— J’ai commencé par ça !
— Où, sur la route de Chartres ?
— Avant Pontchartrain.
— Rendez-vous là-bas, je file !
Et je quitte mon bureau sans informer Marie-Laure.
À cet endroit, la route marque un élargissement qui doit servir de voie de secours quand les gros charrois se garent pour laisser doubler les voitures qui les suivent. Une tire bleue de la gendarmerie est là, gyrophare en folie. Se trouve également sur le terre-plein un camion immatriculé dans le Calvados.
Son conducteur, un gros zig un peu crade, vêtu d’un blouson de cuir noir qui devait lui aller encore au temps de sa première communion et d’un pull rouge dépenaillé, discute avec deux gendarmes sans joie.
Dans la lumière de ses phares, on aperçoit distinctement, en contrebas, le corps du pauvre Bourrelœil, étalé, tête en bas, bras en croix, jambes repliées, avec le manche d’un ya dépassant de son sternum. Honnissoit surgit en même temps que moi, sauf que j’ai passé le premier la ligne d’arrivée.
Saluade des pandores. L’un deux me reconnaît et chuchote ma qualité à son confrère, le brigadier Moilassusse, lequel y reva d’un salut un peu plus militaire, long et vibrant que son premier.
Le routier qui devine en moi une huile lourde, m’explique que, s’étant arrêté un instant pour « faire pleurer le géant », il a aperçu, en cours de miction, cet homme mort dans le faisceau de son phare droit. Illico, son jet naturellement impétueux est devenu prostatique. Comme il a le téléphone à bord de son bolide, il a prévenu la gendarmerie ; les archers du roy ont découvert l’identité du mort : un drauper de la Maison Cognedur, et ont alerté cette dernière.
— Vous croyez que je vais pouvoir repartir bientôt ? demande le camionniste. J’ai des fraises dans mon dix tonnes et il n’est pas frigorifique.
Honnissoit qui raffole des fraises le libère ; nous nous occupons de Bourrelœil.
Pas besoin d’être grand clerc pour piger ce qu’il s’est passé. Il a lutiné sa passagère (vêtue d’un simple peignoir de bain) qui a feint de couper à ses avances. Alors Bourrelœil s’est rangé sur le terre-plein. La salope dissimulait un couteau dans les grandes manches du peignoir. Le poulet, très excité, a déponné son tabernacle pour se faire allumer un calumet. Il devait s’être installé, pour la commodité de l’extase, à la place passager, les jambes à l’extérieur.
La soi-disant Maxence s’est agenouillée entre elles. De la sorte, les rares automobilistes circulant à cette heure extra-matinale encore obscure ne pouvaient apercevoir le manège du couple. L’hyène (un peu grandiloquent, peut-être comme qualificatif, mais amplement mérité) l’a eu belle pour assurer l’eustache dans sa main et le planter dans la poitrine de Bourrelœil. Ensuite elle n’a eu qu’à le tirer par les jambes hors de la bagnole et à le faire rouler au bas du talus. Cette version m’est inspirée par la braguette béante de notre infortuné collègue d’où sort un beau panais d’honnête flic qui a dû voir du pays.
— Laisser deux hommes dans cette affaire, c’est lourd, lourd, soupire Honnissoit.
Je demande aux gendarmes une carte de la région et j’examine la route suivie par le couple depuis son départ de l’hostellerie.
— En fin de compte, ils allaient sur Paris, déterminé-je.
— Pas certain, me dit Ange. La fille avait peut-être bien un point de chute dans la région. Vous la voyez dans Paris, en sortie de bain ?
— Si elle stoppe devant son immeuble, à l’aube, qui donc s’en formaliserait ? Cette fois, ajouté-je, allons prendre du repos.
— J’ai deux veuvages à aller annoncer, bougonne Honnissoit.
— Les mauvaises nouvelles peuvent attendre quelques heures.
On se quitte, je retourne au bureau.
Tout est paisible. Éteint. Plus trace de Marie-Laure. Écœurée par mon lâchage, elle a dû rentrer chez elle.
