux charmantes femmes; tu sais qu'Eugénie, sa mère et moi, nous sommes du voyage de Vert-feuille; juge si nous nous en occuperons, et si nous ne chercherons pas tous les moyens possibles d'avancer ton bonheur. Sois bien certain, mon cher Valcour, qu'il ne sera question que de cela. Mais je t'exhorte au courage et à la patience. Oter de la tête d'un robin une idée dont il est coëffé, est une entreprise qui n'est point facile. Je voudrais, moi, qu'on étudiât un peu ce d'Olbourg; ou je n'ai jamais su juger un homme, ou ce grossier mortel doit renfermer un bel et bon vice, qui, mis dans tout son jour, refroidirait peut-être un peu l'enthousiasme de notre cher Président. Je sais bien que voilà encore une de ces ruses de guerre, qui ne s'arrangera pas avec ta maudite délicatesse; mais mon ami, on se sert de tout dans le cas où tu es; pesons même, si tu veux, ce procédé dans la balance de ta justice. A supposer que d'Olbourg ait quelque défaut capital qui dût faire le malheur de sa femme, ton devoir ne serait-il pas de le prévenir?

Adieu; les embarras de la veille d'une noce m'empêchent de t'entretenir plus long-tems; O mon ami! Quand pourrai-je aller partager avec toi tous les soins de la tienne? Si tu me crois bon à quelque chose pour la circulation de ton commerce, dispose de moi; Eugénie me charge de t'offrir de même ses services; mais j'imagine que toutes vos précautions sont prises; quand on s'aime aussi vivement que vous le faites l'un et l'autre, rien n'échappe dans la recherche de tout ce qui peut être nécessaire au soulagement de ses peines.

LETTRE HUITIÈME.

Valcour à Déterville.

Paris, 19 Juin.

J'apprends ton mariage avec la même joie que s'il s'agissait du mien, et je te félicite d'autant plus sincérement de cette union, qu'il est difficile de trouver une femme dont le charmant caractère quadre mieux avec le tien. Ce sont de ces rapports heureux, d'où naît sans doute toute la félicité de la vie. Hélas! j'ai bien rencontré de même tous ceux qui peuvent faire le bonheur de la mienne;… mais que de difficultés, mon ami! Ah! je ne me flatte jamais de les vaincre; et puis… te le dirai-je? t'avouerai-je encore une délicatesse que tu vas traiter d'enfantillage? La brillante fortune d'Aline… le pitoyable état de celle de ton ami; tout cela, mon cher, me fait craindre que l'on n'imagine que mes sentimens ne sont fondés que sur l'envie de conclure, ce qu'on appelle dans le monde une bonne affaire; si jamais on allait le penser, si cette affreuse idée venait dans de certains instans de calme s'offrir à l'esprit de mon Aline!… O mon cher Déterville! je la fuirais pour ne la jamais revoir… Ah! comme je désirerais à présent ce que j'ai toujours méprisé!… que je voudrais posséder des honneurs, des trésors, et tout ce qui pourrait me rendre plus digne de celle que j'adore!

A supposer même que les difficultés s'aplanissent, et que je parvienne à ce que j'appelle l'unique bonheur de ma vie, le regret de ne lui avoir pas apporté un bien digne d'elle, n'altérera-t-il pas ma félicité? L'illusion des plaisirs évanouie, ne redouterai-je pas qu'elle-même ne conçoive un jour ces regrets? O mon ami! cache-lui mes craintes, elle ne me pardonnerait pas de les avoir conçues.

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[2] Petit épagneul de la plus rare espèce, que Valcour avait donné à Aline. Il l'avait dressé à apporter, à sa maîtresse, un échaudé qui contenait un billet: Aline le recevait, lui en remettait un autre également rempli d'un billet que l'épagneul rapportait à son maître, avec la même fidélité. Ils s'écrivirent ainsi pendant deux ans, couvrant cette feinte innocente, de l'adresse et de la sobriété du petit chien, qui portait et rapportait ainsi sans endommager nullement un objet, qui devait si bien aiguillonner sa gourmandise.