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« Il ligote durement sa souris, la bâillonne, lui débite le texte qu’elle aura à dire et se cache sur le haut baldaquin de ce lit d’apparat pour tringleur de shampouineuses et de secrétaires de direction. Il sait que si sa gonzesse joue bien son rôle, ça risque de prendre. Si elle accrédite la fuite “des deux hommes” descendus à l’hostellerie, il lui suffira de se dépêtrer provisoirement de nos salades policières et de s’évaporer dans la nature pour avoir remporté la victoire. Culotté, n’est-ce pas ? Mais ce sont les actes les plus téméraires qui réussissent le mieux. Il s’en est fallu d’un rien que ça fonctionne jusqu’au bout. »

La gosse balbutie :

— Vous êtes génial, monsieur le…

— D’accord, mais ne le répétez pas, ricané-je. J’attends avec impatience des nouvelles de Bourrelœil pour savoir où il aura déposé la gonzesse.

— Il faut vous soigner, monsieur le directeur, déclare Honnissoit avec autorité. Quand l’ambulance viendra chercher le valet de chambre portugais, faites-vous conduire à l’hôpital pour votre pommette.

— Pas le temps, dis-je. Rendez-moi les bougies de la BMW du couple afin que je rentre à Paris, je la donnerai en arrivant au service d’expertise. Je regagne mon bureau, vous pourrez me joindre à n’importe quel moment. Navré pour ce brave Homiche. Qui va se charger de prévenir sa famille ?

— Qui voulez-vous, monsieur le directeur ? soupire-t-il, les yeux pleins de larmes.

CHAPITRE VIII

KABOUL : capitale de l’Afghanistan.

— Où dois-je vous déposer ?

Marie-Laure somnole, la tempe appuyée contre la vitre. Elle a balbutié une réponse que je n’ai pas entendue. La lumière des périphes se mêle à celle du matin, mais garde toutefois le dessus.

— Pardon ? insisté-je.

Elle se rassemble un peu et répète audiblement :

— J’habite chez mes parents et je n’ai pas pris les clés, je ne peux pas les réveiller à pareille heure !

Bon : elle l’aura voulu !

La Grande Volière, en cette fin de nuit est gerbante par son silence visqueux, ses clairs-obscurs administratifs et surtout ses odeurs stagnantes de tabac, de pieds, de hardes trop portées.

Le garde de service en écrase sur son bureau, mêlant le ronronnement de son six cylindres aux sonorités cacateuses de l’endroit.

Je retrouve mon antre avec joie. Je m’y suis enfin adapté et les souvenirs du Vieux achèvent de s’engloutir comme, plus tard, s’engloutiront les miens. On n’est pas au monde pour conquérir des places, mais pour les laisser à d’autres.

Ma compagne qui connaît les lieux, à force, me demande la permission de prendre un bain. Des heures dans les mêmes harnais à vivre de l’émotion concentrée et à enjamber des cadavres, t’as envie de faire peau neuve.

En homme dont la chasteté est proverbiale, je lui laisse l’usage du studio. Pendant qu’elle se fourbit, je m’installe dans mon directorial fauteuil, mets mes mocassins sur le burlingue (chose qui ne s’est jamais produite avec Achille), noue mes mains sur mon bas-ventre et me livre à un survol des événements. Ça a galopé, non ? Pétaradé ! Tiens, ça me fait penser que je n’ai encore rien mis sur ma pommette. Je la touchote du bout des doigts. C’est presque sec, mais je ramène des traînées rouges sur mes phalangettes. Quand la môme se sera briqué l’oigne, je mettrai un peu d’alcool sur la plaie. Quelques centimètres plus à gauche et le vilain me faisait craquer la gueule ! Un qui n’a pas d’ange gardien sur le qui-vive, il y reste !

Mes pensées s’enflent comme des perles. Et voilà que mon compteur ralentit. Je regarde l’heure : cinq plombes et des. C’est-à-dire l’heure de personne, l’heure de rien du tout ! À part quelques pêcheurs à la ligne décidés à attaquer la carpe dans ses retranchements, les gens roupillent à cette heure, un dimanche morninge.

