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— Vous avez neutralisé la BMW des « clients » ? questionne le commissaire.

— J’ai ses bougies dans ma poche, commissaire.

— L’arrière de l’hôtel ?

— Craquelouise et Pudube s’en occupent.

— Vous venez déjà de gagner une boîte de Le Chat compact aux agents bioactifs ! complimente mon jeune chosefrère qui cherche à imiter mon langage mélodieux.

À peine sommes-nous stoppés qu’un grand à tronche épaisse (ça vient de son bas de caisse : il y a vingt centimètres entre sa lèvre inférieure et la pointe de son menton) sort de derrière une haie de troènes. C’est Franck Audeport, le partenaire de Geoffroy Homiche. Il a quatre enfants biodégradables qu’il élève avec sa belle-sœur, (son épouse ayant mis les adjas en compagnie d’un régleur de pirogues ougandin), une automobile Renault de faible cylindrée, trois costumes, dont un moins fatigué que les autres, un F 4 à Ivry-Ville, dans le petit cimetière de laquelle, quoi qu’on fasse et quoi qu’on efface, le vent qui passe, aux gens qui passent, dira toujours un nom : Gabriel Péri.

Il sent le cervelas vinaigrette, Audeport, mets dont il se nourrit presque exclusivement et qu’il enrichit de tranches d’oignons excédentaires. L’un de ses yeux est couvert d’une taie sur la cornée, ce qui désoblige son regard.

Il me salue quasi militairement.

— R.A.S. ! nous déclare-t-il (d’ailleurs).

Honnissoit se tourne vers moi :

— Que décidez-vous, monsieur le directeur ?

— Moi ? Rien, fais-je. C’est vous qui conduisez l’enquête, mon cher Ange ; je ne suis ici qu’en qualité de spectateur.

Il a un sourire teinté d’épouvante.

— Vous êtes trop homme de terrain pour qu’on puisse décider en votre présence d’une action, monsieur le directeur.

Je lui frappe l’épaule.

— Eh bien ! faites comme si j’étais absent !

Résigné, il s’incline devant le caprice du grand chef.

— Transmettez aux autres les directives suivantes, Audeport : silence, discrétion, souplesse. Pas d’effusion de sang, surtout ! Craquelouise et Pudube resteront à leur poste sous les fenêtres des deux hommes, à l’arrière de l’hostellerie, prêts à intervenir s’ils tentaient un départ précipité de ce côté-là. Vous avez la clé de l’hôtel ?

— Affirmatif, commissaire.

— Le numéro de leurs chambres ?

— 114, 116, commissaire.

Honnissoit apostrophe le chauffeur qui nous a drivés jusqu’à pied d’œuvre :

— Sortez le matériel du coffre, Bourrelœil !

— Tout de suite, commissaire !

— C’est passionnant ! chuchote Marie-Laure à mon oreille. Ce que vous êtes gentil de m’avoir acceptée !

Je lui flatte légèrement la croupe, histoire de lui rappeler que tout a un prix dans l’existence et qu’un de ces quatre je lui présenterai ma facture.

Le « matériel » amené par Ange Honnissoit consiste en deux mitraillettes marque « Élégance » de chez Ponchaud et Villas, de quelques grenades à gaz soporifique et d’un pied-de-biche qui te permettrait de craquer un coffiot de la Banque de France !

Adossé à la voiture, ma main à la taille de Marie-Laure, je contemple ce déballage avec intérêt.

— Voilà ce que je compte faire, me dit Honnissoit.

Et comme j’ai un petit geste négateur de la main, il s’emporte :

— Laissez-moi au moins vous exposer mon plan, monsieur le directeur ! Si nous étions dans votre bureau, vous seriez le premier à m’en parler !

Il a raison, je l’admets ; un chef qui n’admet pas ses torts braque ses subordonnés contre lui.

— Geoffroy Homiche restera dehors, sur la façade principale du Relais, en couverture, comme les deux autres de derrière. Je monte à leurs chambres en compagnie de Bourrelœil et de Franck Audeport. Bourrelœil qui est fort comme un taureau… (hennissement d’orgueil du taureau mentionné, qui n’est pas à ça près) enfonce l’une des portes, poursuit le commissaire, et je lance deux grenades à gaz dans la chambre, les obligeant ainsi à sortir. Nous les cueillerons alors, et s’ils regimbent, nos mitraillettes les inciteront au calme. Qu’en dites-vous ?