Je passe dans la partie studio et là, mon cœur se met en torche lorsque je découvre la presque adolescente couchée au pied de mon lit avec deux grandes serviettes-éponges en guise de couverture. C’est émouvant, voire bouleversant. Que de grâce dans cet abandon ! Elle dort en utilisant son bras droit comme oreiller. Son souffle est imperceptible. Je me penche et la saisis dans mes bras. Ça l’éveille ; elle pousse un petit cri d’effroi.
— N’aie pas peur, mon ange, c’est moi.
Je la dépose dans mon lit défait et la couvre, non pas de baisers, mais du drap. Il fait si chaud dans ce local exigu que ça suffit amplement.
Elle est à peine réveillée, murmure je ne sais quoi et se laisse glisser dans l’onde tiède de l’abandon, ainsi que l’écrit la marquise de Lamotte Fendue dans ses Mémoires de Guerre.
En un tourne-chose, je me dessape, ne conservant que mon slip de fonction et m’allonge auprès d’elle, par-dessus le drap, gardant à notre commun endormissement une chasteté qui fait l’honneur de la Police française.
Malgré le fort tumulte de mes pensées et mon énervement, je finis par m’engloutir dans un néant réparateur, ne conservant dans les confins de mon subconscient que la notion d’une bandaison forcenée, presque douloureuse, consécutant de ma fatigue et, plus encore, de la présence de Marie-Laure à mon côté.
CHAPITRE IX
ANDANTE : modérément.
Le puits de velours.
Titre de l’ancienne, brève et remarquable pourtant « Série Blême ».
Il me vient à l’esprit à l’instant de renouer avec la réalité. Je me trouve dans un puits profond, tapissé de velours épais. J’y suis bien. Je peux. Tu sais quoi ? Marie-Laure me tient par la queue (pas du tout pour me montrer à ces messieurs, comme dans la comptine de La souris verte) tandis que j’ai une main haut coincée entre ses cuisses. On a fait ça comme ça, presque innocemment. J’ai, en dormant, arraché le drap séparateur et un élan inconscient nous a poussés vers nos parties vives.
Si tu savais ce que c’est bon, Gaston ! Comment ? Tu sais ? T’as vécu ça ? Avec qui ? Comment ? Ta femme ? Non mais, tu as pas eu le temps, en vingt ans de mariage, de remarquer la gueule qu’elle a, ta Ninette ! Son regard poché, ses paupières grosses comme des coquilles d’escarguinche de Bourgogne, ses trente kilogrammes de nichons pas comestibles, ses cuisses varico-celluliteuses dont chacune a un diamètre supérieur au tour de taille de Mme Simone Weil.
Tu ne peux pas comparer, mon grand. Ce que tu as connu dans ton grabat plein de pets refroidis, c’est pas de la volupté, c’est de la triperie en promotion ! Faut pas confondre chaude-pisse et première communion ! Ingres avec Botero ! Note que je préfère Botero à Ingres ; mais en peinture seulement car j’aimerais mieux m’embourber un modèle d’Ingres qu’un modèle de Botero.
Et puis à quoi bon digresser ? On est là, main sur le sexe de l’autre. Esprit de conquête, en somme. Elle me tient, je la tiens par la barbichette. Le premier qui rira aura une grosse bite dans le cul ! Car c’est elle qui pouffe et moi qui paffe ! Quel somptueux réveil ! Animal. Poisseux de sommeil, pas vraiment clean ! Mais putain ce que c’est bon ! No fioritures préparatrices. Carrément le pilon dans le mortier ! Un cas d’urgence ! C’était ça ou le SAMU. L’enfilade spontanée. Juste le temps de me saliver le panoche pour le cas où ! Mais c’est un réflexe de pro, absolument superflu. Le balisage est déjà opéré par le désir. Son frifri déclaré ville ouverte ! Je me pointe en triomphateur. Acclamations de la foule, liesse populaire. La demoiselle Pontamousson me fait un accueil inoubliable ; la libération de Paris, c’était une kermesse de village en comparaison.