Mon carnet d’adresses !

J’en possède deux : un petit et défeuillé dans ma fouille, un grand à couverture de box fin sur mon bureau. Mais c’est toujours à mon truc débrifé que je fais appel.

Lettre B, pour Bruno Masure. Mes potes, je les classe par leurs prénoms. D’un doigt négligent, je compose son numéro. Ça sonne. Une fois, dix fois. Il décroche et attend.

— Bruno ?

— Je pense, murmure une voix altérée par le sommeil, mais je n’en suis pas absolument sûr.

— C’est San-Antonio.

— Très plausible, fait mon copain. Tu fais effectivement partie des trois ou quatre enfoirés capables de m’appeler à une heure aussi matinale.

— Tu t’es couché tard ?

— Non, tôt : quatre heures et demie.

— Donc tu es dans ton premier sommeil ?

— Et peut-être aussi le dernier si tu me tiens la jambe encore longtemps. Tu as des insomnies ?

— Professionnelles, mon lapin. Te souviens-tu d’avoir interviewé, l’an passé, un prix Nobel du nom d’Anton Raspek ?

— Bien sûr, celui qui est mort hier soir ? On va redonner des passages de notre entretien dans sa nécro, tout à l’heure.

Heureusement que mon téléphone est attaché à un fil, sinon je m’écroulerais.

— Le professeur Raspek est mort ?

— Tu l’ignorais ?

— Quand, comment, de quoi ?

— Hier, alors que ses homologues français fêtaient une déclaration qu’il venait de faire à propos de je ne sais quoi.

— Crise cardiaque ?

— C’est vraisemblable. Il se serait écroulé au moment où on lui portait un toast, ce qui est une fin assez glorieuse, somme toute !

— Te rappelles-tu le gars qui a servi d’interprète lors de votre interview de l’année dernière, un dénommé Antonin Pétsek ?

— Vaguement. Un journaliste intello à tête de nœud ?

— Exact. Qui l’avait mandé pour traduire votre entretien ?

— Il était un intime de Raspek.

— Anton, Antonin, une histoire d’amour ?

— Va-t’en savoir, Charles ! Encore que dans le scientifique la sexualité se développe moins bien que dans la haute couture.

— À mon tour de t’annoncer un décès, Bruno : celui de Pétsek, mort avant-hier. Des amis inséparables, n’est-il pas ?

— Tu vas te régaler ! définit mon délicieux ami dont le charme juvénile n’a d’égal que l’esprit, car je suppose que tout cela n’est pas catholique ?

— Mon Tchèque à moi a fini étranglé.

Il réagit :

— N’est-ce pas l’un des assassinés de l’avenue George-V ?

— Tu viens de gagner le droit de te rendormir, mon bijou ! Auparavant, affranchis-moi un peu sur l’œuvre de feu Raspek ; ses recherches, ou plutôt ses trouvailles avaient trait à quoi ?

— Les explosifs.

— Je comprends qu’on lui ait décerné le Nobel[10], ajouté-je en raccrochant pieusement.

Il t’est déjà arrivé de couper une communication et d’entendre, en même temps, sonner ton turlu ? Curieux comme effet. Je redécroche, pensant à quelque fausse manœuvre, mais non : on m’appelle bel et bien. Le commissaire Honnissoit. La voix dévastée. On dirait qu’il vient de boire un bol de clous de tapissier.

Je pressens immédiatement de la scoum. Et effectivement.

— Bourrelœil est mort ! m’annonce mon collaborateur. Un routier vient de découvrir son cadavre sur la route de Chartres ; il gisait au bas du talus avec un couteau enfoncé dans le cœur ; l’information vient de parvenir à ma brigade qui me l’a répercutée.

— La pseudo-violée ? fais-je.

— Sans aucun doute, monsieur le directeur.

— Diffusez illico le numéro et le signalement de la voiture à bord de laquelle elle roule !

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10

Cette réplique est révélatrice de la culture de San-Antonio. Nobel est l’inventeur de la dynamite.

Bertrand POIROT-DELPECH.