Je lui souris.

— Cher commissaire, ce plan d’action conviendrait peut-être pour serrer Jo-le-Stéphanois et Martin-la-Vache qui seraient en cavale. Mais là, vous avez affaire à des orfèvres, que dis-je, à des diamantaires du crime. Rappelez-vous les trois macchabées de l’avenue George-V ! Ces trois êtres supprimés avec un sang-froid machiavélique. Nos clients du Relais sont les individus les plus dangereux de la création, des terroristes endurcis, éduqués, entraînés, parés pour affronter les pires situations. La porte ne serait pas enfoncée que la riposte viendrait et ce d’une manière que vous ne soupçonnez pas ! Vous vous feriez étaler comme des lapins au cours d’une battue en Sologne ! De plus, songez qu’il y a « deux chambres » et qu’elles sont communicantes : vous ne comptez pas défoncer deux portes simultanément ? Si ?

Un peu penaud, Honnissoit. Pratiquement taxé d’incapacité devant deux de ses hommes et une ravissante petite journaliste, il l’a à la caille.

Il opine bassement. L’instant est venu de refiler un peu d’oxygène de bonne qualité dans ses poumons poisseux de honte.

— Cela dit, je salue votre courage, mon cher : décider de balancer vous-même les grenades est une décision d’homme qui possède des couilles grosses comme des melons d’eau, bravo !

Resoleil dans son cœur !

Je poursuis :

— La seule manière de cueillir ces deux criminels, c’est de les sauter par surprise, Ange ! Par « surprise » et point à la ligne. Il faut qu’ils sortent d’EUX-MÊMES. Ne leur faites pas le coup du garçon d’étage, ça ne prendrait pas !

— Alors ? Attendre le jour ?

— Non, car il y aura trop de trèpe dans l’établissement, pour peu qu’ils s’offrent une grasse matinée.

Il hausse ses fortes épaules, vaincu par son manque d’imagination.

— Le taulier est prévenu, je suppose ?

— Il a bien fallu.

— Il a un téléphone privé ?

— Je le lui ai demandé.

— Sage précaution.

Il me communique le numéro et je pénètre dans la voiture qui comporte un bigophone. Le patron de l’établissement ne doit pas roupiller, en cette veillée d’armes, car il décroche illico.

— Ici qui vous pensez, dis-je. Pouvez-vous m’indiquer le numéro des chambres qui sont situées pile au-dessus de la 114 et de la 116 ?

Il n’a pas à réfléchir :

— La 214 et la 216, pardine !

— Je suppose que les salles de bains également sont superposées ?

— Bien sûr !

— Vous devez bien avoir des outils dans votre établissement.

Crainte spontanée du gars qui a les flubes pour sa crèche.

— Pour quoi faire ?

— Rien d’important. Alors ?

— Nous avons un atelier contigu à nos garages privés, mais il est fermé à clé.

— Aucune importance, cher monsieur.

— Je dois faire quoi ?

— Rester sagement au lit et attendre en caressant votre épouse. Je ne veux voir personne dans les couloirs.

Je raccroche.

— Attendez-moi tous ici ! recommandé-je à mes subordonnés.

Honnissoit s’inquiète :

— Vous ne voulez pas que quelqu’un ?…

— Rien ! Je vais chercher ce qu’il me faut dans le bâtiment annexe que vous apercevez en bordure du potager, ensuite je pénétrerai dans l’hostellerie pour y faire quelque chose. Lorsque je serai entré, vous compterez cinq minutes, puis vous irez vous poster devant la 114 et la 116, les mitraillettes prêtes. Rappelez-vous bien ce que je vais vous dire : si ces deux salauds ne lèvent pas immédiatement les mains, tirez ! Car alors ce sera eux ou vous. Marie-Laure, vous écouterez le chant des rainettes dans le parc, en attendant que ça se passe. On s’est tous compris ?